Affaire Virginie Bluzet : un amant trouble dans une nuit de mensonges
Cold cases de Saône-et-Loire (6/10)
Suite à l’ouverture d’un pôle judiciaire national dédié aux cold cases, Le JSL revient sur les crimes non résolus de Saône-et-Loire. Aujourd’hui, retour sur l’affaire Virginie Bluzet. Cette jeune femme de 21 ans a disparu le 7 février 1997 à Beaune avant d’être retrouvée un mois plus tard, sans vie, menottée et bâillonnée, au bord de la Saône à Verdun-sur-le-Doubs.
Elle jette son sac de rage dans l’imposant 4x4. Avant de mouvoir sa frêle silhouette et ses longs cheveux blonds à l’intérieur... Un homme, teint mat et larges épaules, a pris place au volant.
Le véhicule quitte aussitôt la place Madeleine, s’enfonce dans le dédale des rues de Beaune et s’engouffre dans la nuit, laissant le vacarme des bars derrière lui.
Virginie Bluzet, 21 ans, disparaît là, ce 7 février 1997.
Un mois plus tard, le corps de la jeune femme est rejeté par la Saône, à une vingtaine de kilomètres, sur une berge de Verdun-sur-le-Doubs en Saône-et-Loire. Un bâillon sur le visage et les mains menottées dans le dos.
Depuis, bientôt 27 années ont passé. Malgré la mise en examen rapide du surnommé Didi - l’homme au volant du 4x4 qui était aussi l’amant de Virginie - suivie d’un non-lieu en 2002, malgré les investigations reprises en 2010, jusqu’à explorer les pistes de Michel Fourniret et Pascal Jardin, l’affaire reste enveloppée d’un épais brouillard. « Il y avait beaucoup de confusion et de mensonges », témoigne Claude Jeanguenin, le gendarme qui a le premier enquêté sur ce meurtre.
L’espoir réside aujourd’hui dans le transfert du dossier au pôle cold cases de Nanterre, acquis en septembre dernier. Ce qui permettra, peut-être, de tout reprendre à zéro. Et d’étudier d’autres possibilités et à nouveau l’hypothèse Pascal Jardin, le meurtrier de Christelle Blétry ? Virginie Bluzet fut tuée quelques semaines après. Et si l’enquête de la police judiciaire de Dijon, conclue au printemps dernier, n’a pas identifié de point qui permette de le mettre en cause, « il reste totalement dans le radar », appuie maître Didier Seban, avocat de la famille.
Une piste à laquelle ne croit néanmoins guère Michel, le père de Virginie, 75 ans désormais et pour qui le temps presse. Il sait qui a tué sa fille. « Le pôle va peut-être trouver la faille de cet homme. Lui a bien vécu jusqu’à aujourd’hui, Virginie n’a pas vécu, elle. » Cet homme, c’est Didi.
La belle et le caïd
« Même avec deux témoins formelles, ce n’était pas assez. Il aurait peut-être fallu qu’il la tue devant eux pour que ce soit formel », assène Michel Bluzet. Depuis la décision prise par un juge d’instruction de Chalon-sur-Saône le 5 avril 2002, le père de Virginie reste prisonnier de la colère. Ce non-lieu octroyé à l’amant de sa fille, qui a failli faire sombrer ce meurtre dans un oubli définitif, il ne le comprend pas.
« Le mensonge n’est pas une preuve, m’a-t-on dit », déplore de son côté l’ex-enquêteur Claude Jeanguenin. Les deux hommes, qui se retrouvent parfois, attendent que leur vérité soit sauvée. « Ma fille, c’était un amour, je pense à elle tous les jours. On n’oublie pas ses enfants. » Impossible de se taire.
L’ancien gendarme se remémore la sidération qui s’était emparée de lui lorsqu’il a appris la nouvelle. « Quand j’ai lu l’ordonnance de non-lieu, je n’ai pas vu l’en-tête... Jusqu’à la dernière page, j’ai cru qu’on envoyait Didi devant la cour d’assises. J’ai lu les dernières lignes, je n’y croyais pas. Je me suis tourné vers le juge et je lui ai dit : "Ce n’est pas possible". » Cinq années d’investigations venaient de s’envoler sous ses yeux.
Malgré un faisceau de présomptions, les charges avaient été jugées insuffisantes et la marge d’erreur trop grande. « La cour d’assises, comme cela peut arriver, aurait peut-être pu au moins libérer la parole, créer la surprise », regrette-t-il.
Car si la joviale et secrète Virginie, aimantant habituellement les regards, paraît avoir traversé la soirée du 7 février 1997 comme une ombre, elle a pourtant disséminé derrière elle nombre d’éléments troublants. Et dans cette nuit de fête et de mensonges, où les témoins évasifs et imprécis, les manipulations d’un milieu singulier et le silence imposé par la peur de représailles semblent s’être entremêlés, se détache l’apparente innocence du témoignage de deux femmes.
Deux versions s’opposent
30 septembre 1997. La tension est à son comble sur la place Madeleine. La nuit est tombée. Le secteur, bouclé depuis 19 h, s’est peuplé d’uniformes. L’ébullition sociale habituelle de l’endroit s’est effacée. Didi, muni d’un gilet pare-balles et menotté, est amené sur les lieux, suivi de son 4x4 monté sur une dépanneuse. Deux femmes, tremblantes, se tiennent dans cette effervescence silencieuse.
La reconstitution de la disparition de Virginie Bluzet s’apprête ainsi à débuter, six mois après la découverte de son corps, quatre après la mise en examen pour meurtre avec préméditation de son amant, un homme au passé trouble. Elle est le théâtre de deux versions des faits qui se distinguent et s’opposent.
D’abord celle des deux femmes qui se seraient bien passées d’être là. « Elles avaient la trouille, ça a été difficile de les faire venir », se souvient le major Claude Jeanguenin. Il s’agit des deux témoins qui ont vu la belle Virginie partir de la place Madeleine avec Didi, ce soir du 7 février 1997. Et des dernières personnes à l’avoir vue vivante, à l’exception - peut-être - de cet homme décrit comme "un caïd".
Elles sont bien malgré elles la clé de toute l’enquête qui, dans le sillage des centaines d’auditions menées, est plongée dans des méandres d’incohérences, de contre-vérités et d’alibis changeants. C’est leur témoignage, donné avant même qu’on ne découvre le corps de la Beaunoise, qui a permis l’arrestation de ce trentenaire bien connu des Stups. Et, dans cette nuée d’incertitudes, cela paraît être le seul élément fiable.
Tout l’enjeu de cette procédure est donc d’éprouver leurs dires mais aussi ceux, totalement différents, du suspect.
Luminosité, positions, tout est remis en place à l’identique. Chacun se replonge dans le tourbillon d’un cocktail servi pour brouiller les pistes, qui mêle plusieurs protagonistes habitués à se confronter aux forces de l’ordre et un bar grouillant de monde. Le récit de cette nuit du 7 se rejoue.
Une errance habitée par une absence
Sur la place Madeleine, la nuit du 7 s’annonce comme un nouveau soir de fête. Comme souvent, Virginie en est. Elle est de ces jeunes femmes qui ne semblent être qu’effleurées par les entraves du quotidien, baladant ses longs cheveux blonds et son large sourire au gré de ses envies, ayant arrêté l’école à 16 ans et se contentant de petits boulots depuis. « Elle était très sociable et aimait beaucoup sortir avec ses copines », convient son père.
Toutefois, elle se retrouve étrangement seule ce soir-là. Alors que les téléphones portables n’étaient pas généralisés, Virginie n’aurait jamais retrouvé celle dont elle est pourtant inséparable, Akila. Après l’avoir cherchée durant près d’une heure dans les rues de Beaune. Et bien que les deux amies ne sortent quasiment jamais l’une sans l’autre. Elles devaient, d’ailleurs, faire le chemin ensemble jusqu’au bar de l’Union.
« Akila était sa protectrice. »
Une anomalie comme un mauvais signe. Car Akila se révèle ne pas être qu’une amie, « elle était sa protectrice », souligne le major Jeanguenin. De fait, le duo flirte parfois avec les limites. Et le danger se tapit, sinon dans leurs actes, au sein de leurs fréquentations. Vol et trafic de stupéfiants étreignent la banalité de leurs journées.
À 21 h 15, "Pépette", comme on surnomme Virginie, quitte son domicile familial, avenue Maréchal-Lattre-de-Tassigny. Elle salue ses parents. Près d’1,5 km et vingt minutes à pied la séparent du bar de l’Union.
Vraisemblablement, elle se rend d’abord chez Akila, rue de Lorraine, sans la trouver donc.
Puis échoue de nouveau dans sa quête après avoir toqué au volet d’un certain Pascal D., rue Oudot. D’après les dires de cet homme, un mystérieux véhicule - qui sera évoqué à maintes reprises - surgit alors pour la première fois sur le trajet de Virginie.
Il décrit une Renault 19 ou 21, de couleur gris clair métallisé, vers laquelle la jeune femme se serait dirigée et, comme relaté dans une autre pièce du dossier, dans lequel elle serait même montée et repartie.
Pourtant, il apparaît certain que la Beaunoise arrive finalement seule vers 22 h sur la place Madeleine. Première incohérence.
Habillée d’un blouson noir, d’une veste en jean et d’un débardeur blanc, Virginie se fond alors dans la foule réunie pour célébrer le quinzième anniversaire du bar de l’Union, où nombre de jeunes de la ville et des environs ont l’habitude de se retrouver.
Elle-même est une habituée des lieux. « C’était un petit bout de chou, sympathique et toujours souriante, dépeignait au Bien public Jean-Claude, l’un des serveurs. Elle venait pratiquement tous les soirs, vers 18 h 30 - 19 h. Elle retrouvait son copain ou ses amies. »
Insaisissable, elle va et vient dans cet établissement puis s’éclipse, à un horaire difficile à déterminer précisément, entre 23 h et 23 h 30. « On n’a pas vu quand ni avec qui elle est sortie », pointait le barman. Comme si les regards ne prêtaient pas attention à ce visage familier.
Virginie pourrait en fait s’être rendue devant le domicile d’une sœur d’Akila, rue Maufoux, à un peu plus de 800 mètres et à dix minutes de marche. Selon les déclarations de cette dernière et d’une autre sœur, elle cherchait toujours Akila et expliquait, via l’interphone, être accompagnée d’un homme.
Dans la foulée, il est établi formellement qu’entre 23 h 30 et 23 h 40, elle est cette fois vue par les deux témoins présentes à la reconstitution, partant avec Didi.
Pas de trace d’Akila en revanche, alors que plus de deux heures se sont écoulées. « Si Virginie part sans Akila, c’est qu’elle part avec quelqu’un de confiance, donc Didi », esquisse Claude Jeanguenin. Aux enquêteurs, la protectrice de Virginie indiquera avoir essayé de retrouver son amie toute la soirée, sans succès. Un seul être vous manque et la menace accourt.
« On voyait clairement, on voyait bien les visages et les véhicules »
Ce sont « une mère et sa fille sans histoires », selon l’ancien enquêteur de la section de recherche de Dijon. Les deux principales témoins de l’affaire étaient simplement venues chercher une membre de leur famille, serveuse dans l’un des bars de la place Madeleine.
« Que ce soit devant la police avant la découverte du corps, devant nous ou devant le juge, elles ont toujours décrit exactement les mêmes faits », rapporte Claude Jeanguenin. Et la reconstitution permet de conforter l’authenticité de leurs propos. « Ça collait. On voyait clairement, on voyait bien les visages et les véhicules. »
Seule la plus jeune connaissait Virginie et Didi, bien que seulement de vue et de réputation en ce qui concerne ce dernier. C’est elle, alors qu’elle patiente dans son véhicule stationné juste devant la pizzeria La Caravane, à quelques mètres de l’Union, qui remarque dans un premier temps Didi prendre place dans sa Jeep Cherokee puis Pépette marcher droit dans sa direction.
À son passage, les regards des deux femmes se croisent. Virginie la salue. Son visage est on ne peut plus fermé. Suite à quoi mère et fille l’observent jeter son sac et monter dans le véhicule, qui part immédiatement. Une scène de colère presque anodine à leurs yeux. La jeune femme aux boucles d’or est connue pour son fort tempérament.
Renault 21 bleue, feu rouge : la version de Didi mise à mal
Le bar de l’Union n’était pas le seul ouvert ce soir-là autour de la place Madeleine. Accolé à lui, Le 33, à l’enseigne plus discrète, l’était aussi. Didi, « le copain » de Virginie, s’y trouvait. Il jouait au billard avec deux amis. Il ne conteste pas sa présence sur les lieux. Nombre de témoins l’ont vu. Et son véhicule, mal stationné sur la place, a en plus été verbalisé à 22 h 35 par la police.
La suite du déroulé de cette nuit du 7 est en revanche plus confuse pour cet homme de 32 ans, marié et père de deux enfants, qui ne passait pas inaperçu. « Tout le monde le connaissait et le craignait », rapporte le major. « C’était le caïd de Beaune, une brute, tout le monde savait qu’il dealait », enrage quant à lui le père de Virginie.
Si aucun témoin ne l’a vu avec la jeune femme dans les bars, Didi reconnaît l’avoir croisée à plusieurs reprises au cours de la soirée. Et fait reparaître à ses côtés l’énigmatique Renault 21.
Il assure ainsi avoir observé Virginie une première fois depuis l’étage du 33. Elle se serait tenue près d’une Renault 21 bleue manœuvrant sur la place. Il aurait reconnu le chauffeur comme étant un dénommé Chérif. La Beaunoise aurait alors dévisagé Didi en riant, dans ce qui semblait signifier pour le dealer aux larges épaules, comme il le relate aux gendarmes : « Tu vois, moi je peux être avec quelqu’un d’autre. »
Puis, alors qu’il se serait trouvé sur la rue du Faubourg-Madeleine qui longe la place, au niveau de la maroquinerie Diot et du côté de la place, rebelote. Il affirme avoir vu Virginie dans une autre Renault 21 bleue nuit, filant en direction du centre-ville.
« Il nous dit qu’il lui fait signe de le rejoindre, qu’au feu rouge de la rue, elle discute longuement avec le chauffeur, commence à descendre, posant même son sac sur la chaussée, mais que le véhicule est finalement reparti avec elle », retrace Claude Jeanguenin.
Didi décrit un chauffeur - qu’il n’identifie pas comme étant Chérif - de type méditerranéen, « la peau entre blanche et brune », « un peu maigre », « châtain » et la vingtaine. Quant à lui, il serait ensuite parti avec ses deux comparses en boîte de nuit à Torcy, au Tropicana. Alors que Virginie aurait auparavant refusé de les accompagner, souligne-t-il.
Mais cette version, en totale contradiction avec celle des deux femmes témoins, est fortement mise à mal lors des investigations puis lors de la reconstitution, qui pointe une grosse incohérence.
« D’où il était, on ne pouvait pas voir le feu. Même en s’avançant dans la rue, on ne le voit pas, c’est aussi simple que ça », relate l’ancien enquêteur.
Ce qui oblige le suspect d’alors à modifier sa version auprès du juge, déplaçant le véhicule de quarante mètres. Il expliquait aussi être allé voir une sœur de Virginie au bar Le Madeleine, situé à côté de la maroquinerie. Il lui aurait fait part de ce qu’il venait de voir. Sauf que celle-ci nie en bloc qu’il lui ait tenu de tels propos.
Aux yeux des limiers de la section de recherche et du juge d’instruction, les déclarations de l’amant de Virginie ressemblent à des mensonges. Comme ceux qui ont semé le doute dans les esprits dès les prémices de l’enquête…
« On n’a pas réagi tout de suite »
Les regrets continuent de tenailler Michel Bluzet. L’inquiétude n’avait pas immédiatement gagné ce père de onze enfants et son épouse lorsque Virginie, l’avant-dernière de la fratrie, a disparu. « On n’a pas réagi tout de suite », se désole-t-il. Le couple s’était habitué à ne pas voir rentrer leur fille chaque soir. Indépendante, la jeune femme de 21 ans dormait régulièrement chez Akila. « Elle nous appelait tous les deux jours si elle ne revenait pas », précise le paternel.
L’appel à témoins pour sa disparition n’est ainsi lancé que quelques jours après par la police de Beaune, et repris seulement trois semaines plus tard dans la presse locale.
Entre-temps, les rendez-vous du couple Bluzet avec plusieurs voyants pour la retrouver n’y ont évidemment rien changé, sinon à faire naître un goût de dépit chez Michel. « On a été voir des tas de trucs, on a été jusqu’en Suisse… Ils la voyaient danser à Paris… C’est pour ça que les voyants, il ne faut plus m’en parler », peste-t-il.
Les époux ont même eu la surprise de voir un individu persona non grata à leur domicile débarquer chez eux : Didi, venu leur promettre qu’il ferait tout pour retrouver Virginie. Et faire payer celui qui oserait lui faire du mal, les informant au passage qu’elle avait une liaison avec un homme originaire... de Rome.
De fortes tensions entre les amants
Aujourd’hui encore, une hypothèse se dégage dans l’esprit de Claude Jeanguenin : « Une dispute qui a mal tourné. »
Car tout ne se passait pas pour le mieux entre Virginie Bluzet et Didi. La jeune femme prenait des coups. Ses sœurs l’ont constaté. Et elle le leur a confié. Michel l’ignorait. « On a su après qu’il la tabassait. »
« Virginie avait du caractère, peut-être trop justement. C’est peut-être pour ça qu’elle est partie malheureusement… »
Comme il ignorait aussi que cet homme était l’amant de sa fille, onze ans plus jeune. « Les enfants, quand ils sont majeurs, ne disent pas tout. Je lui avais interdit de sortir avec ce type-là », regrette-t-il. Mais Virginie aimait voler de ses propres ailes.
À son amant décrit comme possessif et impulsif, elle oppose d’ailleurs sa forte personnalité. « Elle n’était pas grosse et pas haute mais quand il fallait se défendre, elle se défendait. Virginie avait du caractère, peut-être trop justement. C’est peut-être pour ça qu’elle est partie malheureusement… », imagine son père, amer. « Comme elle était d’une stature fragile et lui à l’inverse costaud, est-ce qu’un mauvais coup ne serait pas parti ? », se demande Claude Jeanguenin.
Les accrochages semblaient en tout cas réguliers. La veille de la nuit du 7, Didi admet une querelle de plus entre eux. Et le soir de la disparition, une dispute pourrait aussi avoir éclaté. « Encore tes copains », aurait pesté Virginie à son encontre selon l’un des compagnons de jeu de billard de Didi, alors que ce dernier s’apprêtait à partir en discothèque avec eux.
Plus encore, ce sont des dissensions autour du trafic de stupéfiants du "caïd" qui affleurent. Peu de temps auparavant, la police judiciaire de Dijon a ciblé Virginie, au point que le domicile des Bluzet a été perquisitionné et Pépette interpellée. « Elle avait un petit bout de chichon, se souvient Michel. Mais ils l’ont relâchée, ils n’avaient rien contre elle. »
Davantage contre Didi en revanche. Car le dealer du quartier des Arcotins est passé dans la foulée par la case prison. Depuis laquelle il aurait adressé une lettre à la jeune Beaunoise, la menaçant de représailles pour l’avoir dénoncé. Si cet écrit, dont le contenu fut relaté a posteriori par une membre de la famille de la victime, a disparu, Virginie avait en revanche bel et bien, devant les policiers, admis avoir reçu du cannabis de la part de Didi.
Durant son incarcération et sa mise en examen pour le meurtre de la jeune femme, le trafiquant se verra d’ailleurs être à nouveau condamné. Le 2 juillet 1997, il écope de quatre mois de prison ferme pour des faits de vente, transport ou usage illicite de stupéfiants, en compagnie de quatre autres prévenus. Bien qu’aucun lien, selon son avocat d’alors, ne reliait ce dossier à l’affaire Virginie Bluzet, l’enquête de la police avait recueilli, comme l’écrivait Le Bien Public, des « accusations dont certaines étaient suivies de rétractations ».
La Saône n’a laissé que des bribes d’indices
« J’ai compris tout de suite », se remémore Michel. Un silence de cathédrale s’était emparé du commissariat de Beaune. Seul se détachait le murmure des pas du couple Bluzet. Les têtes étaient basses et les visages graves à leur passage. Un calvaire se terminait, un autre débutait.
Au matin du 17 mars 1997, les flots de la Saône avaient fait leur œuvre. Sur les berges de la rivière, la décrue avait libéré des lambeaux de terre, mais pas seulement. Au Petit-Chauvort, un hameau de la commune de Verdun-sur-le-Doubs, la dépouille de Virginie Bluzet était venue reposer sur la terre meuble. « L’hypothèse est qu’elle a été jetée depuis le pont de Bragny, en amont de la rivière », indique l’ex-enquêteur Claude Jeanguenin.
L’eau dans laquelle elle a passé près d’un mois selon l’autopsie - ce qui correspond peu ou prou à la date de sa disparition - n’a rejeté qu’un visage méconnaissable et un corps meurtri. La jeune femme de 21 ans, dont le bas du corps est retrouvé nu, ne peut être identifiée dans un premier temps que grâce à ses vêtements et bijoux, les mêmes qu’elle portait le soir du 7 février.
Pis encore, la rivière n’a laissé que des bribes d’indices. Il s’avère impossible de déterminer avec certitude la cause de sa mort. Le peu d’eau dans ses poumons apparaissant insuffisant pour caractériser une noyade, le décès semble être intervenu antérieurement à son immersion dans la rivière.
Asphyxie du fait du bâillon masquant son visage, coup violent... L’incertitude demeure. Seul un hématome émerge au milieu du front. « Cela peut correspondre à un coup qu’on lui a assené et la marque peut ressembler à celle d’une bague. On a pensé à celle énorme que portait Didi, mais ça c’est gratuit, on n’a pas de preuve », reconnaît Claude Jeanguenin.
Très peu d’éléments matériels sont ainsi relevés, si ce n’est ce bâillon, une taie d’oreiller à l’origine, et les menottes liant ses mains, « de vulgaires menottes qu’on trouve dans des quincailleries ». Il s’avère impossible d’en tirer quoi que ce soit.
De même qu’avec l’information obtenue au printemps 1999 par la police. « Un détenu avait raconté que lui et un frère d’Akila avaient un jour vu dépasser des menottes du blouson de Didi lorsque celui-ci avait levé les bras, mais aucun des deux n’a voulu le confirmer devant nous. »
Et si l’on relève l’ADN de Virginie Bluzet dans le véhicule du dealer, cela se révèle inutile, puisque les deux amants se fréquentaient régulièrement depuis plus d’une année. La solution ne peut, dès lors, plus venir que des témoignages.
Des témoins qui craquent... et un mur
Deux témoins formelles et des tensions notables dans la relation des amants... L’étreinte autour du dealer se resserre en dépit de l’absence d’indice matériel. À tel point que les enquêteurs pensent être tout près de le faire craquer. « J’y ai cru », souffle Claude Jeanguenin.
Les premières vérifications de son témoignage, conjuguées aux approximations de ses relations, avaient rapidement fait s’élever les suspicions autour de son cas.
Les recherches de la Renault 21 s’étaient avérées vaines. La section de recherche de Dijon en avait identifié de nombreuses, « de toutes les couleurs », cela n’avait rien donné. Idem pour le conducteur de type méditerranéen. Et, en outre, personne ne connaissait de près ou de loin le dénommé Chérif.
Quant à sa sortie au Tropicana, la discothèque de Torcy, personne ne se souvenait l’y avoir vu, pas même le vigile, qui a assuré ne l’avoir remarqué que le lendemain soir.
« Quand je l’ai entendu la première fois comme simple témoin, il ne savait pas qu’on avait deux femmes qui avaient vu Virginie monter dans son 4x4. Je m’attendais à ce qu’il me dise qu’il l’avait déposée au bout de la rue et c’est tout. Et on n’aurait rien pu faire. Mais non, il nie qu’elle soit montée dans sa voiture », soupire encore aujourd’hui Claude Jeanguenin.
« On espérait qu’un ou deux témoignages fassent basculer le dossier. »
Les investigations ont donc fini par basculer. « On piétinait, il fallait passer à l’étape supérieure. Les 4 et 5 mai 1997, vers 21 h, on a donc arrêté tout le monde, toute la bande », dévoile le major. Une quinzaine de personnes au total ont ainsi été interpellées.
Les gendarmes comptent alors sur l’épreuve de la nuit pour extraire ne serait-ce qu’un bout de la vérité. « En interpellant autant de personnes en même temps, on espérait qu’un ou deux témoignages fassent basculer le dossier. »
Certains lâchent prise. Les premières déclarations d’un frère d’Akila, qui affirmait lui aussi avoir vu Virginie Bluzet partir de la place Madeleine dans une Renault 21 bleue, volent en éclats. Déjà approximatif et contesté par les individus qui se trouvaient avec lui, il finit par reconnaître devant le juge avoir été forcé par Didi à livrer ces éléments faussés.
Quant aux deux compagnons de jeu de billard du trafiquant, leur version de cette nuit du 7, similaire à celle du "caïd", se délite. Initialement, ils indiquaient être partis tous les trois - un quatrième, qui aurait été en situation irrégulière, apparaît parfois au gré de leurs déclarations - au Tropicana, après avoir été au 33 puis discuté avec Virginie. Tandis que seul l’un des deux assurait avoir observé le départ de la jeune femme dans une Renault 21... blanche.
Leurs gardes à vue prolongées, la sortie au Tropicana disparaît de leur récit. Et Didi également.
Si leurs dépositions face aux gendarmes divergent, ils décrivent chacun une soirée terminée ensemble, sans "le caïd", un homme qu’ils semblent admirer autant que craindre. L’un d’eux révèle même avoir, lui aussi, orienté son premier témoignage selon les indications de Didi. Et se fait plus bavard. D’après ses dires, les deux amis du dealer se seraient en fait rendu en discothèque non pas à Torcy mais à Dole, à l’Espace 39. Un spectacle de strip-tease s’y déroulait. Une dernière indication qui s’avèrera exacte.
La pression s’accentue alors sur Didi, tandis qu’on lui traduit les questions de l’enquêteur de la section de recherche. « Le juge a demandé un interprète, pour ne pas prendre le risque de rendre la procédure caduque. Alors qu’il comprend le français et s’exprime très bien en français… Il est d’origine algérienne mais cela faisait 5 ou 6 ans qu’il était arrivé à Beaune », rumine à ce propos Claude Jeanguenin. Chaque question posée est ainsi traduite. L’aiguille de l’horloge tourne.
Sous la pression de la deuxième nuit, l’amant trouble de Virginie, bien que maintenant être allé au Tropicana, semble finalement vaciller. Quand l’inattendu se produit. « Son interprète a craqué le premier... Il n’en pouvait plus, il fallait qu’il se repose. » Et le suspect de s’en tenir là.
Le chemin vers la vérité, alors que Didi est tout de même mis en examen pour meurtre avec préméditation par le parquet de Chalon-sur-Saône et incarcéré, vient de se heurter à un mur.
Little Italy
Restent ces éléments à la résonance transalpine qui ont régulièrement fait irruption au cours des investigations. Et fait planer l’existence potentielle d’un autre homme en cause.
Au soi-disant amant romain de Virginie, s’ajoutent un coup de téléphone étrange et un autre amant gynécologue à Cannes. Tous en rapport avec l’Italie. « Même le descriptif du conducteur de la Renault 21 bleue fait référence au physique italien », note le major. Leur autre point commun : ils ont tous la caractéristique de provenir… du suspect.
C’est que le trafiquant d’alors ne s’avère pas sans lien avec la péninsule. Si son parcours « est flou », au gré de ses pérégrinations depuis son départ d’Algérie, Didi assure avoir fait étape en Italie avant d’arriver en France. Il déclare même, devant les gendarmes, avoir été incarcéré à Rome et Vintimille pour des faits de vol avec arme. « Les policiers italiens n’ont jamais retrouvé sa trace, mais comme il utilisait d’autres noms… »
Ainsi, exactement 18 jours après la disparition de Virginie. Nicole Bluzet, sa mère, recevait un appel téléphonique, très bref. Au bout : « Un homme parlant italien ou avec un accent italien. »
Il provenait de l’entreprise Cybeo, située à Comblanchien au nord de Beaune. Huit salariés et parmi eux aucun Italien mais un homme sachant sans doute manier la langue de la botte : Didi. À l’heure où l’appel est passé, 11h54, l’homme se trouvait de plus seul sur son lieu de travail, puisqu’il était le seul à rester manger sur place lors de la pause déjeuner. « Il est donc le seul à pouvoir être à l’origine de ce coup de fil », assure Claude Jeanguenin.
Et ceci, au demeurant, avant d’être interrogé quelques heures plus tard par la police beaunoise. Et d’informer, peu après, la mère de Virginie de la liaison de sa fille avec cet inconnu originaire de Rome...
S’agit-il en fait du gynécologue italien de Cannes, dont l’existence sera évoquée plus tard par Didi ? « C’est une histoire complètement inventée », balaie le major.
Si la Beaunoise a bien séjourné en Côte-d’Azur en 1994 et consulté un gynécologue sur place, celui-ci n’était aucunement italien… « Et le seul amant qu’on lui connaîtrait là-bas, que nous n’avons pas pu identifier, serait le fils d’un émir, qui l’aurait comblée de cadeaux et de bijoux. »
Fausse piste. D’autant que l’unique petit-ami d’origine italienne connu de la jeune femme (relation qui date également de 1994), qui vivait à Beaune et n’était nullement gynécologue, avait été rapidement mis hors de cause. Pour l’ex-enquêteur bourguignon, pas de doute : « Didi nous a baladés. »
Les pistes brouillées, le château de cartes s’écroule
Un mobile incertain, pas de preuve matérielle, pas d’aveux… Malgré deux témoins et des mensonges apparents, aux yeux du juge d’instruction, la tâche s’annonçait périlleuse pour amener le suspect devant la cour d’assises de Saône-et-Loire. Elle l’est devenue plus encore lorsque les pistes ont été définitivement brouillées.
Car quelques mois après la mise en examen du dealer, son compagnon le plus loquace se rétracte devant le juge, revenant à sa version initiale du Tropicana, mettant en cause « la pression » exercée par les gendarmes, soulignant que Didi lui avait en fait parlé d’une Renault 21 durant le trajet... Et affirmant avoir rencontré dans la discothèque de Torcy trois hommes, trois nouveaux témoins.
« Ils ont eu le temps de se concerter, trop de temps s’est écoulé malheureusement », présume l’ancien limier de la SR, non sans amertume. Exhorté par le beau-frère du "caïd" à dire la vérité, comme celui-ci l’expliquera lui-même aux gendarmes, le trio confirme ainsi avoir vu Didi et ses deux amis au Tropicana.
Et ce alors même que, dans la confusion la plus totale, le suspect avait changé d’alibi un mois après sa mise en examen. Depuis, il maintenait être allé avec ses deux amis... à Dole.
« Encore un mensonge », affirme Claude Jeanguenin. Alors que Didi se justifiait en assurant avoir aidé, sur le chemin du retour, au niveau de Glanon sur l’A39, un automobiliste allemand en panne, celui-ci s’est avéré introuvable. Et le dépanneur censé être intervenu a assuré n’avoir réalisé aucune opération ce soir-là.
« Au final, met en évidence l’ancien enquêteur, on en revient toujours à la place Madeleine et aux témoignages des deux femmes. » Sans pouvoir aller plus loin. Le glas de cette piste, bloquée sur cette fichue place, avait sonné.
Après une remise en liberté de Didi le 16 janvier 1998, sous contrôle judiciaire et avec une assignation à résidence à Trappes (Yvelines), le non-lieu est finalement prononcé le 5 avril 2002 par le juge d’instruction Frédéric Jacques. Le procès de l’amant trouble de Virginie n’aura pas lieu. Au grand dam du major et de la famille, qui tombe des nues.
« Qu’est-ce qu’on a contre lui ? Deux témoignages de deux personnes de la même famille qui nous disent qu’elle est montée dans sa voiture », posait maître Céline Bouilleret*, l’avocate de Didi, pour Au bout de l’enquête sur France 2. Elle s’estimait en outre surprise « qu’il n’y ait que deux témoignages » dans ce sens. « Il y avait du monde place Madeleine le soir et a priori beaucoup connaissaient Virginie Bluzet et notre client. »
Et de pointer l’absence de mobile évident : « Comment peut-on imaginer que pour une dispute il la tue ? »
Claude Jeanguenin le concède : « Il nous a manqué quelque chose. Et, comme pour Carole Soltysiak, cela me pèse, j’y pense souvent. » Pour lever le voile sur la vérité, l’enquêteur à la retraite ne voit qu’une solution : « Il faudrait que quelqu’un parle. »
Mais il n’en démord pas pour autant, le témoignage des deux femmes est fiable selon lui. « Il est pour moi capital. » Et de se questionner, inlassablement : « Pourquoi il nie l’avoir fait monter dans son 4x4 ? Pourquoi il nous baladait de droite à gauche ? Pourquoi nous emmener dans des alibis qui ne tiennent pas la route ? » La nuit du 7 recèle encore bien des secrets.
* Il est à noter que maître Céline Bouilleret n’a pas pu avoir l’accord de son client pour nous accorder un entretien.
Le coup de téléphone qui a tout changé
La résignation l’étouffait depuis l’annonce du non-lieu. « Je n’ai plus eu envie de me battre, j’ai eu envie de tout abandonner », se souvient Michel avec douleur, tandis que le chagrin avait également profondément touché son épouse, décédée deux ans après cette décision, en 2004.
« Au moins, avec l’association on se bagarre. »
Pour se relever, ce dur au mal avait besoin d’aide. Elle est venue de l’association Christelle, basée à Blanzy, qui réunit des familles de Saône-et-Loire fracassées elles aussi par les meurtres non élucidés de leurs enfants. Elle est venue d’un coup de téléphone de Marie-Rose Blétry, à l’origine et aujourd’hui présidente de cette structure. « Marie-Rose m’a appelé un jour et m’a invité à faire partie de l’association. Heureusement, autrement j’aurais tout laissé tomber je crois. On est dégoûtés… Au moins, avec l’association on se bagarre », souligne Michel. « C’était en 2006, se remémore Marie-Rose. Il subissait les événements, avait perdu l’envie de se battre. On a mis du temps à le retrouver mais il a dit oui tout de suite. »
Le combat repris, l’espoir est alors peu à peu revenu, d’autant plus depuis la réouverture du dossier en 2010, justifiée par les progrès scientifiques en matière de recherche ADN. Une démarche restée vaine mais d’autres pistes se sont ouvertes dans la foulée - Pascal Jardin et Michel Fourniret - et l’envoi du dossier au tout récent pôle cold cases de Nanterre donne du baume au cœur à Michel Bluzet. « Je croise les doigts. »
Au milieu des incertitudes, de nouvelles pistes à explorer
Avec qui Virginie Bluzet se serait-elle présentée devant l’appartement de la sœur d’Akila, rue Maufoux, à la recherche de cette dernière, ce soir du 7 février entre 23 h et 23 h 30 ? Les enquêteurs n’ont jamais pu identifier cet individu. Ils savent seulement qu’il a été présenté comme « un pigeon ». Car Virginie avait un vice, celui de séduire, avec Akila, des hommes fortunés afin de « leur faire les poches » et de se faire offrir des cadeaux.
Dans une ville où richesse et pauvreté se croisent plus qu’ailleurs, restaurants, entrées en discothèque, vêtements ou encore hébergements étaient ainsi obtenus sans que, selon les propos d’Akila tenus aux gendarmes, cela n’engage de relations sexuelles.
« Pour avoir des certitudes, c’est difficile... »
De là à imaginer que cet homme ou un autre de ces "pigeons" puissent avoir un rôle dans la disparition de la jeune femme, il y a un pas qui n’a jamais été franchi. « Parce que nous avions ces deux autres témoins, fiables, qui la voient après, explique le major Jeanguenin. Et le problème du témoignage des sœurs d’Akila, c’est qu’on est dans un milieu où ça ment régulièrement. Pour avoir des certitudes, c’est difficile... »
Les déclarations d’autres témoins de la soirée divergent en effet parfois amplement. Deux d’entre eux, qui se trouvaient au 33, déroulent un récit qui colle à celui de Didi (bien qu’ils n’aient pas vu Virginie partir), sauf que l’un des deux assure avoir vu Virginie et Akila ensemble sur la place. Un autre indique tout bonnement avoir emmené les deux jeunes femmes à la ZUP de Beaune après 22 h et affirme qu’elles étaient en compagnie de « deux gitans de rencontre ». Et un dernier prétend quant à lui avoir vu Virginie téléphoner depuis une cabine publique place Madeleine, vers 1 h 15-1 h 30…
Autant de déclarations invérifiables ou jugées erronées par la section de recherche de Dijon. « Quel crédit leur donner ? On les prend, mais ces témoins pouvaient vouloir protéger ou craindre Didi. Certains ont fait de la prison, alors que l’un d’eux était une épave ce soir-là... »
Au milieu de tant d’incertitudes, la possibilité que l’auteur du meurtre puisse être tout autre est donc éxaminée aujourd’hui. « On ne peut pas exclure l’effet tunnel dans lequel s’enferment parfois les enquêteurs en ne privilégiant qu’une piste de l’entourage, argue maître Didier Seban, l’avocat de la famille. Celle de l’amant a été beaucoup explorée et elle n’a pas abouti. Sans l’écarter, il faut donc aussi savoir regarder ailleurs. »
La mise en scène du meurtre de la Beaunoise de 21 ans rappelle notamment de manière troublante celle de Sylvie Aubert, un autre crime non résolu de la région. Le corps de cette femme de 23 ans avait été retrouvé, le 20 avril 1987, flottant dans la Dheune, partiellement dévêtu, son visage bâillonné et ses mains attachées dans le dos… Le tout à Saint-Loup-Géanges, pile à mi-chemin entre Beaune et Verdun-sur-le-Doubs.
Aucun rapprochement n’avait pu être effectué à l’époque entre cet homicide et celui de Virginie Bluzet, « J’ai été sur les lieux, on a vérifié s’il y avait un lien, mais non, rien », assure Claude Jeanguenin.
Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, le mobile sexuel ne peut être exclu. Dans celui de Virginie, bien que nulle trace d’agression ou de viol n’ait pu être relevée après un mois dans l’eau, le fait que la partie inférieure de son corps ait été retrouvée nue interpelle. « Ça renforce l’idée du caractère sexuel du meurtre », appuie maître Seban.
En ce sens, les hypothèses de tueurs déjà condamnés et répondant à un profil de prédateur sexuel ont donc été posées sur la table. Et la police judiciaire de Dijon a été chargée, à la fin de l’année 2020, de se pencher sur les parcours criminels de Michel Fourniret et Pascal Jardin. « Sans eux, le dossier serait fermé », concède Michel Bluzet.
La piste du premier, 54 ans au moment des faits, qui a avoué avec sa compagne Monique Olivier onze meurtres (onze femmes âgées de 9 à 31 ans), a vu un premier échec advenir en juin 2023. Puisque les analyses effectuées dans la camionnette du tueur en série, qui contient une centaine d’ADN inconnus, n’ont pas relevé celui de Virginie Bluzet.
Il s’est avéré pour autant impossible de localiser précisément "l’ogre des Ardennes" le 7 février 1997, jour de la disparition de Virginie. Alors que l’un de ses crimes, le viol et le meurtre de Joanna Parrish, présente certaines similitudes, la Britannique ayant été retrouvée nue dans une rivière du nord de la Bourgogne.
Aussi, pour maître Didier Seban, « les investigations de la PJ ne sont pas concluantes ». Et d’autant plus en ce qui concerne Pascal Jardin. « On n’a pas écarté ou retenu la présence possible de Pascal Jardin ce soir-là sur les lieux du crime de Virginie Bluzet, c’est une hypothèse qui reste donc ouverte », constate l’avocat parisien. La piste de cet homme, alors âgé de 38 ans en février 1997, s’appuie sur quatre points.
Primo, il commet le meurtre de Christelle Blétry, 20 ans, seulement quelques semaines avant la disparition de la jeune Beaunoise, soit le 28 décembre 1996, et ce à Blanzy, à une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau de Beaune.
Secundo, le restaurant de l’aire de Beaune-Tailly, où a travaillé un temps Virginie Bluzet, était livré par l’entreprise Sodifragel, notamment par l’intermédiaire d’un de ses employés : Pascal Jardin.
Si la jeune femme n’y exerçait pas au moment de sa disparition, « elle ne travaillait pas du tout car elle était malade, elle souffrait d’anémie », indique son père, cela ne semble pas incompatible avec le mode opératoire de cet homme.
Le policier Raphaël Nedilko, qui l’a fait passer aux aveux dans l’affaire Blétry, souligne en effet dans son livre L’Obstiné (Éd. Studiofact, 2023) comment le meurtrier, sur la base de l’agression sexuelle qui l’a fait tomber, semblait repérer au préalable ses victimes. « Le modus operandi de Pascal Jardin, avec repérage préalable, dessine une personnalité de chasseur qui choisit une proie hors de son entourage pour assouvir ses désirs de violence sexuelle », écrit-il. Bien qu’il note que cela n’a en revanche jamais pu être prouvé dans le cas de Christelle Blétry.
Tertio, le profil psychologique de cet homme au premier abord banal, évalué avant son procès pour le meurtre de Christelle Blétry en février 2017 (qui l’a vu être condamné à perpétuité), coche plusieurs cases de celui d’un potentiel meurtrier en série. « Il y a la force de la haine, la prévalence de la destructivité sur la sexualité, la capacité d’agir comme si c’est l’acte d’un autre et de n’en garder aucune culpabilité », énumérait lors du procès le docteur Daniel Zagury, expert psychiatre. « Il est d’autant plus dangereux qu’il passe inaperçu », appuyait le docteur Chevance, autre expert psychiatre appelé à la barre.
Quarto, toujours lors de son procès, alors qu’il tentait de banaliser sa rencontre avec Christelle Blétry, Pascal Jardin expliquait qu’il lui arrivait d’avoir des relations fugaces avec des jeunes femmes, de les prendre en stop et, comme l’a écrit maître Corinne Herrmann - alors associée de maître Didier Seban - dans le livre Nous, avocats des oubliés (Éd. JC Lattès, 2020), il lâche deux prénoms féminins, que les enquêteurs notent sur procès-verbal et qu’il répétera lors de ses deux procès successifs : « Sylvie et Virginie. »
Si vous avez vu ou si vous vous souvenez de quelque chose, signalez-vous auprès de l’Association Christelle ou des autorités compétentes.
L’Association Christelle, basée à Blanzy, aide les familles victimes d’agressions criminelles. Pour financer les frais inhérents à la gestion de ces affaires, elle a besoin de dons et de bénévoles. Tél. 06.06.71.06.71.