Des phénomènes météorologiques appelés à se reproduire

Deux spécialistes des orages, Raymond Piccoli astrophysicien, qui travaille sur « l’étude et l’analyse des effets de la foudre au point d’impact » et Yannick Morey, passionné de météorologie et administrateur de la page Facebook Météo Saône-et-Loire, font le point sur ce phénomène météorologique.

Le ciel à Saint-Léger-lès-Paray, avant le violent orage qui a secoué le Charolais. Photo Matthieu VIAL

Le ciel à Saint-Léger-lès-Paray, avant le violent orage qui a secoué le Charolais. Photo Matthieu VIAL

« On observe de plus en plus d’orages supercellulaires »

Photo Will HIEN

Photo Will HIEN

Raymond Piccoli est astrophysicien, spécialiste dans « l’étude et l’analyse des effets de la foudre au point d’impact ». Expert des phénomènes orageux, il est à la tête du Laboratoire national de recherche sur la foudre, basé dans le Cantal. Et il connaît bien ces phénomènes météorologiques qui se multiplient en Europe, à base de vents violents, de grêle et de foudre.

Avant même d’évoquer l’orage du 21 juin qui a dévasté une partie du Charolais, l'astrophysicien Raymond Piccoli précise que « les orages sont les phénomènes les plus puissants que l’on connaisse. Il y en a entre 2 000 et 2 500 en permanence autour de la planète. Et il faut savoir qu’ils ont une utilité essentielle. Chaque orage, notamment la foudre, joue un rôle de régulateur des champs électriques de la terre et de l’atmosphère. Sans orage, il n’y aurait pas de vie sur terre. »

Reste que la violence des orages est difficilement prévisible. « On a beaucoup de machines, mais les prévisions sont de moins en moins tenables. La pollution change les choses, l’atmosphère n’est pas stable et l’homme continue de polluer en permanence. Comme tout a une utilité, même la poussière, tout changement a une conséquence. Les climats changent. »

Photo fournie par le Département

Photo fournie par le Département

Un orage supercellulaire au-dessus du Charolais

Au vue de la photo du ciel charolais, prise quelques minutes avant le déluge du 21 juin, Raymond Piccoli est formel.

 « C’est une splendide supercellule ! Elle fait partie des phénomènes observés entre le 18 et le 23 juin dernier en France. Dans notre pays, on n’a pas l’habitude, surtout officiellement, de parler d’orages supercellulaires. Ce sont des phénomènes habituels en Amérique du Nord, avec des vents très violents, un ciel de nuit en pleine journée, et des grêlons de plus de 5 cm de diamètre. C’est ce que le Charolais a connu le 21 juin. Alors, même si la nomenclature météorologique française ne le reconnait pas, il s’agit pourtant bien d’orages supercellulaires. De manière empirique, les spécialistes observent tous qu’il y en a de plus en plus en France. On le constate. »

Un grêlon qui tombe de 10 km de haut est potentiellement mortel

On observe désormais des phénomènes de plus en plus violents selon l’expert.

 « Quand un grêlon de plus de 5 cm tombe de 10 km de haut, c’est potentiellement létal ! Un orage, c’est un système de convection, avec de l’air chaud et humide qui monte, avec de l’eau qui se transforme en glace, dont une partie qui retombe. Un nuage d’orage peut monter à 15 km de haut, avec des hydrométéores qui se forment. Des vents violents forment un vortex qui agit comme une machine à pop-corn. Tous les orages donnent de la grêle, mais elle arrive souvent fondue au sol. Il faut savoir que si un grêlon de 5 ou 6 cm arrive au sol, c’est qu’il faisait plus de 20 cm dans le nuage ! Le problème, ce n’est donc pas qu’il y ait des orages, mais que les supercellules se multiplient, avec des vents en altitude qui oscillent entre 150 et 300 km/h. »

Photo Will HIEN

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Il faut anticiper et s’adapter

Quant aux moyens de s’en prémunir, Raymond Piccoli n’a pas de secrets. « Il faudrait déjà que la météo officielle accepte de parler de supercellules et nuance les alertes. Ensuite, concrètement, certains pays prennent en compte la violence croissante de ces phénomènes. En Italie, par exemple, lorsque des volets en plastique sont cassés par la grêle, des Régions paient un complément de l’assurance pour en poser des plus solides. D’autres pays aident à financer des abris pour voitures. Plus globalement, l’anticipation et l’adaptation sont les bases de la survie. »

DR

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Qui est Raymond Piccoli

Raymond Piccoli est astrophysicien, spécialiste de l’étude de la foudre et des orages de haute altitude. En 1998, au sein d’un laboratoire, au Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics de Cambridge (Massachusetts), il a collaboré au radiotélescope SMA. Il a aussi participé au SMTO de l’Université d’Arizona, à la calibration de l’un des tout premiers télescopes de pointage optique pour un instrument de radioastronomie. À partir de 2008 le Groupe d'étude sur la Foudre est devenu le Laboratoire de recherche sur la Foudre situé à Champs-sur-Tarentaine (Cantal), qui est dirigé par Raymond Piccoli. Ce dernier préside aussi le Comité scientifique du Symposium international sur la Foudre et les Phénomènes Orageux (ISL-SRP), et est expert pour plusieurs agences gouvernementales (dont le GEIPAN). Il participe à de nombreux programmes et projets de recherches en France et à l'étranger. Auteur de plusieurs livres, il donne chaque année plusieurs conférences.

Yannick Morey, la tête dans les orages

Photo fournie par Yannick MOREY

Photo fournie par Yannick MOREY

Administrateur de la page Facebook Météo Saône-et-Loire, qui rassemble 15 000 abonnés, Yannick Morey est passionné par les phénomènes orageux. Il retrace l’épisode du 21 juin.

Depuis 2011, Yannick Morey, technicien de laboratoire, place les orages au centre de ses préoccupations. « Je fais l’étude des phénomènes orageux violents sur le département pour améliorer la climatologie orageuse et compléter le travail de recensement de l’observatoire Keraunos (Observatoire Français des tornades et des orages violents, NDLR) », confie-t-il. Et ses résultats sont clairs : le sud-ouest du département, en l’occurrence, le Charolais-Brionnais est un territoire propice aux grondements du ciel. « Cette zone récupère les orages qui se forment sur l’Allier, le Puy-de-Dôme et la Loire et qui évoluent très souvent en supercellules destructrices. L’orage supercellulaire est le stade ultime de l’orage, explique Yannick Morey. C’est un orage avec une puissante colonne de convection rotative, avec une longue durée de vie, qui peut donner tous les phénomènes orageux les plus violents. »

Pas de tornade le 21 juin

L’orage du 21 juin 2022, qui a donc dévasté une bonne partie du Charolais, puis du Brionnais, appartient à cette caste. Son passage ne pouvait être que désastreux. « Il présente les caractéristiques d’un orage hors normes. Il s’est formé sur l’Allier vers 16 h et a abordé notre département entre 17 h et 19 h. Caractérisé comme une supercellule HP (high précipitation) par l’observatoire Keraunos, il cumule à la fois des précipitations intenses, des grêlons dépassant localement 5 cm de diamètre dans les environs de Paray, et un vent qui a été mesuré à 104,4 km/h à la station de Paray-le-Monial/Saint-Yan. Localement, il a pu dépasser 150 km/h, voire 200 km/h. Ces données sont estimées par les dégâts provoqués, aucune mesure n’étant disponible », insiste ce passionné de météo.

Par ailleurs, Yannick Morey entend tordre le cou à des analyses parfois un peu trop simplistes, suite à l’épisode historique du 21 juin. « L’étude des dégâts venteux associée à cet orage met en lumière une zone venteuse impactée de plus de 70 km de long et de 7 à 13 km de large, pour une superficie approximative de 840 km². Cette étude de terrain a validé l’occurrence d’une violente et vaste macrorafale sous cette supercellule, mais n’a pas retrouvé de trace de tornade comme cela a pu être évoqué. Le phénomène de macrorafale a tendance à exploser tant en nombre qu’en intensité ces dernières années sur notre département. Il ne fait aucun doute que des masses d’air de plus en plus chaudes favorisent ce type de phénomène venteux destructeur. » Les macrorafales sont des rafales de vent descendantes provoquant des dégâts sur une diagonale supérieure à quatre kilomètres.

Des arbres déracinés à Champlecy. Photo Yannick Morey

Des arbres déracinés à Champlecy. Photo Yannick Morey

Pourquoi les orages sont-ils fréquents en Saône-et-Loire ?

En France, la Bourgogne, et plus particulièrement la Saône-et-Loire, n’est évidemment pas la seule terre régulièrement frappée par les orages. Mais les spécialistes s’accordent à le dire : notre département est bel et bien sujet à ces phénomènes météorologiques. La Bourgogne Franche-Comté figurait même en première place des régions les plus foudroyées au premier semestre 2022. « Oui, les orages sont assez récurrents, confirme Stéphane Nedeljkovitch, météorologue à MétéoNews. En Bourgogne, on est sous l’influence de l’air méditerranéen qui est chaud et instable, et continental qui amène de l’air chaud du centre de l’Europe. En troisième lieu, il y a aussi l’influence océanique qui peut apporter de l’humidité et de l’instabilité. »

Chaleur et humidité, le cocktail

Ce sont ces conflits de masses d’air qui provoquent les orages. Mais ce n’est que très rarement la rencontre des trois courants, en simultané, qui provoque la colère du ciel. Le télescopage de la chaleur et de l’humidité suffit à faire tomber la foudre. Au cœur du cocktail, on retrouve toujours le climat continental, celui qui amène la chaleur. Les courants océanique et méditerranéen se chargent, quant à eux, d’apporter l’humidité.

Fort heureusement, les orages du mois de juin dernier n’ont provoqué aucun décès.

Photo Will HIEN

Photo Will HIEN