Grêle sur le Charolais : le traumatisme du 21 juin

Le 21 juin, un violent orage s'abat sur le Charolais. En quelques minutes, la grêle fait des ravages. Six mois après, comment le territoire panse-t-il ses plaies ? Nous revenons, en quatre épisodes, sur cet événement marquant. Aujourd'hui, nous replongeons dans cette sombre journée du premier jour de l'été.

Photo JSL/Charles-Edouard BRIDE

Photo JSL/Charles-Edouard BRIDE

Mardi 21 juin 2022. Depuis quelques heures, l’été a officiellement pris ses quartiers dans l’hexagone. Un jour ordinaire, avec ses éclaircies, ses nuages blancs et moutonneux, sa douceur bienvenue. L’heure est à la préparation de la traditionnelle fête de la musique : au loin résonnent quelques instruments de musique qui se règlent avant la soirée. Les bulletins météos ont annoncé la poursuite de la canicule, mais aussi l’apparition d’orages, mais la population du Charolais-Brionnais s’attend à un banal passage orageux.

Quand vers 17 h 20, le ciel s’assombrit au-dessus du Charolais. Celles et ceux qui ont une vue dégagée au-dessus du bassin de vie de Paray et Digoin voient une formation nuageuse plutôt inhabituelle : c’est une super-cellule orageuse qui se forme. Quelques minutes plus tard, c’est un véritable voile sombre qui occulte la vision. Et avec une violence inouïe, un couloir de grêle s’abat sur le Charolais.

À Chassenard, à 17 h 15. Photo DR

À Chassenard, à 17 h 15. Photo DR

Les grêlons recouvrent les champs, comme ici à La Motte-Saint-Jean. Photo JSL/Emmanuel DALIGAND

Les grêlons recouvrent les champs, comme ici à La Motte-Saint-Jean. Photo JSL/Emmanuel DALIGAND

D’abord du côté de Molinet et Chassenard, où des masses de grêlons s’accumulent sur les routes et les champs. Un habitant filme l’extérieur de sa maison : des météorites glacées détruisent son mobilier de terrasse et créent des gerbes d’eau dans sa piscine.

C’est le début d’un couloir de grêle dévastateur, qui va poursuivre son avancée vers Digoin, Vitry-en-Charollais, Saint-Léger-les-Paray, Paray-le-Monial, Volesvres, pour finir sa course à Champlecy. Tout au long de cet axe, les voitures et les toitures sont touchées, frappées de plein fouet.

En quelques minutes, c’est la sidération chez les habitants. On ferme ses volets à la hâte, on entend le bruit à la fois sec et sourd des grêlons en train de casser les tuiles ou le matériel. Certains se cachent sous une table ou se regroupent pour se protéger, la peur prenant le pas sur la surprise. Sur la route reliant Digoin à Paray, les voitures s’immobilisent, la visibilité est presque nulle et les pare-brise se fissurent. Chaque victime vit ces moments dans l’impuissance, réduite à de simples témoins des aléas climatiques, de la force dévastatrice de la nature.

Vers 18 h, l’orage est déjà passé. On s’extirpe des voitures, on sort des entreprises et des commerces. Et on est atterré par les spectaculaires dégâts. Des arbres jonchent les rues et les routes, l’électricité est coupée sur plusieurs secteurs, les voitures sont toutes bosselées. Du côté de la zone artisanale de Barberêche, à Vitry-en-Charollais, les commerçants voient les toits de leurs bâtiments complètement percés et les vitrines brisées en 1000 morceaux. On tire les rideaux, à défaut de tirer un premier bilan.

Les appels téléphoniques s’enchaînent alors : pour contacter ses proches, pour joindre les secours, pour interpeller son assureur. Les pompiers sont tous mobilisés et certains viennent de tout le département, pour venir en urgence dégager les axes routiers et poser les premières bâches sur les toits. C’est aussi le ballet incessant des camions de dépannage, qui prennent en charge les véhicules détruits.

Selon des chiffres fournis par la Communauté de communes du Grand Charolais, en quelques minutes, plus de 6 000 véhicules et plus de 1 000 toitures auraient, au minimum, été plus ou moins gravement endommagés. Ce 21 juin, de 18 h à 22 h 30, les pompiers de Saône-et-Loire ont dénombré 445 interventions. Au final, en huit jours, 1 250 interventions ont été réalisées, mobilisant 100 engins, ainsi que 150 sapeurs-pompiers chaque jour, dont 50 en provenance des services de secours du Doubs, de la Marne, de la Haute-Marne, du Haut-Rhin et de la Haute-Saône.

Dans cette maison de Saint-Léger-lès-Paray, la grêle a fait des dégâts jusque dans le salon. Photo JSL/Cécile CONSTANT

Dans cette maison de Saint-Léger-lès-Paray, la grêle a fait des dégâts jusque dans le salon. Photo JSL/Cécile CONSTANT

Le long du canal du centre entre Paray et Palinges. Photo JSL/Charles-Edouard BRIDE

Le long du canal du centre entre Paray et Palinges. Photo JSL/Charles-Edouard BRIDE

Sur la zone de Barberêche, à Vitry-en-Charollais. Photo JSL/Hervé BACHELARD

Sur la zone de Barberêche, à Vitry-en-Charollais. Photo JSL/Hervé BACHELARD

André Bacon : « Les clientes hurlaient, des petites filles pleuraient, tout le monde se demandait ce qui arrivait dehors »

Le 21 juin dernier, André Bacon était au lieu-dit Barberêche, à Vitry-en-Charollais. Avec son épouse, il était venu faire des courses dans les magasins de cette zone commerciale et artisanale. Six mois plus tard, il se souvient pourtant d’une journée qui avait commencé comme les autres. « Le ciel était clair puis il s’est couvert, mais comme un orage habituel, sans plus. » Après être entré dans le magasin de chaussures MRJ, la situation a pris une tournure beaucoup plus menaçante. « Il y a eu un coup de vent très fort, le ciel est devenu noir et comme en pleine nuit, la grêle est arrivée… elle est tombée brutalement, comme des tirs de mitraillettes ! Et on a vu les plaques du plafond tomber les unes après les autres. La grêle cassait le toit en fibro-ciment, s’accumulait sur l’isolant pour finir par faire tomber l’eau du plafond… Je n’avais pas encore vu l’enfer, jusqu’à ce jour-là. On a eu la peur de notre vie ! »

André a aussi été marqué par l’atmosphère de peur qui régnait. « Ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas vraiment comprendre… Mais les clientes hurlaient, des petites filles pleuraient, tout le monde se demandait ce qui arrivait dehors. La patronne a crié pour qu’on se regroupe près de la caisse, où il y avait un double plafond. On a donc attendu quelques minutes là, serrés les uns contre les autres. »

Après le déluge, tout le monde est sorti du magasin pour constater le désastre. « Il y avait des grêlons comme des balles de ping-pong absolument partout. Je me suis dirigé vers ma voiture… qui était détruite et hors d’usage. »

André garde encore un souvenir marquant, celui de son retour jusqu’à sa maison de La Motte-Saint-Jean, à quelques kilomètres de là. « Dans le taxi commandé par notre assurance, par les fenêtres, on regardait les dégâts tout au long du parcours. C’était le désastre. À Digoin, tout le monde était dehors, sidéré par la catastrophe. Et nous, on se demandait dans quel état on allait retrouver notre maison. »

Arrivés à La Motte-Saint-Jean, c’était le soulagement. « La grêle n’est pas passée loin, mais la maison a été préservée. Je n’ai finalement eu que ma voiture qui a été complètement détruite, je ne suis pas le plus à plaindre. »

À écouter les témoins de l’orage du 21 juin dernier, on pense à un véritable traumatisme, comme André et son épouse l’ont vécu. « Ça peut paraître bizarre de dire ça, mais encore une fois, celles et ceux qui n’ont pas vécu cet orage, ont du mal à le comprendre. » Au-delà des dégâts matériels, il y a eu aussi des dégâts émotionnels.

Chez Didier Alex, à Saint-Léger-lès-Paray. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Chez Didier Alex, à Saint-Léger-lès-Paray. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

« Nous étions dans la maison et on entendait le bruit des tuiles cassées »

Un traumatisme qui a aussi affecté, parmi tant d’autres Charolais, Didier Alex. Cet habitant du lotissement des Mûriers à Saint-Léger-les-Paray, était chez lui quand la grêle a dévasté ce quartier.

« Le 21 juin, je rentrais du travail. On a vu un orage arriver, avec un ciel noir. On a décidé de fermer les volets. Et la grêle est arrivée, en deux épisodes. Le deuxième a été très violent. Nous étions dans la maison et on entendait le bruit des tuiles cassées. Ma fille s’est cachée sous la table tellement c’était impressionnant. Le bruit était assourdissant. Heureusement que nos volets étaient en matériau composite, ils ont bien résisté. »

Après le déluge, Didier Alex a constaté avec effroi les dégâts sur sa maison. « La plupart des tuiles étaient endommagées, la sous-toiture était déchirée. Il y avait des écoulements d’eau dans toute la longueur de la maison. Le toit du garage était percé, comme celui d’une chambre. C’était catastrophique. »

Après avoir récupéré des bâches, le soir-même, avec l’aide de son gendre, Didier protégeait son toit, « jusqu’à 23h45, avec aussi un habitant de Gueugnon venu spontanément offrir son énergie aux habitants du quartier ».

Une partie de la maison étant très endommagée, il a fallu entreposer du mobilier dans un box. Et vivre sans électricité pendant plusieurs jours, seulement alimentés par des rallonges branchées chez des voisins solidaires. « On a vécu comme on a pu, dans la moitié de notre maison, pendant plusieurs mois. La toiture est entièrement à refaire, il y a un trou dans la paroi d’une chambre, les plafonds sont abîmés… ».

Six mois après cet orage de grêle historique, les habitants sont encore marqués. Beaucoup de dossiers d’assurance ne sont toujours pas clos. Et il est devenu commun de croiser, entre Paray et Digoin, des voitures toutes bosselées, preuves ostentatoires du déluge. Et comme nous le confiait un Parodien récemment : « dès qu’un orage arrive, dès que de la grêle est annoncée, on a le cœur qui bat un peu plus vite… ».