Ehpad en Saône-et-Loire :
Et maintenant,
on fait quoi ?

Long format "Les Ehpad en Saône-et-Loire :
au plus près de la réalité" (épisode 7/7)

Dessin Sébastien LACOMBRE

Dessin Sébastien LACOMBRE

Le constat est à peu près partagé par tous : pour x raisons que nous avons évoquées, la prise en charge des personnes âgées dépendantes dans les Ehpad n’est pas satisfaisante. Pour clore ce dossier, l’heure est venue de s’interroger sur la suite à donner à toute l’agitation politique, médiatique et sociétale engendrée par la parution en début d’année du livre Les Fossoyeurs. Car s’il existe des alternatives (maintien à domicile, résidences seniors), les Ehpad ont encore de l’avenir. Mais que faire pour y contenir, sinon éradiquer, toute forme de maltraitance ?

Après “l’affaire Orpea”, ce que constate et préconise la mission d’information sénatoriale

On ne compte plus les travaux (gouvernementaux, parlementaires) produits sur la question de la dépendance. « Une loi grand âge a été évoquée au moins lors des trois derniers quinquennats, sans aboutir », rappelle un rapport publié le 12 juillet 2022. Ce rapport, c’est celui de la mission d’information sénatoriale lancée au lendemain de “l’affaire Orpea” déclenchée par le livre de Victor Castanet. En complément des précédents travaux menés par cette même commission des affaires sociales du Sénat (qui ont tous déjà pointé « la crise profonde que traverse le modèle de ressources humaines en Ehpad »), ce énième rapport est axé sur la question du contrôle des Ehpad, et notamment sur l’utilisation des fonds publics. Que dit-il ?

« Aveu d’échec »


D’abord, il dresse des constats. Ainsi le plan de contrôle des
7 500 Ehpad en deux ans annoncé par le gouvernement « est un aveu d’échec », « la reconnaissance d’une insuffisance des contrôles programmés en routine ». La Cour des comptes, rappelle le rapport, « estime qu’aujourd’hui un Ehpad est contrôlé tous les 20 ou 30 ans (entre un et cinq établissements contrôlés annuellement selon les départements) ». Pour prévenir la maltraitance, « il convient de redoubler d’efforts pour faciliter la détection des situations problématiques graves en établissement ».

Les propositions majeures du rapport, maintenant. « Attribuer des moyens supplémentaires aux autorités de tarification et de contrôle pour accroître le nombre de missions d’inspections-contrôles dans le secteur médico-social » ; cela dans le but, ni plus ni moins, que de respecter les textes réglementaires qui encadrent l’activité et, le cas échéant, prendre des sanctions ; « examiner une loi grand âge visant à structurer un service public de la prise en charge de la perte d’autonomie répondant aux besoins et aux souhaits de la population. » On en revient à cette loi grand âge, visiblement la seule issue susceptible de changer radicalement le système actuel. À condition d’en avoir la volonté politique.

Le Département voudrait être seul aux manettes des Ehpad

C’était bien avant l’affaire Orpea. Dès le printemps 2019, le président du Conseil départemental de Saône-et-Loire souhaitait que la ministre de la Santé l’autorise à gérer seul les Ehpad du département. Le copilotage de ces établissements avec l’Agence régionale de santé, qui décide des ouvertures de places, « n’est pas satisfaisant ni pour les usagers, ni pour les familles, ni pour les personnels, ni pour les élus », jugeait déjà André Accary, qui estimait - et estime encore - qu’il pourrait mieux faire tout seul. L’idée du président Accary était d’expérimenter, dans un premier temps, cette façon de faire sur un petit nombre d’établissements. « Je souhaite que le Département soit seul aux commandes, avec les moyens financiers correspondants, afin d’avoir une vraie vision stratégique à 10 ou 15 ans », expliquait-il au sortir d’un entretien à l’Élysée, non pas avec le président Macron, mais avec sa conseillère santé. Cette demande n’a, finalement, pas été acceptée, regrette encore aujourd’hui la vice-présidente du conseil départemental en charge des affaires sociales, Claude Cannet. Celle-ci rappelle : « Au niveau du Département, on agit sur tous les champs possibles pour améliorer les choses. On fait tous le constat qu’il faut des moyens supplémentaires pour le grand âge. Ça viendra forcément par un plan national. Je suis plutôt optimiste. »

A photo of Kellar

André Accary. Photo Ketty BEYONDAS

André Accary. Photo Ketty BEYONDAS

Claude Cannet. Photo Ketty BEYONDAS

Claude Cannet. Photo Ketty BEYONDAS

Parce ce qu’ils font la loi : les propositions (ou pas) de nos députés

Rémy Rebeyrotte, député du groupe Renaissance

Photo Ketty BEYONDAS

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« On attend la fameuse loi du “grand âge” dont les moyens de financement seront liés à la réforme des retraites. Il faut financer tout ça. Il faut avant développer le maintien à domicile. La vocation à terme des Ehpad, c’est un accueil de fin de vie et de qualité sur une période courte. Reste aussi la dimension de la prise en compte de maladies comme Alzheimer. » En ce qui concerne les cas de maltraitance : « Je n’ai jamais été sollicité par des familles. Ça ne veut pas dire que la maltraitance n’existe pas. Mais globalement, nous avons des établissements de qualité en Saône-et-Loire, privés ou publics. Comme partout, il y a des établissements où ça se passe mal, mais c’est une extrême minorité. On a renforcé les moyens de contrôle. […] Je suis pour les contrôles inopinés. »

Josiane Corneloup, députée Les Républicains

Photo Ketty BEYONDAS

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« Je n’ai pas été davantage sollicitée depuis le scandale Orpea. En revanche, je l’ai été dans mon mandat, j’ai dû avoir 7 ou 8 plaintes de familles pour des problèmes de douche ou encore de visites. On m’avait demandé d’intervenir. Le sujet des Ehpad me préoccupe beaucoup, pour moi c’est un problème financier. La population vieillit, donc ce sont des personnes polypathologiques qui demandent plus de soins. Donc il faut plus de temps, il faut recruter. Mais ça augmenterait le coût des Ehpad pour les familles. Il y a un manque de personnel, les soignants sont épuisés. Et il y a un problème de recrutement. Il faut favoriser le maintien à domicile. »

Cécile Untermaier, députée PS

Photo Ketty BEYONDAS

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La députée, elle, avait annoncé au printemps son intention de déposer un projet de loi pour instaurer des contrôles inopinés des Ehpad par une autorité administrative indépendante. « L’Agence régionale de santé est juge et partie, elle ne peut pas faire ces contrôles. Il faut les confier à une institution qui ne puisse pas entrer dans un conflit d’intérêts », répète-t-elle aujourd’hui. Dans l’idéal, il faudrait selon elle créer une autorité administrative indépendante dédiée aux personnes âgées. Mais, « par souci de simplification et d’économie des politiques publiques », la députée socialiste a envisagé une autre solution : « On pourrait confier cette mission au contrôleur général des lieux de privation de liberté. Certes, c’est une autorité très connotée “prisons”, mais elle a un savoir-faire, une technicité qui pourraient être adaptés aux Ehpad. C’est une voie de la sagesse et de la modération financière qui me semble possible. » Dans tous les cas, insiste la députée, « il faut un dispositif pérenne pour effectuer des contrôles aléatoires et inopinés, de manière à éviter toute dérive et à rassurer les familles ». Cécile Untermaier assure que son « texte est prêt », mais préfère pour l’heure « cheminer avec d’autres pour faire prospérer cette idée d’une autorité indépendante pour effectuer les contrôles ». En parallèle, la députée de la Bresse et du Val de Saône souhaiterait que « la loi détermine un ratio de personnels par résidents » qui permette de mieux s’occuper de ces derniers.

La loi “grand âge” promise
par le président Macron enterrée

En 2018, l’année suivant son élection, le président de la République s’était engagé à porter une loi relative à la dépendance. Une volonté réaffirmée deux ans plus tard. Mais au terme de son premier quinquennat, Emmanuel Macron n’a pas tenu sa promesse. Va pour une loi “grand âge” pendant son second quinquennat, alors ? Eh bien non. Le projet a disparu de l’agenda présidentiel. Au printemps dernier, alors qu’il était candidat à sa réélection, le président a, plutôt qu’un projet de loi, promis des « mesures concrètes » visant à favoriser le maintien à domicile.
Concernant les Ehpad, et en réaction à l’affaire Orpea, le gouvernement a annoncé en mars dernier un plan qui prévoit le contrôle de 7 500 Ehpad français en deux ans. En campagne pour sa réélection, Emmanuel Macron a annoncé « le recrutement de 50 000 infirmiers et aides-soignants » dans les Ehpad. « C’est une avancée, mais cela ne compensera pas l’augmentation de la perte d’autonomie des résidents », a réagi dans Le Monde Marc Bourquin, conseiller stratégie de la Fédération hospitalière de France ; au regard des besoins, il en faudrait, selon lui, le double.

A photo of Kellar

Photo d'illustration Ketty BEYONDAS

Photo d'illustration Ketty BEYONDAS

Au Creusot, « on réfléchit à l’Ehpad de demain »

L’affaire Orpea a eu pour (seules) conséquences de questionner les équipes de l’Ehpad départemental du Creusot sur leur fonctionnement, leurs pratiques et leur relation avec les familles. Des réflexions déjà bien amorcées depuis la crise du Covid. Pour Florence Dardouillet, directrice déléguée des Ehpad de Montcenis-Le Creusot, l’impératif aujourd’hui est de remettre de la vie dans les Ehpad : « La crise du Covid a transformé les Ehpad en lieux de soins. Il faut qu’on revienne à la notion de lieux de vie. » En ce qui concerne la communication avec les familles, l’équipe de la structure publique a revu sa copie : « On a besoin de retravailler un lien de confiance avec les familles. On les rencontre une fois par an de manière institutionnelle. Mais on a décidé de changer un peu les modalités : de manière plus individualisée et avec plus de convivialité, autour d’un apéro. On s’est rendu compte que c’était mieux et qu’elles s’ouvraient plus. On veut mettre plus d’humain dans nos relations », poursuit Florence Dardouillet.

Des activités plus festives

Par ailleurs, l’Ehpad veut adapter ses activités aux profils des résidents, qui sont de plus en plus dépendants : « On essaie de faire des choses plus festives, davantage de choses rapport au sensoriel. » Par ailleurs, ces nouveaux profils les incitent à « repenser le système. On a de plus en plus d’unités spécialisées et des projets spécifiques. Ça rassure les familles et c’est valorisant pour les équipes. On a déjà cinq unités au Creusot. La sectorisation est une réponse adaptée. » Enfin, l’établissement planche sur le projet “L’Ehpad hors les murs” qui consiste à déplacer toutes les offres et les technologies disponibles de l’Ehpad à domicile. Ce dispositif est développé dans toute la France. « On réfléchit à l’Ehpad de demain, les profils changent, les besoins aussi, on pense aux générations futures. On ne vient pas en concurrence, l’idée c’est de compléter l’offre (NDLR : maintien à domicile) déjà existante. »

Un des bâtiments des Ehpad départementaux du Creusot.

Un des bâtiments des Ehpad départementaux du Creusot.

Florence Dardouillet. Photo Ketty Beyondas

Florence Dardouillet. Photo Ketty Beyondas