Chalon : les 11 ans qui ont accouché du nouvel hôpital
Le centre hospitalier William-Morey a tout juste 10 ans. Retour sur la décennie précédente, de la naissance du projet à sa réalisation.

Quand il débarque sur l’île Saint-Laurent en 1999 pour prendre la direction de l'hôpital de Chalon-sur-Saône, Michel Bravais a déjà en tête un grand projet, partagé avec le maire Dominique Perben : doter la ville d’un nouvel établissement.
« L’hôpital de l’île Saint-Laurent était ancien, construit à plusieurs époques, sans cohérence, avec un confort minimal pour les patients et des conditions de travail mauvaises pour le personnel. C’était un établissement public voué au déclin si on ne construisait pas un nouvel hôpital », recontextualise-t-il aujourd’hui.
Michel Bravais consacre alors une partie de son énergie pour bâtir un projet, le faire accepter et financer. « Ca a été compliqué, il a fallu se battre à chaque étape », reconnait l’ancien directeur (1999-2013). Il mènera son projet à bon port : 12 ans plus tard, Chalon-sur-Saône inaugure son flambant neuf « centre hospitalier William-Morey ». C’est toute cette période, les étapes, les coulisses, que nous retraçons ici.
Le choix du site :
un enjeu important
C'est une bonne base pour atteindre un objectif : à Chalon, tous les acteurs qui comptent s'accordent à dire qu'il faut un nouvel outil pour redonner à la ville de l'attractivité que le vieil hôpital lui fait perdre.
Quatre sites comparés à Chalon
Une étude de faisabilité est lancée dès 2000. Qui comprend dans un premier temps une étude comparative de quatre sites sur Chalon : celui existant sur l'île Saint-Laurent en envisageant une extension, le port nord, le site de Framatome, et les Prés Devant. L'île Saint-Laurent et Framatome sont rapidement écartés.

Un extrait de l'étude de faisabilité qui compare les sites de Chalon et Saint-Rémy. Document Projetud
Un extrait de l'étude de faisabilité qui compare les sites de Chalon et Saint-Rémy. Document Projetud
Et deux chez les voisins
L'agence régionale d'hospitalisation souhaite cependant que d'autres autres pistes soient aussi étudiées dans l'agglomération. Les communes alentour sont sondées, et deux sites supplémentaires entrent dans la course : à Saint-Rémy et Châtenoy-le-Royal. Nouvelle comparaison par le cabinet d'études : le port nord et Châtenoy sont éliminés.
Les Prés Devant à une large majorité,
mais pas à l'unanimité
Une nouvelle étude comparative poussée est menée entre les deux sites encore en lice : les Prés Devant à Chalon et Martoray à Saint-Rémy (ex Zac des Chaumes). Chacun a de solides arguments en sa faveur. Finalement, en septembre 2001, à une large majorité (14 voix pour sur 18), le conseil d'administration opte pour les Prés Devant à Chalon. Une étape importante vient d'être franchie.

Le site des Prés Devant où il a été décidé l'implantation du nouvel hôpital. Photo Archives de Chalon_49Num 3-1
Le site des Prés Devant où il a été décidé l'implantation du nouvel hôpital. Photo Archives de Chalon_49Num 3-1
Mais quelques mois plus tard, le maire de Saint-Rémy, Pierre Jacob, opposé politiquement au maire de Chalon, rue dans les brancards. Publiquement, il exprime "les inquiétudes des habitants de Saint-Rémy" sur les conséquences en tout genre "non négligeables sur leur vie quotidienne" : redéfinition de la circulation, augmentation du trafic, disparition d'un commerce, entre autres. Les San-Rémois ne sont pas mauvais perdants, ils ne veulent juste pas du nouvel hôpital aux Prés Devant, insiste Pierre Jacob, qui ne se fait que "l'écho" de ses administrés. Même s'il "partage leur point de vue".
"Chers habitants de Saint-Rémy". C'est ainsi que commence la longue lettre qui leur est adressée, en février 2002, par Dominique Perben, maire de Chalon et président du conseil d'administration de l'hôpital. Où ce dernier répond point par point à leurs interrogations pour les "rassurer".
Au-delà de Saint-Rémy, le choix d'implantation du nouvel hôpital est pointé du doigt par certains dans la mesure où il s'agit d'une zone en partie inondable. La polémique s'installe. "Gérer l'eau, on sait faire", évacuent les porteurs du projet.
Le débat est finalement clos en mai 2002, lorsque le ministre de la Santé Bernard Kouchner entérine le choix des Prés Devant.
L'architecte désigné sur concours
Une nouvelle étape est engagée fin 2002, qui va durer un an : le choix de l'architecte. Un concours restreint d'architecture et d'ingénierie est lancé. 28 cabinets candidatent (ils auraient pu être 30, mais deux ont rendu leur dossier hors délai).

En janvier 2013, le jury (composé de huit membres) se réunit une première fois. Au fil des votes successifs, il procède à des éliminations pour ne garder que trois candidats : les cabinets Brunet-Saunier, Peneau et SCAU.
Ceux-ci préparent ensuite leur projet en tenant compte des caractéristiques imposées : le nombre de lits, le coût, l'organisation par pôle, etc. En décembre 2003, le jury se retrouve à nouveau et désigne le lauréat : le cabinet Brunet-Saunier rafle la mise.
L'argent, le nerf de la guerre
Les années 2004-2006 sont consacrées à la réalisation des études complètes (elles sont très nombreuses), mais pas seulement. En parallèle se joue la plus rude bataille : convaincre Paris de soutenir financièrement le projet qui, on le rappelle, s'élève à quelque 160 millions d'euros (il coûtera finalement 235 millions). On a sélectionné deux échanges de courriers, où les Chalonnais frappent directement à la porte du ministre de la Santé, pour en illustrer la difficulté.
Janvier 2004. Dominique Perben est alors ministre de la Justice. Poids lourd du gouvernement, l'ancien maire de Chalon aborde le dossier directement avec son collègue de la Santé pour faire pencher la balance en faveur du projet.
"Le projet du nouvel hôpital de Chalon connaît quelques difficultés"
La réponse de Jean-François Mattéi n'invite guère à l'optimisme : "Le projet du nouvel hôpital de Chalon connaît quelques difficultés liées à la conjonction de deux facteurs négatifs : la situation financière actuelle du centre hospitalier, et la gestion globale du projet par l'ARH de Bourgogne qui ne m'apparaît pas satisfaisante", écrit le ministre de la Santé, qui prévient : "La conjonction de ces deux facteurs pourraient compromettre la signature des contrats de réalisation." Autrement dit, le projet pourrait ne pas se faire. Sueurs froides à Chalon.
"C'est la garantie du financement du nouvel hôpital qui est en jeu"
Deux ans plus tard, le maire de Chalon, Michel Allex, écrit lui aussi directement au ministre de la Santé, Xavier Bertrand. L'élu chalonnais réclame que la dotation annuelle de l'hôpital de l'île Saint-Laurent soit renforcée. Car, prévient Michel Allex, "l'importance du déficit chronique de l'établissement est telle que c'est la garantie du financement du nouvel hôpital qui est en jeu". Au bout du compte, des solutions seront toujours trouvées, puisque le nouvel hôpital se fera.

2006-2011 :
le projet se concrétise
Les études sont finies, les obstacles financiers sont levés. Ainsi le maire de Chalon peut délivrer, le 11 août 2006, le permis de construire. "Un pas de géant a été franchi", commente-t-on alors. Les travaux peuvent être programmés.
En inaugurant le chantier le 22 mars 2007, le maire qualifie le moment "d'historique". Les pelleteuses entrent en action et attaquent le terrassement.
En janvier 2008, Michel Allex, toujours, pose symboliquement la première pierre du futur bâtiment. A peine deux ans plus tard, en décembre 2009, celui-ci est hors d'eau, hors d'air.



L'hôpital inondé, mais pas à cause de la pluie...
On l'a dit, l'emplacement du nouvel hôpital est en partie inondable. Mais la pluie n'y est pour rien dans l'inondation qui touche 3 000 m2 de locaux (sur les 70 000 m2) au printemps 2011. La source de l'incident, c'est une rupture de canalisation d'eau chaude au dernier étage.

Le secrétaire général et ledirecteur technique font le point sur les travaux. Photo Sarah Fréquelin
Le secrétaire général et ledirecteur technique font le point sur les travaux. Photo Sarah Fréquelin
Alors que les délais étaient jusque-là tenus, l'incident occasionne un léger retard dans la finition des travaux, sans remettre en cause le déménagement programmé en septembre.
Un monde fou aux portes ouvertes
Les travaux ont été réceptionnés au mois d'août et, les 24 et 25 septembre 2011, l'hôpital flambant neuf peut accueillir le public pour des portes ouvertes exceptionnelles : 15 000 visiteurs viennent découvrir les lieux.
A l'époque adjoint au directeur de l'hôpital, avant d'en prendre la direction (2013-2018), Bruno Legourd garde un souvenir mémorable de ces portes ouvertes.
"Ce fut quelque chose d'assez exceptionnel"
De la naissance du projet à sa concrétisation, c'est, pour lui, le moment "le plus fort", celui qu'il cite sans hésitation quand on l'invite à se remémorer cette aventure. "C'était la rencontre entre toute une communauté hospitalière, de personnel qui s'est mobilisé pour les réussir, et toute la population. Ce fut quelque chose d'assez exceptionnel", confie-t-il aujourd'hui.



L'inauguration, enfin
Le 7 octobre 2011, le grand jour est arrivé. Michel Bravais, directeur de l’hôpital, François Philizot, préfet, Monique Cavalier, directrice de l’ARS, Christophe Sirugue, maire, Dominique Perben, ancien maire, et Jean-Paul Emorine, sénateur, coupent le ruban. 10 ans pour accoucher d'un nouvel hôpital, c'est finalement rapide, souligne-t-on avant de se réjouir d'offrir à la populationdu nord de la Saône-et-Loire un équipement high tech.

Quelques jours plus tard, l'établissemenr flambant neuf reçoit ses premiers patients. Les trois semaines suivantes sont consacrées au déménagement, service après service. Pour assurer la continuité des soins, cette dernière étape a nécessité une organisation au cordeau. Le soir du 2 novembre 2011, le vieil hôpital de l'île Saint-Laurent est entièrement vide. L'ambitieux projet a été amené à bon port. L'avenir s'écrit désormais aux Prés Devant.
William Morey, la mort en sauvant une vie
En décembre 1983, un jeune homme arrive à l'hôpital de Chalon. Il ne peut plus respirer, il faut pratiquer une trachéotomie pour le sauver. En poste depuis un mois seulement à Chalon, William Morey, médecin urgentiste alors âgé de 32 ans, s'en charge.
Dans l'urgence, le docteur originaire de Montpont-en-Bresse se coupe à l'index. Il ne le sait pas, mais il vient alors, en sauvant une vie, de contracter un virus mortel. Le patient est en effet porteur du Sida.
Ce n'est que quatre ans plus tard, par hasard, que William Morey apprend qu'il est contaminé par le VIH. Le brillant médecin, promis à un bel avenir, voit son destin brisé. Il continue néanmoins de travailler à l'hôpital jusqu'à son dernier souffle, qu'il rend le 20 novembre 1993. Il n'a que 42 ans, une épouse, deux enfants adoptés.
"L'hôpital, c'était sa vie"
"L'hôpital, c'était sa vie", confiera, lors de la pose d'une plaque commémorative dans le nouvel hôpital en 2015, son épouse Annie-Claude. L'ancien hôpital portait déjà son nom, il était naturel que le nouveau continue d'honorer la mémoire de William Morey.

La plaque commémorative, installée dans le hall. Photo J.-M. Mazué
La plaque commémorative, installée dans le hall. Photo J.-M. Mazué