Anthony Lambert,
17 ans, retrouvé mort dans un champ à Lugny : un an et demi de flou
Sommaire
1. L'affaire
2. Les dates clés du dossier
3. L'infographie
4. Entre les mains de la justice
5. Concept Ressource, une association au centre des débats
6. Le témoignage d'un ancien éducateur de Concept Ressource
7. Nadège, la sœur biologique d'Anthony : « Niveau mensonge, on est au top »
8. Le conseiller municipal de Lugny qui a alerté le parquet
9. Le vigneron qui filme Anthony, courant dévêtu dans les vignes
10. L'avocat parisien qui a repris le dossier
11. L'ancien président de Concept Ressource se défend
12. La députée estomaquée par cette affaire
13. Celui qui a pensé Concept Ressource
14. Déborah Loriot, la sœur de cœur qui, elle aussi, se bat pour la mémoire d'Anthony
Le 9 janvier 2022, Anthony Lambert, mineur confié à l’aide sociale à l’enfance et placé au camping de Lugny, est retrouvé mort dans un champ de Montbellet (Saône-et-Loire). Un décès mystérieux aux yeux de ses proches et de la justice. L’institution enquête.
Le dimanche matin en plein hiver, à Lugny (Saône-et-Loire), comme ailleurs en zone rurale, c’est jour de chasse. Une partie de plaisir pour ceux qui s’y adonnent.
Pourtant, ce 9 janvier, l'effroi efface le plaisir. Les chasseurs de Montbellet, commune voisine du Mâconnais, font une découverte macabre. Ils tombent fortuitement sur le corps d’Anthony Lambert, disparu depuis le 31 décembre. L'adolescent gît là, le long d’une clôture, sur une terre gelée, entièrement dévêtu. L'image a de quoi heurter.
Le jeune homme, qui devait fêter ses 18 ans le 10 avril 2022, a disparu, le 31 décembre, du camping de Lugny, dans lequel il était encadré par l’association Concept Ressource. Sa famille biologique n’était pas en capacité de le prendre en charge.
L’autopsie conclut rapidement à une mort
par hypothermie, sans intervention d’un tiers.
L’autopsie conclut rapidement à une mort par hypothermie, sans intervention d’un tiers. Affaire classée donc ? Pas totalement. Car des éléments, apparus au fil des jours, laissent plusieurs questions en suspens. La famille d’accueil d’Anthony, celle qui le recevait depuis ses 4 ans à Hautefond, dans le Charolais, lors des week-ends et vacances scolaires, pousse quant à elle pour faire éclater une vérité qui n’est pas, à ses yeux, celle qu’on lui raconte.
Pourquoi était-il nu ?
Premier élément troublant, Anthony, dix jours après sa disparition, ne porte plus aucun vêtement sur lui. Étrange, un 9 janvier alors que les températures flirtent avec le négatif.
Au matin de sa fuite, le 31 décembre 2021, peu avant midi, un vigneron le filme courant dans les vignes. Selon le témoignage du viticulteur, Anthony semble porter des sous-vêtements et une sorte de « baluchon sur l’épaule ». Quelques heures seulement après sa disparition, le jeune est donc en difficulté. En danger même.
Autre point intrigant, un de plus, aucun effet personnel d’Anthony n’est retrouvé à proximité de son corps ou dans les champs alentour. Ni avant la découverte macabre, ni les jours suivants, ni aujourd’hui. Rien. Le mystère reste entier.
Puis, quand la famille d’accueil se rend à Lugny, après avoir été informée de la disparition de l’ado, c’est avec stupéfaction qu’elle constate que ses bijoux et sa carte SIM sont entre les mains d’un des jeunes placés avec lui au camping. Ce dernier tient alors un discours belliqueux envers Anthony.
Anthony venait de passer quelques jours chez sa famille d’accueil et semblait préoccupé
En cette fin d’année 2021, Anthony Lambert passe quelques jours à Hautefond, dans sa famille d’accueil. Chez les Loriot. Il semble éreinté et soucieux. « Être dans un camping, pour lui, ce n’était pas grave. Anthony ne se plaignait jamais. Mais à Noël, il n’était pas bien. C’était la première fois qu’il était comme ça, confie Déborah Loriot, sœur de cœur de l’adolescent. Il était fatigué, n’avait pas le moral. Il était inquiet et n’avait pas envie de retourner au camping. On a essayé de comprendre mais il ne pouvait pas en parler car sinon on risquait de s’en prendre à lui. Il a été hyper évasif sur la drogue. Il a vu des choses qui l’ont dérangé. Tout ça m’intrigue car il n’avait aucun intérêt à fuguer à quatre mois de sa majorité. Et puis, pourquoi tout nu ? Comment c’est possible ? »
Anthony, un jeune survivaliste ?
Jamais de la vie assure sa famille d'accueil
Très rapidement, une hypothèse est avancée pour expliquer la disparition d’Anthony : celle qui voudrait que le jeune homme, originaire de Chalon, se soit pris de passion pour le survivalisme. Un mode de vie basé sur la préparation à la survie, en prévision d'une catastrophe. C’est le parquet de Mâcon, en charge des premières investigations, qui l’indique en premier, au moment de révéler les résultats de l’autopsie. Cette piste, pour expliquer sa mort, irrite au plus haut point Déborah Loriot, la fille de la famille ayant accueilli Anthony dès son plus jeune âge. Le portrait d'Anthony qu'on lui tend est totalement différent de celui qu'elle brosse elle-même : Anthony serait peureux, frileux et extrêmement pudique. A l'opposé de l'apprenti survivaliste.
Didier Seban : « Son traitement ? Pas une excuse, une aggravation »
Pour le parquet de Mâcon, toujours interrogé au moment de la découverte du corps, Anthony « était en proie à des troubles psychologiques. » Point que ne conteste pas Didier Seban, avocat défendant, en compagnie d’Antoine Sauvestre-Vinci, les intérêts de l’association La Vérité pour Anthony. « Pour moi, le fait qu’il avait un traitement n’est pas une excuse, c’est une aggravation », insiste le pénaliste parisien, habitué des grandes affaires judiciaires non résolues. Anthony Lambert suit, au moment de sa disparition, un traitement au Risperdal, un neuroleptique généralement prescrit par les psychiatres pour lutter contre la schizophrénie, les états maniaques ou les troubles graves du comportement. Respecte-t-il la prescription ? C'est une des questions, encore une, à laquelle les deux avocats veulent une réponse.
Une information judiciaire est finalement ouverte
Face à ces points d’interrogation qui subsistent dans ce dossier pas comme les autres, le parquet de Chalon, dont dépend le camping de Laives, où siège Concept Ressource, ouvre, le 10 juin 2022, une information judiciaire pour homicide involontaire et mise en danger délibérée de la vie d’autrui. Depuis un an, l'enquête suit donc son cours.
Dans le cadre de ce dossier, nous avons également sollicité Guy Galéa, maire de Lugny et Jean-Claude Bécousse, maire de Laives. Ils n’ont pas souhaité répondre favorablement à nos demandes. André Accary, président du département et donc responsable de la protection des enfants placés, a adopté la même posture. « Il y a une enquête en cours, donc je ne répondrai pas. »
Les dates clés
pour mieux comprendre l'affaire
Fin d'été, début d'automne 2021 : Anthony Lambert, placé depuis son plus jeune âge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), arrive au camping de Laives, où il est pris en charge par l’association Concept Ressource. Ce placement est provisoire.
Mi-décembre 2021 : Anthony est transféré au camping de Lugny, où il partage un mobil-home avec un jeune délinquant pris en charge par la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse).
31 décembre 2021 : Anthony disparaît du camping de Lugny. Il est vu peu avant midi, largement dénudé, en train de courir dans des vignes.
4 janvier 2022 : un avis de recherche est lancé par la gendarmerie de Tournus. Il est indiqué qu’Anthony est « de corpulence normale, avec les cheveux courts sur les côtés, coiffés en forme de "banane" sur le dessus et les yeux gris-verts. À son départ, le garçon était vêtu d'un jogging noir, de baskets noires, d'un sweat-shirt clair et d'une veste type doudoune de couleur blanche. »
7 janvier 2022 : une battue est organisée par les proches et les gendarmes pour tenter de retrouver le jeune homme. En vain. 120 personnes et 18 militaires participent à l’opération.
9 janvier 2022 : le corps de l’adolescent est découvert par des chasseurs au hameau de Mercey, sur la commune de Montbellet (Mâconnais). Anthony est entièrement nu. Le médecin légiste ayant pratiqué l’autopsie s’oriente vers une hypothermie et une déshydratation pour expliquer l’origine du décès. Le rapport d’autopsie exclut l’intervention d’un tiers. Le corps est marqué de plusieurs écorchures.
19 mars 2022 : l’association La vérité pour Anthony est officiellement lancée, notamment à l’initiative d’Anne-Marie Laveder, originaire de Saint-Julien-de-Civry et qui a, durant trois décennies, accueilli des enfants placés.
17 mai 2022 : la défenseure des droits Claire Hédon se saisit du dossier.
10 juin 2022 : une information judiciaire est ouverte par le parquet de Chalon-sur-Saône pour homicide involontaire et mise en danger délibérée de la vie d’autrui.
3 janvier 2023 : La vérité pour Anthony indique avoir choisi Bernard Thévenet comme parrain de l’association.
La disparition d'Anthony en infographie.
1. Anthony est hébergé au camping de Lugny depuis une dizaine de jours quand il disparaît le 31 décembre 2021.
2. Anthony est filmé courant nu dans une vigne. Toujours ce 31 décembre 2021. La scène se passe peu avant midi.
3. Une battue a lieu le 7 janvier 2022 pour retrouver Anthony. Elle ne donne rien. Aucun vêtement n'est retrouvé et l'ado est toujours porté disparu.
4. Le corps d'Anthony est retrouvé le 9 janvier 2022, dans un champ. Fait troublant, il est entièrement nu mais ne porte pas de traces de coups mais des égratignures compatibles avec une déambulation, nu dans les vignes.
Une affaire qui aurait
pu en rester là
Sans la création d’une association cherchant à connaître le contexte dans lequel Anthony Lambert a été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, son décès aurait pu être rangé au rayon d’un banal fait divers. Aujourd’hui, une enquête judiciaire est lancée.
Hypothermie et déshydratation, sans intervention d’un tiers. Telles sont les conclusions du médecin légiste ayant autopsié le corps d’Anthony Lambert, début janvier 2022. Affaire classée, Anthony ayant, aux yeux de la justice, lui-même fait le choix de fuguer.
Touchée par le scénario (incomplet) de cette étrange disparition et par ce qu’elle lit dans le JSL, Anne-Marie Laveder prend alors contact avec la famille Loriot, qui accueille Anthony depuis l’âge de 4 ans, durant les week-ends et les vacances. « J’ai été famille d’accueil pendant trente ans et je connaissais les Loriot professionnellement. Je les ai appelés pour leur dire que je partageais leur peine et parce que la prise en charge de cet enfant m’interpellait. J’ai également été présidente de l’association des familles d’accueil de Saône-et-Loire. Et avec trois autres familles d’accueil, on a décidé de porter le projet de la création d’une association pour Anthony. »
La vérité pour Anthony naît ainsi en mars 2022. Un premier pas. Un deuxième est fait quelques semaines plus tard, grâce à l’entremise de l’association Christelle, qui demande à Maître Didier Seban, avocat historique des familles de victimes dans les affaires criminelles, de se saisir du dossier.
Une plainte déposée et une information judiciaire ouverte.
Le 20 mai 2022, une plainte est directement adressée au procureur de la République de Chalon qui ouvre, le 10 juin, une information judiciaire pour homicide involontaire et mise en danger de la vie d’autrui.
Et depuis ? Présent à l’assemblée générale de l’association, le 17 mars dernier, Maître Antoine Sauvestre-Vinci, qui travaille sur ce dossier avec Maître Seban, n’a pas souhaité, au nom du secret de l’instruction, trop s’étendre sur les avancées de l’enquête. « On a fait des demandes d’actes d’investigations auprès de la juge qui ont été acceptées. On attend désormais des retours », indique-t-il.
L’enquête a donc débuté pour tenter de répondre à plusieurs questions. Comment Anthony a-t-il quitté le camping de Lugny dans lequel il était placé depuis peu ? Dans quelles conditions était-il hébergé ? Y a-t-il eu défaillance dans la prise en charge et la surveillance, par l’association Concept Ressource, de l’ado ? Pourquoi a-t-il été retrouvé nu ? Le travail des gendarmes ne se limitera toutefois pas à ces quatre interrogations puisqu’une myriade de zones d’ombre subsiste.
Depuis un an, plusieurs témoins ont été auditionnés, parfois pendant de longues heures, dans les locaux de la gendarmerie. Déborah Loriot et sa famille, elles, attendent toujours d’être entendues. Une clôture de l’enquête est espérée pour décembre 2023.
Concept Ressource, c’est quoi ?
Les mineurs placés sont sous la responsabilité du Département, lequel s’appuie sur l’aide sociale à l’enfance (ASE) pour prendre en charge l’enfant. Les services de l’ASE identifient alors le lieu de placement qui lui correspondra le mieux : famille d’accueil, maisons d’enfants à caractère social (MECS), lieux de vie et d’accueil (LVA), villages d’enfants et d’adolescents (VEA).
L’association Concept Ressource, fondée en 2020, se proposait d’être un des relais de l’ASE en accueillant les enfants dans des mobil-homes du camping de Laives. Ces séjours étaient dits « de rupture » car n’ayant pas vocation à s’éterniser dans le temps. C'est Éric Corlay, un homme travaillant depuis longtemps dans le milieu social, qui a eu l'idée de ce projet différent de ceux traditionnellement menés.
L’association, dissoute quelque temps après la mort d’Anthony Lambert, accueillait (ensemble) des jeunes de l’ASE, de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse, qui prend en charge les mineurs délinquants) ou du secteur médico-social. Une douzaine d’enfants ou adolescents étaient répartis sur le camping de Laives ou de Lugny, structures gérées par Jean Yemisen, président de Concept Ressource. À Lugny, seuls les ados proches de la majorité, donc proches de la fin de leur prise en charge, étaient hébergés.
Christophe (ex-éducateur de Concept Ressource) : « On était une mauvaise garderie »
Christophe (prénom d'emprunt) a été éducateur au sein de la toute nouvelle association Concept Ressource. Il a donc participé à la construction d'un projet qu'il a d'abord idéalisé avant d'en voir rapidement les limites. Sentant qu'il n'était plus en phase avec la réalité du terrain, il a préféré rendre son tablier.
Quelles étaient vos missions au sein de l’association ?
« J’étais le coordinateur du suivi des enfants, le bras droit d’Éric Corlay, qui était le directeur du site. Il prenait les décisions depuis son poste à Besançon où il bossait sur de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse). J’avais 22 ans. J’avais essayé de recruter d’autres éducateurs car il y a eu une énorme rotation au niveau des équipes. Le système épuisait l’équipe pédagogique. Au début de l’aventure, il y avait peu d’enfants. On accueillait deux jeunes et souvent, on était trois éducateurs. »
Comment êtes-vous entré dans cette association ?
« Je passais mes diplômes d’éduc spé. L’association du Prado m’a proposé un poste à Montceau où Éric Corlay était déjà. Je voulais ensuite changer de cadre et Concept Ressource me semblait intéressant. Éric m’en parle. J’y vais. Au début, je faisais du suivi individualisé mais c’était un début de projet donc il fallait du temps. On avait conscience qu’il y avait une part de bénévolat mais il y avait pas mal de trucs bordéliques, comme le suivi médical des enfants. Normalement, c’est très cadré. Nous, normalement, nous ne sommes pas en droit de donner des médicaments. Ce sont les médecins et les infirmiers qui doivent le faire. Pourtant, nous les donnions. Ça se faisait maladroitement. Sinon, c’est un médecin qui délègue à un membre de l’équipe éducative via une ordonnance. On avait une autorisation par écrit mais elle provenait des précédentes structures (dans lesquelles étaient les enfants, NDLR). Il aurait fallu avoir une nouvelle ordonnance et surtout des personnes qualifiées sur place. Après un mois ou deux, le suivi médical s’est mis en place via l’aide de l’hôpital psychiatrique de Sevrey. »
"Le principe était innovant, on était au cœur d'un camping, il y avait un mélange."
Qu’en pensait l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui chapeaute l’encadrement de ces jeunes ?
« L’ASE était contente qu’une autre structure s’ouvre car elle a la tête sous l’eau. En l’espace de deux semaines, on avait d’autres enfants qui arrivaient. Le principe était innovant car l’accueil se faisait dans un camping et on parlait de séjour de rupture et de transition. Comparé à certaines MECS (maison d’enfance à caractère spécial), on était au cœur d’un camping : les gens venaient pour des vacances, de la pêche, pour travailler. Donc il y avait un mélange. Dans le domaine de l’éducation spécialisée, on ne se tourne pas assez vers ce type de projet. Mais il faut que ce soit bien fait. Trop souvent l’ASE, par souci de budget, se retrouve dans des impasses pour répondre aux besoins des enfants et là tout le monde sautait sur l’occasion par rapport aux méthodes de Concept Ressource. »
Concept Ressource, c’est une idée de qui ?
« C’est plus l’idée d’Éric Corlay. Ce n’est pas un extraterrestre mais il a toujours des pensées différentes des autres. Après, il a contacté Jean Yemisen (le gérant des campings de Laives et Lugny). Les choses allaient bien trop vite. Personnellement, je n’avais pas encore validé mon diplôme. Je me démerdais mais ce n’était pas le cas de tout le monde. Au début, je bossais 24 h/24 car j’y croyais, je savais que c’était un investissement personnel et professionnel. »
"Je me suis dit : il faut que tu te casses."
Connaissez-vous les conditions dans lesquelles ont été accueillis les enfants au camping de Lugny ?
« À Lugny, le site ouvre de manière trop précoce. Un mois avant le décès d’Anthony, je crois. Les bungalows, ça allait mais le camping restait rustique. J’y suis allé pour un week-end de rupture (avec un jeune, NDLR). À Laives, on avait des soucis car on avait des enfants aux problématiques très différentes (psychique, drogue). On les réunissait dans un même endroit, et certains explosaient psychologiquement. On leur faisait croire à une belle transition et que Concept Ressource allait être un eldorado. On était maltraitants, non pas sur la dimension physique, mais sur le suivi et le soutien psychologique. On était une mauvaise garderie. Il y avait des tensions entre certains jeunes et pour offrir un second souffle à ces enfants, on va alors leur proposer de suivre un stage de rupture et les envoyer à Lugny pour qu’ils puissent faire autre chose. »
Quand avez-vous quitté vos fonctions ?
« Anthony, je ne l’ai pas connu. Je suis parti après ce week-end de rupture. Éric Corlay voulait agrandir la structure à vitesse grand V et l’ASE avait l’air de pousser en disant que le projet était séduisant. Mais on n’avait pas les moyens humains. Lors du week-end à Lugny, rien n’avait été travaillé et il fallait qu’on se démerde. J’ai galéré. Ce week-end m’a dégoûté de l’éducation spécialisée. Ce n’était plus possible. Je me suis dit : « ce que cautionnent l’ASE et ta hiérarchie, c’est malsain, ça manque de bienveillance, il faut que tu te casses car il y aura des dérives. » Envoyer l’enfant à Lugny, c’était de la poudre. Je suis arrivé le matin avec ma collègue, j’ai regardé autour de moi et je me suis dit : « ça ne le fait pas ». On a mangé, on a ramené l’enfant et j’ai dit à Éric : « je m’en vais ». Je n’étais pas à l’aise avec la situation. »
Concrètement qu’est-ce qui vous a dérangé ?
« Ces paillettes alors qu’il n’y a rien derrière, c’est une coquille vide. J’aurais voulu que, pour ce jeune, il y ait une activité physique, par exemple, une activité au cours de laquelle on le responsabilise. Rien n’a été anticipé. C’était : « emmène-le à Lugny, ça fera une bonne pub et on pourra ouvrir plus vite. »
Que faisaient les jeunes au quotidien ?
« Ils allaient dans une école Montessori et Freinet à Varennes-le-Grand. En fonction du profil, certains y passaient toute la journée, d’autres deux heures. Quand ils étaient sur place, à Laives, notre rôle était de les accompagner avec des activités en lien avec l’équithérapie, le paysagisme, le théâtre… Mais tout était trop bordélique. »
"J'ai participé à cette dérive et j'aurais dû me révolter plus tôt."
Avez-vous eu peur pour la sécurité des enfants ?
« C’est pour ça que je suis parti. J’avais peur pour les enfants car psychologiquement, c’était violent. Ils pensaient que Concept Ressource allaient être un eldorado et en fait l’adrénaline redescend très vite. En fait, ils ne vivent que ce qu’ils vivent depuis des années, c’est-à-dire de la déception. »
Aviez-vous imaginé qu’un tel drame puisse survenir ?
« Non. J’ai mis plusieurs mois à en dormir correctement. J’ai participé à cette dérive et j’aurais dû me révolter plus tôt. Je m’en veux et j’en ai honte. J’ai mis des semaines à m’en remettre. Se dire qu’on a travaillé dans ces lieux qui l’ont accompagné à mourir, alors qu’on est éducateur spécialisé... Anthony, on m’a dit qu’il était très gentil, parfois à en faire trop pour autrui. Il n’y avait pas assez de règles et trop de besoins différents. Certains avaient des besoins sur le plan psychique, d’autres étaient en manque d’amour, d’autres avaient des déviances avec l’alcool ou la drogue. »
Une autre éducatrice ayant travaillé pour Concept Ressource : « Anthony était très coquet »
Dans cette affaire, il existe évidemment de multiples zones d’ombre. Et notamment l’attrait supposé que l’adolescent pouvait avoir pour le survivalisme. Très vite, le parquet de Mâcon, quand il communique sur la mort d’Anthony, explique que le jeune baigne dans cet environnement. Ce qui a le don de mettre en colère la famille d’accueil, stupéfaite de lire ces déclarations dans la presse. « Des survivalistes qui passent un pot de gel par semaine, je n’en connais pas. Anthony faisait très attention à lui. C’était un gamin qui avait très peur du noir, qui avait tout le temps froid et qui ne ressemblait pas du tout à un survivaliste », s’insurge ainsi Déborah Loriot, sœur de cœur du défunt, dans nos colonnes, le 17 mars 2022, au moment de la création de l’association. Justement au cours de la première assemblée générale de l’association, un an plus tard, à Saint-Julien-de-Civry, une ancienne éducatrice de Concept Ressource est venue apporter son écot à cette déclaration. « Anthony je l’ai connu, oui. Il était propre sur lui, à la mode et très très coquet. Quand j’ai vu le premier article sur la fugue, j’ai appelé mes collègues et on m’a dit qu’Anthony était parti en chaussettes. Jamais je n’aurais imaginé ça, lui qui se changeait trois fois par jour alors qu’il n’avait jamais une tache. »
Nadège (prénom d'emprunt) ou la parole d'une sœur en colère :
Très discrète depuis le début de l'affaire, Nadège, la sœur biologique d'Anthony, s'est finalement résolue à prendre la parole. Absolument pas pour braquer les projecteurs sur elle mais uniquement dans le but de rétablir ses vérités. Et rappeler qu'elle et son petit frère avaient une famille aimante. « Anthony, ce n’était pas un enfant abandonné aux services sociaux mais ils en ont fait n’importe quoi. Il a été placé à sept jours, on ne reviendra pas sur les raisons du placement. Pour ma part, rien ne le justifiait. Ma mère n'a jamais été dangereuse et violente avec nous. Elle a son parcours de vie avec quelques carences éducatives mais son petit dernier, c’était tout pour elle. On ne pouvait que l’aimer ce gamin. Ce n’était pas un gamin rejeté de sa famille. Chez moi, il venait un week-end sur deux » indique-t-elle, avant de s'étendre encore un peu plus et de pointer du doigt l'association Concept Ressource et sa défense.
"Ils nous ont rendu ses vêtements dans des sacs-poubelle"
« Ils essayent de se dépatouiller à tout prix en le dénigrant. C’est parce qu’il était taré ? Eh bien non. Anthony, ce n’est pas un gamin qui dormait toute la journée, il allait de l’avant et était plein de projets. On n'a même pas reçu de condoléances, ils nous ont rendu ses vêtements en chiffon, dans des sacs-poubelle, même pas pliés, rien du tout. Aucune affaire personnelle. Il n’y avait rien. Ils ont vidé le mobil-home à toute vitesse. Moi, je ne comprends pas. » Comme elle ne comprend pas comment, la thèse du survivalisme, pour expliquer la mort tragique d'Anthony, a pu voir le jour. Pour elle, là aussi, aucun doute possible, le coup est parti de Concept Ressource.
"Ils dénigrent mon frère qui ne peut plus se défendre. C'est dégueulasse."
« Ce sont eux qui ont lancé cette rumeur. Niveau mensonge on est au top. Ils dénigrent mon frère qui ne peut plus se défendre. C’est dégueulasse. Mon frère, il était tiré à quatre épingles, hyper pudique et on va me faire croire qu’il va se mettre tout nu » explose Nadège. Quant au scénario du drame, elle refuse de le dessiner préférant que la justice le fasse à sa place. Mais quand même. La fuite éperdue de son petit frère la laisse face à ses questions. « Je fais confiance à la justice pour savoir comment il s’est retrouvé nu. Déjà, on ne le met pas avec des jeunes placés de la PJJ. Ça, je ne le savais et ils l’ont dit à personne. A aucun moment, on nous a prévenus qu’il était envisagé qu’il aille à Lugny. Je sais que des jeunes lui ont couru après. Un est revenu et apparemment mon frère lui a jeté des pierres. Une heure après, il était tout nu. C’est du survivalisme ça ? Ce n’était pas des enfants de chœur. La puce dans le téléphone d’un autre jeune ? Bizarre ça. Son téléphone, on ne l’a jamais retrouvé, comme le sac à dos, comme ses vêtements. J’ai mes idées et je demande que la justice creuse pour savoir pourquoi il s’est retrouvé tout nu. Encore une fois, je ne peux pas accepter qu'on dénigre Anthony. Et c'est pour ça que je témoigne » martèle la grande sœur en guise de conclusion.
François Rougeot, conseiller municipal à Lugny : « Concept Ressource n’aurait jamais dû s’installer ici »
Le 20 octobre 2021, deux mois avant l’arrivée d’Anthony sur le site, un départ de flammes est constaté sur le camping de Lugny. « Dans le camping, un employé nous a dit qu’à la déchetterie, les mobil-homes ne sont pas acceptés et qu’en conséquence il l’a démantelé et brûlé sur place. Je l’ai constaté avec un autre conseiller municipal, explique François Rougeot, lui aussi élu du village. Le maire est venu et a aussi constaté. Le maire, la veille, avait déjà vu un feu de déchets verts ici. »
Le conseiller municipal envoie une lettre au procureur de la République pour lui signaler le brûlage d'un mobil-home
Quasiment un mois plus tard, le 15 novembre 2021, François Rougeot saisit son ordinateur et rédige un courrier à l’attention d'Éric Jallet, procureur de la République de Mâcon, pour lui signaler ces faits, selon lui constitutifs d’une infraction. « Pour la première fois de ma vie », confesse-t-il.
Dans sa missive, il relate avoir « constaté des déchets calcinés de type polystyrène, plastique, câbles et tableau électriques, laine de verre, gaine de ventilation (dont certains probablement toxiques lors du brûlage) ». François Rougeot affirme ne pas avoir reçu de réponse du parquet de Mâcon suite à son signalement.
Le conseiller municipal, ancien premier adjoint du maire Guy Galéa, avec lequel les tensions sont aujourd’hui palpables, pointe également un réseau d’assainissement, au sein du camping, qui ne serait pas en conformité avec les normes en vigueur. Dans le compte-rendu du conseil municipal du 8 décembre 2021, il est d'ailleurs écrit que « des travaux d’assainissement sont en cours pour mise aux normes. »
« Ça va être mis dans les règles. Je reconnais que ce serait bien pour la commune, déclare alors Guy Galéa, lors du conseil municipal du 15 mars 2023. On va régulariser tout ça. » Voilà qui inspire cette conclusion à François Rougeot : « Avec ces négligences graves, Concept Ressource n’aurait jamais dû s’installer ici. »
Le viticulteur qui a filmé Anthony nu dans la vigne : « Sur le coup, je n’ai pas tilté »
Le 31 décembre 2021, un viticulteur, au travail dans les vignes, filme un homme courant nu à proximité de lui. Il ne le sait pas mais ce garçon est recherché. C’est Anthony Lambert.
La scène lui paraît tellement improbable qu’immédiatement il sort son téléphone pour immortaliser le moment. Sans véritablement réfléchir au pourquoi du comment.
Le 31 décembre 2021, Romain (prénom d’emprunt) est seul dans les vignes, sur le plateau des Charmes de Lugny, quand il voit apparaître une silhouette. Nous sommes en fin de matinée. Peu avant midi selon ses souvenirs. Il distingue, au loin, un homme largement dénudé, en train de déambuler. « J’ai filmé car il était à hauteur de la vigne de mon beau-frère », raconte le vigneron. Il ne sait pas, comme la quasi-totalité des habitants des villages du Mâconnais, que le jeune homme qu’il vient de voir est Anthony Lambert, recherché depuis sa disparition, quelques heures plus tôt, du camping de Lugny.
« À ce moment, je suis sur le cul de tomber
sur cette personne. »
À cet instant, aucun avis de recherche n'est lancé. « Sur le coup, je n’ai pas tilté. Je n’étais même pas au courant qu’il y avait ce centre (des jeunes placés au camping, NDLR). J’ai été surpris. Ce n’était pas de la moquerie. En fait, à ce moment, je suis sur le cul de tomber sur cette personne un 31 décembre, en plein milieu des vignes. Il était à une centaine de mètres et je pense qu’il a aussi été surpris de m’apercevoir car il a changé de direction. Là où il a été retrouvé, c’est la direction dans laquelle il est parti. »
Quand Romain voit Anthony courir à travers vignes, il semble porter « un baluchon sur l’épaule. Et il était en caleçon ou en slip. Mais de loin, je me dis qu’il est à poil. Je pense qu’il avait quand même une paire de chaussures. »
La vidéo, de mauvaise qualité, Romain la transmet à son beau-frère. Un conseiller municipal est également informé de cette scène improbable. Puis, Guy Galéa, le maire de Lugny. En dépit de ce mini-film, Anthony Lambert ne sera pas retrouvé à temps. « J’étais là au mauvais moment, au mauvais endroit, souffle Romain. C’est un drame. Ça aurait pu être mon petit frère. Comme on voit un peu de tout à la télé, je ne me suis pas méfié et c’est après que je me suis dit qu’il aurait fallu faire quelque chose. » Anthony est-il décédé quelques heures après ? L’autopsie, qui a exclu l’intervention d’un tiers, évoque une mort par hypothermie au moins deux jours avant la découverte du corps.
Didier Seban : « Un jeune de 17 ans ne peut pas mourir comme ça, de froid »
Maître Didier Seban, avec son collaborateur Maître Antoine Sauvestre-Vinci, défend les intérêts de l’association La vérité pour Anthony. Il estime que toute la lumière doit être faite sur ce qu’était la vie de l’adolescent durant sa prise en charge par Concept Ressource.
Maître, s’il fallait résumer l’affaire Anthony Lambert, que diriez-vous ?
« Je dirais que cette affaire traduit les difficultés de l’aide sociale à l’enfance avec cette particularité troublante qu’Anthony avait trouvé une famille d’accueil. Mais on a choisi de ne pas le laisser (tout le temps, NDLR) dans cette famille. »
Pour quelle raison ?
« Je n’ai pas la réponse. Mais quand on voit comment l’histoire se finit, on ne peut s’empêcher de se dire qu’il y a eu une erreur d’aiguillage. Dans un monde idéal, on aimerait avoir un retour, savoir quelles mesures ont été prises depuis ce drame. Mais on a l’impression que l’ASE se replie dans le silence. Il y a eu des dysfonctionnements gravissimes. »
Lesquels ?
« Au niveau de l’association (Concept Ressource, qui avait la responsabilité d’Anthony et qui l’avait hébergé dans un camping, NDLR), ils sont nombreux. Anthony a quand même été muté d’un camping à un autre, ce dernier étant en chantier. Les conditions d’accueil et d’hygiène étaient inadmissibles. Anthony partageait le bungalow avec des ados placés par la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse). Ce n’est pas interdit par la loi mais ce ne sont pas les mêmes conditions d’accueil et de surveillance. Et là, on les place avec un jeune (Anthony, NDLR) dont la famille biologique n’est pas en mesure de l’élever. En plus, il prend un traitement mais on ne fait pas attention s’il prend bien ses médicaments. Aujourd’hui, les conditions de la fuite éperdue d’Anthony, nous ne sommes pas en mesure de les décrire. Il s’est passé un an sans que ça avance. Les parties civiles n’ont même pas été reçues par qui que ce soit (l'entretien a eu lieu le 14 février 2023, NDLR). Si l’association qui le prenait en charge avait fait son travail, elle aurait dû dire que ce gamin était en danger. Sur une vidéo, on le voit nu, courir dans les vignes alors qu’il est parti habillé avec un sac à dos et on ne retrouve rien. »
« Anthony survivaliste ? C'est du grand n'importe quoi. »
Était-il survivaliste comme cela a pu être évoqué par le parquet de Mâcon au moment de la découverte de son corps dénudé ?
« Il n’était pas en état de l’être. C’est du grand n’importe quoi. C’est une manière de se dédouaner, de dire que l’enfant s’est placé lui-même dans cette situation, plutôt que de rechercher des fautes. C’est à la justice de faire l’enquête. On est dans une situation de mépris de la famille. C’est l’association (Concept Ressource, NDLR) qui a placé Anthony dans des conditions de survie. Il faut que cette association s’explique. »
Quels sont les points dans ce dossier qui vous interrogent ?
« Il y en a plusieurs. Avait-il pris son traitement et qui était chargé de contrôler ? Qui surveillait les enfants la nuit ? Quelles activités Anthony effectuait-il dans ce camping ? Que s’est-il passé ce jour-là (le 31 décembre, NDLR) et quel a été l’élément déclencheur de sa fuite ? Pourquoi n’a-t-on pas retrouvé son sac à dos et pourquoi Anthony était-il blessé aux pieds ? Je pense qu’il faut comprendre pourquoi il s’enfuit à deux reprises dans la nuit. De ce qu’on a bien voulu nous dire, il y aurait eu une bagarre. Dans ce dossier on est parti trop rapidement sur l’hypothèse d’un accident ou d’une fugue et on n’a pas pris cette affaire au sérieux. Au sein de l’ASE, les fugues sont extrêmement courantes et ce n’est pas propre à la Saône-et-Loire. On manque de moyens, on manque d’éducateurs. Mais là, c’est quand même extraordinaire. Ce n’est pas seulement inadmissible, c’est indigne. »
Quelles sont vos priorités désormais ?
« Nos priorités, c’est que l’enquête soit menée, que les éducateurs soient entendus, que les autres gamins le soient aussi sérieusement. Qu’on commence déjà par ça, qu’on fasse déjà le minimum. Commençons aussi par voir les responsabilités de l’association et on verra ensuite ce qu’a fait le Département (en charge de la protection de l’enfance, NDLR). Un jeune de 17 ans ne peut pas mourir comme ça, de froid. Pour moi, le fait qu’il avait un traitement ce n’est pas une excuse, c’est une aggravation. Il y a une espèce d’indifférence qui s’est mise en place. On a quand même fini par nous écrire pour nous dire que les investigations étaient enfin lancées, que le juge avait donné une commission rogatoire aux gendarmes pour investiguer. On espère qu’on aura des éléments de réponse. »
Jean Yemisen : « Les gens ne connaissent pas l'intégralité du dossier»
Ancien président de l'association Concept Ressource, Jean Yemisen s'est confié pendant une heure sur le drame et son contexte. Il tient à éclaircir certains points.
Monsieur Yemisen, avez-vous été entendu par les gendarmes dans le cadre de cette affaire ?
« Oui. »
À combien de reprises ?
« À plusieurs reprises. Je n’ai pas souvenir du nombre. »
Allez-vous être réentendu ?
« Sincèrement, je ne sais pas. Je suis convaincu que oui. »
Pouvez-vous définir, avec vos mots, ce qu’était Concept Ressource ?
« Faire découvrir le monde extérieur par rapport au système dans lequel étaient les enfants. C’était, au cours d’un séjour de rupture d’un ou deux mois, leur faire voir autre chose que les centres ou les familles d’accueil dans lesquels ils étaient. Pour peut-être susciter des vocations, pour qu’ils puissent s’insérer. L’intérêt pour nous, c’était de leur faire découvrir un monde professionnel pour qu’ils puissent s’en sortir. Car ce sont des jeunes qui avaient eu des vies très difficiles préalablement. »
Comment M. Corlay, qui a eu l’idée de cette association, vous contacte-t-il ?
« C’était en 2019. Il avait déjà fait un camp ici (au camping de Laives) avec des jeunes du Prado (à Montceau). Il avait rencontré le centre équestre de Corlay (un hameau de Nanton, dans le Tournugeois), un ébéniste d’art, un médecin… J’ai accepté de prendre un public difficile car ce gamin (il nous montre une photo) qui a des frères et sœurs violents a quand même réussi à s’en sortir. Il m’a touché au plus profond de moi-même. Je me suis dit : "on tente". C’est quelque chose d’expérimental. Il y a quelques professionnels, pas des masses, quelques personnes diplômées, des gens qui ne cherchent pas à faire de l’argent. Le but était d’essayer d’aider ces gamins, de partager. Faire un mix. Les maux de la société, c’est que les générations, les catégories socioprofessionnelles ne se rencontrent plus. Et c’est dommage. »
Vous devenez alors président de l’association...
(il soupire). « Malheureusement oui. Dans l’organisation, nous avions des prestataires, des bénévoles, des structures qu’il fallait payer. Une association doit obligatoirement avoir un président, une secrétaire et un trésorier. Je n’avais pas vocation à être payé et ça se passait sur le camping que je gérais. Donc pour avoir une certaine vision et un contrôle de ce qu’il se passait, j’ai pris la présidence pour la première année. Et après, je laissais le mandat quand le bébé volera de ses propres ailes (sic). Tout le monde a dit : "Jean, c’est toi car tu vis sur le camping et tu es détaché du monde des éducateurs." »
Pourquoi M. Corlay ne fait pas partie du bureau alors que Concept Ressource, c’est son idée ?
« Son but était de devenir directeur de l’association et c’est un poste qui doit être rémunéré, donc il ne pouvait pas être membre du bureau. Pour information, le camping et moi, à titre personnel, on a fait plusieurs milliers d’euros de dons. L’hébergement, du matériel, de la prestation, en l’occurrence héberger quasi-gratuitement… Il n’y a jamais eu d’enrichissement. »
« Oui j'ai reçu des insultes. Et des cailloux. »
Comment avez-vous vécu ces mois au sein de Concept Ressource ?
(long silence). « Toutes les semaines, quelqu’un de l’ASE venait. Pour tout le monde, c’était ancré que c’était expérimental. Avec le recul, on s’est rendu compte que ça allait un peu trop vite. Mais sur le moment quand vous avez un gamin qui fait face à une détresse morale, qui vient dans un espace Natura 2000 et qui vous fait rire, avec qui vous partagez des repas, que vous constatez qu’il évolue, qu’il n’a pas envie de partir, vous avez le sentiment que ça lui donne une bouffée d’oxygène. C’est comme ça que je l’ai vécu. Et c’est très difficile de mettre un coup de frein, de respecter stricto sensu les statuts de l’association en se disant qu’un gamin ayant fait un mois, plus un mois, on ne continue plus avec lui. C’est là où c’est dommage. Certains, on les a gardés beaucoup plus longtemps. »
Avez-vous le sentiment d’avoir été traîné dans la boue, accusé de tous les maux ?
« Je n’ai pas ce sentiment car les gens ne connaissent pas l’intégralité du dossier. En revanche, ce que je trouve dommage, c’est que certains journaux qui ont l’intégralité ou une très grosse partie du dossier n’ont pas les capacités de retranscrire quelque chose d’objectif. »
Vous avez été menacé ?
« Oui, j’ ai reçu des insultes. Des cailloux aussi. »
Si les gens réagissent comme ça, c’est probablement parce qu'ils vous voient comme le responsable du décès d’Anthony. Qu’avez-vous envie de dire par rapport à tout ça ?
« Je sais que nous lui avons fait vivre des moments et des instants que peu d’enfants et peu d’ados ont pu vivre. On n’a peut-être été une bouffée d’oxygène pour un, deux, ou trois mois. Le quatrième mois, il avait des troubles lourds avec son traitement (psychiatrique) et là il y avait des difficultés. On alertait en permanence. Quand les gens disent que je suis responsable, ils pensent ce qu’ils veulent. Ce que je sais, c’est que j’ai un profond respect pour la mémoire de ce jeune. »
Que s’est-il passé sur la fin de son séjour ?
« Il avait des difficultés avec son traitement et avait différents rendez-vous avec des médecins psys. En grandissant, son dosage était compliqué et sur son traitement il y avait des choses à faire évoluer. Il avait des troubles lourds et profonds qui nécessitaient un suivi médical très très important. Et j’insiste sur le "très très". »
"On était persona non grata aux obsèques"
Compte tenu de sa pathologie, était-il assez bien encadré ? N’aurait-il pas fallu en faire davantage sur ce plan ?
« On a eu des cas où des enfants sont montés en crise et partis avec des pompiers. Avec Anthony, on était toujours sur un fil et quand il reprenait ses médicaments qui l’apaisaient, il repartait dans le bon schéma. Il n’a jamais été dans un cas qui permettait de dire attention, on est en phase d’alerte. Ça n’a jamais été le cas. À notre niveau, ça ne s’est jamais détecté. »
On vous a reproché de ne pas être venu à la cérémonie des obsèques…
(il coupe). « On aurait dû garder les messages qui nous disait de ne pas venir. Donc on y est allé trois jours après avec trois jeunes et Chantal, une bénévole, qui est allée X fois fleurir la tombe. »
Ce sont quoi ces messages ?
« Un message est venu en nous expliquant qu’on (Concept Ressource) était persona non grata aux obsèques. Que ce n’était pas recommandé d’y aller. Malheureusement. J’aurais dû. Mais bon, on a le respect des personnes, de la tristesse de la famille. On avait une très grosse affection, et encore aujourd’hui, pour Anthony. »
On vous a reproché aussi d’avoir ouvert Lugny alors qu’il y avait des travaux là-bas. Est-ce que c’était prêt ?
« À Lugny, il y avait quatre jeunes qui allaient bientôt atteindre leur majorité et donc ne plus être pris en charge. L’objectif, c’était qu’ils atteignent une forme d’indépendance, qu’ils sachent faire un steak, faire leur lit... Il y avait un infirmier psy, une éducatrice spécialisée voire deux et des bénévoles. Peut-être que c’était moins joli mais les logements sont exactement les mêmes qu’à Laives, ils sont chauffés, ils ont les pompes à chaleur. »
Pour vous, Lugny était donc adapté ?
« Je ne sais pas si c’était adapté. Mais c’était un endroit où ils avaient une autonomie et une équipe proche d’eux. Ça correspondait aux critères de sécurité, de confort et de décence équivalents à ici. »
« Les jeunes faisaient des petites tâches de lasure,
de bricolage »
Pourquoi Anthony part-il à Lugny ?
« Il part en décembre. On est à cinq mois de sa majorité. Son rêve c’était de devenir boulanger. Il fallait lui apprendre à être autonome. Quand il avait quarante euros dans la poche, il les donnait à quelqu’un dans la rue car il était dans le partage. »
Que faisaient les jeunes en journée sur le site de Lugny ?
« Ils étaient accompagnés, à raison d’une à deux heures par jour. Ils faisaient des petites tâches de lasure, de bricolage, pour apprendre à être autonomes. Le reste du temps, ils faisaient pas mal de choses ludiques car ils étaient incapables de garder une concentration de plus d’une heure ou deux. Donc, c’était extrêmement léger. »
D’où sort cette histoire qu’Anthony était dans le survivalisme ?
« Des éducateurs, des gens qui le suivaient et surtout des commandes qu’il faisait sur les sites marchands. Les éducs me faisaient des retours qu’il entendait des voix, qu’il était l’élu… L’équipe avait détecté qu’il avait fait une commande qui pouvait arriver sous un autre nom. Il y a eu une note d’incident à ce sujet, transmise au Département. A priori, ce sont des faits qui existent depuis très très longtemps. L’ASE a eu des notes là-dessus. Mais quand il était là, on n’a jamais été confrontés avec lui à une phase de danger énorme. On a eu le cas d’un gamin qui faisait dans les stupéfiants et une autre qui vivait du proxénétisme avec sa mère. »
Selon-vous, qu’a-t-il bien pu se passer ce 31 décembre ?
« Les fêtes de fin d’année sont souvent des périodes très difficiles pour ces jeunes. Quand Anthony est revenu des vacances, on a détecté qu’il n’avait pas d’apaisement. On a demandé des rendez-vous en urgence chez son psychiatre pour lui dire qu’il n’allait pas bien. Mais pas de manière dramatique. Il y avait une suspicion sur le fait qu’il ait bien pris son traitement pendant les vacances. Il avait parfois des discours comme quoi il avait une destinée. On a écrit des notes au Département, aux personnes qui l’encadraient. Anthony, depuis qu’il a été placé, a dû fuguer entre 10 et 15 fois. Ce n’était pas sa première. »
Donc pour vous, cette fugue est une parmi les autres et celle-ci dérape ?
« Ce n’est jamais une parmi les autres. Anthony a 17 ans, il fait 1,80 m peut-être, il est super sportif. Les éducateurs et les autres ados ont essayé de le rattraper. Il est parti une fois dans la nuit, il est revenu. On avait un protocole extrêmement précis à mettre en place (en cas de fugue, NDLR) selon les directives du Département. Et l’intégralité du protocole a été respectée dès les premiers instants de la fugue. On a prévenu la gendarmerie, le Département. L’infirmier psy qui l’a pris en charge depuis sa petite enfance et qui le connaît par cœur a pris sa voiture et a passé son 1er janvier à le rechercher dans les vignes. On a participé à des recherches. Toutes les personnes qui collaboraient se sont mises à chercher, les forces de l’ordre aussi ont cherché…»
« Je donnerais tout ce que j'ai pour revenir en arrière et retrouver ce gamin. »
Vous êtes-vous posé la question de savoir où pouvait être le sac à dos et pourquoi Anthony était-il nu au moment de son décès ?
« Anthony avait des troubles psychotiques. Je ne suis pas médecin mais il avait des troubles très lourds qui se maintenaient parfaitement avec son traitement médicamenteux. Qui faisaient de lui un jeune souriant, rigolo, drôle. Et quand il n’avait pas son traitement c’était : "j’entends des voix", "je suis l’élu", "je vais faire ci "… Il savait qu’on le recherchait. Est-ce que, pour ne pas qu’on le sente, il a enlevé ses vêtements ? Je n’en sais rien, attention. C’est le côté un peu survivaliste. Franchement, je donnerais tout ce que j’ai pour revenir en arrière et essayer de retrouver ce gamin. En plein hiver, dans le froid… C’est un gamin suivi qui, avec son traitement, aurait une vie parfaitement normale. »
Comprenez-vous l’enquête pour homicide involontaire ?
« Je peux comprendre, je peux comprendre.»
On vous fait également le reproche que tous vos éducateurs n’étaient pas diplômés. Vous démentez ou pas ?
« Non, c’est vrai. Il y avait des bénévoles, des personnes du civil sans aucune compétence, comme vous et moi, et aussi des éducateurs diplômés. Ils étaient auto-entrepreneurs et travaillaient ici et ailleurs. Dans les centres, un éducateur prend en charge entre six à seize gamins. Nous, on était un pour deux, voire un pour trois…Moi, je n'ai pas pris un centime. »
Vous étiez donc bénévole à Concept Ressource ?
« 100% bénévole. »
Combien Concept Ressource touchait par enfant ?
« La fourchette de l’ASE, c’est une centaine d’euros par jour à 300 euros par jour, pour un gamin. C’est un ordre de grandeur (de ce que touchait Concept Ressource, NDLR). L’association a fait zéro bénéfice. Il y a eu des dons de l’extérieur pour arriver à l’autofinancement.
J’ai de la peine pour la famille d’accueil, je souhaite honorer la mémoire d’Anthony. La famille d’accueil a la haine mais est-ce que ce sont nous les responsables ? Est-ce que c’est l’ASE, la responsable ou est-ce le principe de l’accident ? Anthony a-t-il entendu une voix et il est parti ? Je ne sais pas et c’est triste car on aurait aimé le retrouver avant. On nous reproche d’avoir essayé d’aider du mieux qu’on pouvait. »
Cécile Untermaier, la députée qui interpelle le gouvernement sur
le placement des enfants
Touchée par la mort d’Anthony Lambert, Cécile Untermaier, députée de la quatrième circonscription de Saône-et-Loire, se mobilise pour permettre aux mineurs en difficulté d’être mieux encadrés. Elle a déposé une proposition de loi.
Comment un adolescent de 17 ans, pris en charge par une structure publique, a-t-il bien pu trouver la mort au bout d’un champ boueux, sans vêtement sur le corps alors que la température s'approchait de 0°C ? Cette question, la justice se la pose puisqu’une information judiciaire pour homicide involontaire et mise en danger délibérée de la vie d’autrui a été ouverte, le 10 juin 2022. Cécile Untermaier s’interroge aussi mais ne se penchera pas, outre mesure, sur le volet judiciaire. « La justice devra dire ce qu’il en est de la responsabilité des institutions et des différents acteurs, en particulier sur le placement effectué dans deux campings successifs. La loi du 7 février 2022 a rejeté tout placement (des mineurs, NDLR) en hôtel à compter de 2024. On peut facilement extrapoler que cette interdiction, née du constat de la défaillance de structures mal adaptées, s’applique aussi aux campings », se contente-t-elle de déclarer.
Elle s'est mobilisée à trois reprises depuis la mort d'Anthony
Suite aux faits, la députée, avec 40 autres élus, a ainsi invité le gouvernement à réformer l’aide sociale à l’enfance, service du Département en charge des enfants placés.
Puis, l’ancienne magistrate a interpellé la secrétaire d’État chargée de l’Enfance sur cette question des enfants placés dans des hôtels… et des campings. « Les campings obéissent aux mêmes réserves que celles qui ont conduit le législateur à interdire le placement (des enfants) dans les établissements hôteliers », écrit-elle.
« Ce drame doit interroger nos institutions. »
Enfin, Cécile Untermaier a rédigé une proposition de loi, enregistrée le 4 avril 2023, visant à expérimenter la présence systématique d’un avocat aux côtés d’un enfant lors des audiences d’assistances éducatives (ces mesures sont prises quand le mineur est en danger au sein de son milieu familial).
En l’espace de quelques mois, depuis le décès d’Anthony Lambert, la députée s’est donc mobilisée à au moins trois reprises pour tenter de faire bouger les lignes. « Cette affaire m’a particulièrement troublée car l’aide sociale à l’enfance, c’est d’abord l’aide sociale à l’enfance en grande difficulté. Et quand ces enfants sont confiés à l’ASE et qu’un tel drame survient, ça doit nous interroger. Ce qui m’a interpellée, ce sont les circonstances. On retrouve un mineur, nu dans un champ, en hiver, après plusieurs jours de signalement. Et ce qui m’interroge, c’est le camping aussi. On a eu beaucoup de débats autour de l’idée qu’il ne fallait pas mettre ces enfants à l’hôtel. Et moi, je me suis interrogée, si un camping ce n’était pas la même chose. Pour moi, ce qui vaut pour l’hôtel vaut pour le camping. Ce drame doit interroger nos institutions, martèle-t-elle. C’est le sens de mon interpellation de la secrétaire d’État. »
Que dit la loi du 7 février 2022 sur l’hébergement des enfants placés ?
En dehors des vacances scolaires, de congés professionnels ou de loisirs, les jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) doivent être pris en charge par des assistants familiaux ou hébergés dans des établissements de services sociaux ou médico-sociaux. Le recours à d’autres structures d’hébergement est interdit. Toutefois, à titre exceptionnel, il est possible d’assurer la prise en charge dans les structures dites « jeunesse et sport » pour répondre à des situations d’urgence pour une durée maximale de deux mois. Ces dispositions entreront en vigueur en février 2024.
Éric Corlay, l’homme qui a pensé
Concept Ressource : « Je n'ai rien à me reprocher »
Depuis le début de l’affaire Anthony, Éric Corlay ne dit rien.
Il encaisse sans broncher, préférant attendre que justice passe. Alors, quand on le joint par téléphone, en ce 22 mai 2023, le fondateur de Concept Ressource reste fidèle à sa ligne de conduite. Il ne s’exprimera pas. « J’ai pris le parti de ne pas communiquer, en accord avec le Département. Je suis prêt à être entendu en justice pour donner ma version. Mais je subis beaucoup de désagréments, beaucoup de dommages professionnels », informe-t-il.
Puis, l’ancien directeur de Concept Ressource se laisse aller à plus de confidences, certainement lassé d’être ainsi traîné dans la boue. « Je suis sali, même. C’est une horreur. Tout a été fait en accord avec le Département, la PJJ (protection juridique de la jeunesse) et les tribunaux. On n’avait pas plus de cinq jeunes pour les amener vers l’inclusion professionnelle. Ils avaient un emploi du temps hebdomadaire avec aussi un système d’auto-évaluation qu’on envoyait toutes les semaines au département, se défend-il. Donc toutes les semaines, le Département était au courant de l’évolution des jeunes. »
« On demandait à ce qu’il (Anthony)
soit hospitalisé »
Et concernant l’accueil d’Anthony ? Sur ce point Éric Corlay a aussi des choses à dire finalement. « Quand s’est terminée
sa prise en charge (au sein de Concept Ressource, NDLR), c’était le 17 décembre (2021, NDLR). On a dit stop mais on n’a pas été suivi car il n’y avait pas d’autres structures pour l’accueillir. On a renouvelé un mois, jusqu’au 17 janvier. »
Anthony Lambert a disparu le 31 décembre. « On demandait à ce qu’il soit hospitalisé. Tout a été fait de notre côté, promet Éric Corlay. Il avait un traitement très lourd. Il souffrait d’une psychose et de bouffée de schizophrénie. Il était pris par ses propres symptômes. » Symptômes qui selon l'ancien directeur de l'association ont conduit Anthony Lambert à suivre cette voie, farouchement réfutée par sa famille d’accueil, du survivalisme. « Il était à fond là-dedans », soutient-il.
Éric Corlay va même plus loin quand on lui demande ce qui a bien pu se passer pour que le corps d’Anthony soit retrouvé entièrement dénudé, le 9 janvier 2022. « Ma thèse, c’est qu’il a planqué son sac pour que les chiens ne le reniflent pas. Et, à mon sens, dans la nuit, il n’a pas retrouvé ses habits. » Scénario que les membres de l’association La vérité pour Anthony ont déjà entendu et qu’ils rejettent en bloc.
« Concept Ressource était pensé et réfléchi »
Plus d’un an après la mort tragique de cet enfant de l’aide sociale à l’enfance, Éric Corlay plaide pour « un enchaînement malheureux. » Et il le martèle, Concept Ressource « n’était pas chaotique. Au contraire, c’était pensé et réfléchi. »
Aujourd’hui, l'ancien directeur de Concept Ressource indique ne plus pouvoir faire son métier. La faute à une réputation ternie, salie depuis la mort d’Anthony. « Je n’ai plus de travail, je suis dans la misère sociale. Ma situation est catastrophique et ma carrière flinguée. J’ai hâte que la justice passe car je n’ai rien à me reprocher et j’ai fait mon boulot de façon professionnelle. Et aujourd’hui, je suis complètement grillé. »
Déborah Loriot : « Anthony n’avait aucun intérêt à fuguer »
Elle est la sœur de cœur d’Anthony. Celle qui l’a vu débarquer à Hautefond, dans le Charolais, alors qu’il n’avait que 4 ans. Lors de l’assemblée générale de l’association La vérité pour Anthony, le 17 mars à Saint-Julien-de-Civry, la jeune femme s’est évertuée à répéter qu’Anthony fourmillait de projets et d’envie. Voilà pourquoi elle ne croit pas au scénario qu’on lui livre.
« C’était le petit frère qu’on n’a jamais eu. Il a vu naître nos enfants et c’est lui qui est devenu le grand frère. Il leur apprenait à faire des choses. De 4 à 17 ans, on l’avait les week-ends et les vacances puisqu’il était en structure la semaine. Tout le monde était OK pour qu’il vienne davantage mais on ne sait pas pourquoi, ça ne s’est jamais fait. Mais quand on l’avait, c’était une richesse. Voilà pourquoi tout ça fait si mal. Anthony, il faisait partie, à part entière, de la famille. C’était un gamin facile par sa joie de vivre malgré les difficultés. C’est ça qui était fou. »
« Un jeune tellement extraordinaire et plein d'avenir. »
Sur l’idée qu’Anthony était survivaliste : « On n’est plus dans le respect »
S’il y a bien un point qui met Déborah Loriot en colère, qui l’a fait bondir de sa chaise, c’est d’entendre qu’Anthony était un adepte du survivalisme. « Et puis il a enterré ses affaires aussi ?, réplique-t-elle sèchement. Non mais on est parti où, là ? On n’est plus dans le respect d’Anthony. Et puis, dire qu’il était survivaliste, il faut pouvoir le prouver. On cherche à expliquer l’inexplicable par des choses hallucinantes. J’espère quand même que ceux qui racontent toutes ces conneries auront à rendre des comptes. J’en veux aux gens qui ont donné des informations aberrantes. Anthony était un enfant sans problème, d’une pudeur extrême, vraiment peureux et pas violent. Alors pourquoi fait-on ce portrait de lui ? »
Sur le traitement d’Anthony : « Ses dosages, c'était que dalle »
« Être placé à cinq jours, on peut supposer que ça laisse des traces et des angoisses. Combien d’enfants placés ont des traitements ? Les dosages d’Anthony (il suivait un traitement au Risperdal, un neuroleptique, NDLR), c’était que dalle. C’est facile de dire que le gamin était sous traitement. Mais il allait très bien avant son arrivée à Concept Ressource, assure Déborah Loriot. Pourquoi c’est à partir de là que ça part en cacahuète. C’est hallucinant. »
Trop de points la rongent. Et ce, depuis dix-huit mois que les questions qu'elle se pose ne trouvent aucune réponse. « En fait, tout m’intrigue. Il n’avait aucun intérêt à fuguer à quatre mois de sa majorité. Et puis, pourquoi on le retrouve tout nu ? Pourquoi on ne retrouve pas ses affaires ? Mais comment c’est possible ? », tonne la grande sœur. « Pourquoi était-il dans un endroit complètement insalubre (elle parle du camping de Lugny, NDLR). C’était un jeune tellement extraordinaire et plein d’avenir. Il ne s’est rien passé comme on nous l’a dit et personne n’a la même version. »
Tous ces éléments amènent Déborah Loriot à éviter soigneusement d'employer le mot "fugue". La grande sœur de cœur préfère le terme de fuite. Symbole d’un danger latent qui entourait la vie de son frère.