Depuis l’affaire Orpea,
Allô maltraitance toujours plus sollicitée
Long format "Les Ehpad en Saône-et-Loire :
au plus près de la réalité"
Épisode 4/7

En mars, un journaliste dénonçait dans un livre plusieurs dysfonctionnements menant à des cas de maltraitances sur des personnes âgées. Depuis cette “affaire Orpea”, du nom de ce gestionnaire d’Ehpad privés, l’association Allô maltraitance 71 reçoit de plus en plus d’appels. Le travail de ces bénévoles : l’écoute et l’alerte.
« On n'a jamais autant écrit à l’ARS (Agence régionale de santé) pour dénoncer des faits de maltraitance », souffle Évelyne*, secrétaire à Alma (Allo maltraitance) 71, dont le siège est à Mâcon. L’effet de l’affaire Orpea s’est bien fait sentir dans les locaux d’Alma 71. « Depuis mars, on a une augmentation des appels concernant des maltraitances en Ehpad », ajoute Véronique* bénévole et médecin retraitée. En 2021, notons que 27 % des cas de maltraitance traités par Alma 71 concernait des Ehpad, le reste représentant des situations à domicile.
« Ce sont souvent les mêmes Ehpad
qui reviennent dans les témoignages »
Si l’association, subventionnée par la Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) et le Département, traite tous les cas de maltraitance des personnes âgées et handicapées, il est bien question, ce jour là, d’un cas en Ehpad. Véronique prend connaissance du dossier qui va l’occuper toute la matinée. Au bout du fil, une Saône-et-Loirienne qui fait état de négligence et de maltraitance sur sa mère, résidente d’un Ehpad public du département. « Cette dame nous signale que sa mère a été victime de négligence passive et active : des vols de vêtements et plusieurs chutes inexpliquées. Elle a demandé des explications à l’Ehpad qui ne lui a jamais fourni de réponses. Elle a fini par changer sa mère d’établissement mais elle a beaucoup changé, elle est très agitée et différente. Elle m’a dit qu’ils étaient plusieurs familles à relater des mêmes faits de négligence et maltraitance. Ils envisagent de porter plainte », raconte Véronique.
En général, les témoignages « type » concernant des maltraitances en Ehpad sont liés à des « histoires de négligence d’hygiène, une douche toutes les 6 semaines par exemple », complète Évelyne.
Des récits de plus en plus fréquents depuis ces derniers mois. « On a souvent les mêmes établissements qui reviennent dans les témoignages, privés et publics », signale la secrétaire et unique salariée de l’association.
« On a jamais autant écrit à l’ARS
pour dénoncer des faits de maltraitance »
Comment cela fonctionne t-il ? La plateforme nationale (3977) reçoit les appels, synthétise et transmet les dossiers aux départements concernés. Les huit bénévoles de Saône-et-Loire en prennent connaissance et rappellent les personnes concernées. « Ce sont rarement les victimes qui nous contactent, ce sont davantage des proches », détaille Marie, une autre bénévole également ancienne médecin à la retraite.
La majorité des membres d’Alma 71 sont des soignants. « On va plus loin que la synthèse, on pose plus de questions. On analyse la situation. On voit à notre niveau ce qu’on peut faire », poursuit Évelyne. Et leur niveau ressemble à quoi ? « Notre rôle est d’alerter. En général, on contacte le médecin traitant, la direction de l’Ehpad, si c’est ça dont il est question, l’ARS et le Département. Mais toujours avec l’aval de la victime. On a déjà écrit au procureur. » Pour le moment, une seule plainte a abouti à une condamnation mais elle concernait un cas de maltraitance à domicile.
Écouter et alerter
Avant d’alerter, le maître mot est l’écoute : « Il ne faut pas se précipiter. Le fait d’être deux par permanence nous permet de discuter des dossiers », étaye Marie.
Il y a aussi des appels qui ne débouchent sur rien. Mais c’est une minorité. « Il y a parfois de la dramaturgie mais les gens n’appellent jamais pour rien, il y a toujours une souffrance. Même si ce ne sont pas des cas de maltraitance, ce sont tout de même des gens en souffrance. J’ai eu le cas d’une dame qui nous a dit que sa mère dormait par terre dans sa chambre d’Ehpad. En fait, les soignants ont tout simplement mis le matelas par terre pour éviter les chutes de la résidente. Je lui ai expliqué. Dans ce cas, on essaie de créer un dialogue entre l’appelante et la cadre de santé de l’Ehpad en question. Et dans ce cas précis, on a réussi à apaiser les choses. »
Leur expérience de soignants leur permet de mieux analyser les situations et, surtout, de se forger une carapace face à des cas lourds. « On ne ramène rien à la maison, on a l’habitude en tant que soignants. Mais récemment, on a eu des cas de violences physiques et sexuelles dans une unité Alzheimer, ça m’a quand même marquée », relève Véronique*.
Les bénévoles sont anonymes auprès des appelants : « C’est une protection. On a déjà eu des cas de personnes très agressives », précise Évelyne. Les deux bénévoles du jour n’auront traité qu’un dossier chacune cette matinée du jeudi 30 juin. Qui se termine par l’envoi d’une lettre à l’ARS. Une de plus.
* Les prénoms des bénévoles ont été modifiés afin de préserver leur anonymat.



Alma 71 c’est quoi ?
Alma 71/21 est une association créée en 2002. Elle est agréée par la Fédération 3977 contre la maltraitance. L’association a également un partenariat avec France Victimes.
Alma 71/21 couvre la Saône-et-Loire et la Côte-d’Or, le siège est à Mâcon.
Les permanences ont lieu les jeudis à Mâcon, les bénévoles fonctionnent par binôme et sont formés. La grande majorité sont des soignants retraités.
L’association recherche de nouveaux locaux, plus adaptés, dans les deux départements qu’elle couvre.
Alma 71 et 21 en chiffres
➤ En Saône-et-Loire : 58 dossiers ouverts depuis septembre 2021 (34 en Côte-d’Or).
➤ Qui sont les victimes ? 84 % ont 60 ans et plus, 83 % des femmes.
➤ Lieux des maltraitances : 73 % vivant à leur domicile, 27 % en établissements.
➤ Quels sont les effets principaux liés aux maltraitances : 26 % psychologiques, 23 % physiques, 15 % financières et 36 % négligences passives.
➤ Qui sont les mis en cause ? Individuels : 37 % proches, 11 % entourage, 24 % entourage médico-social ; Collectifs : 18 % personnel d’établissement, 10 % services de soins.
CONTACT
Composez le 3977, la plateforme vous redirigera vers la plateforme locale. Les bénévoles recontactent les appelants seulement les jeudis.

« La plupart des établissements fonctionnent très bien »
Le Conseil départemental de Saône-et-Loire s’est doté depuis 2008 d’un observatoire de la maltraitance. « De la bientraitance », corrige immédiatement Claude Cannet, vice-présidente, qui le chapeaute. Son rôle ? « Recueillir des événements indésirables qui remontent par les familles, résidents, personnels, encadrants », présente l’élue. « Cet observatoire recueille des signalements aussi bien dans les établissements qu’à domicile. Le domicile représente d’ailleurs une part importante des signalements », indique-t-elle avant de souligner : « Ce n’est pas forcément de la maltraitance physique, ça peut être des choses de type administratif. »
Le manque de personnel, un mal récurrent
Qu’observe cet outil ? « Ce qu’on constate, c’est une difficulté récurrente sur le recrutement dans les établissements ; pas que les Ehpad d’ailleurs, mais l’ensemble des établissements médico-sociaux. Ça peut entraîner, forcément, des conséquences sur la prise en charge des résidents. Quand vous n’avez pas suffisamment de personnel pour effectuer les prestations qui devraient l’être, automatiquement il y a une dégradation de la qualité. »
Si une augmentation des signalements a été constatée, la conseillère départementale en relativise la signification : « Ça ne veut pas dire qu’il y a plus d’incidents, mais que le Département est clairement identifié comme interlocuteur. »

Claude Cannet, vice-présidente du Conseil départemental de Saône-et-Loire. Photo d'archives JSL/B.M.
Claude Cannet, vice-présidente du Conseil départemental de Saône-et-Loire. Photo d'archives JSL/B.M.
« Pas de difficulté majeure »
S’agissant des Ehpad, le Département n’intervient que dans son champ de compétence ; l’hébergement et la restauration. « Pour ce qui concerne les soins, c’est l’Agence régionale de santé ou le préfet », rappelle-t-elle. Tous peuvent, si nécessaire, faire des préconisations, ou imposer des mesures à prendre : « On s’assure ensuite qu’elles sont mises en œuvre. »
« Tous les signalements sont traités », affirme Claude Cannet, qui se veut rassurante : « Sur l’ensemble du département, que ce soit dans le public ou dans le privé, la plupart des établissements fonctionnent très bien. Il n’y a pas de difficulté majeure. »
Et côté justice, on en est où ?
11 enquêtes pour des plaintes contre des Ehpad
depuis 2018 au parquet de Chalon-sur-Saône
Le parquet de Chalon-sur-Saône a été saisi de 11 dossiers mettant en cause des Ehpad depuis 2018.
(2018 = 3 ; 2019 = 0 ; 2020 = 4 ; 2021 = 1 et depuis le 1er janvier 2022 = 3). Ces dossiers font référence à des affaires dans lesquelles des Ehpad ont été mis en cause soit par des familles, soit par des personnels.
Ces plaintes ont été portées contre l’Ehpad en tant que personne morale (la direction) ou contre certains de ses personnels.
Tous ces dossiers ont fait l’objet d’enquêtes dont certaines sont encore en cours.
Mâcon
Au tribunal de Mâcon, le procureur indique qu’il n’y a pas plus de plaintes que d’habitude depuis le scandale Orpea.
