Affaire Vanessa Thiellon : anatomie dun naufrage

Cold cases de Saône-et-Loire (7/10)

Suite à l’ouverture d’un pôle judiciaire national dédié aux cold cases, Le JSL revient sur les crimes non résolus de Saône-et-Loire. Aujourd’hui, retour sur l’affaire Vanessa Thiellon. Cette adolescente de 17 ans a disparu le 1er juin 1999 à Mâcon avant que son corps ne soit retrouvé quatre jours plus tard dans la Saône.

Le flot de ses paroles, déjà haché par la douleur des souvenirs qu’elle remonte à la surface, se brise soudainement. L’écume de ses mots se heurte au prénom de sa fille, chute dans une plaie ouverte. Yvette Thiellon n’évoque que très rarement Vanessa, pas même avec sa famille. « Avec ma deuxième fille, qui habite la porte à côté, on n’en parle jamais », livre-t-elle. La page est pourtant loin d’être tournée. Et 25 ans après, Yvette n’oublie rien. Notamment le fait que, de tous les crimes non résolus de Saône-et-Loire, l’enquête sur le meurtre de l’adolescente mâconnaise de 17 ans a sans doute été l’une des plus rapidement négligées.

Car après la découverte du corps de Vanessa dans la Saône à Mâcon, le 5 juin 1999, soit quatre jours après sa disparition, les tergiversations se sont accumulées et l’incertitude s’est immiscée dans les esprits.

Vanessa Thiellon. Photo fournie par la famille

Vanessa Thiellon. Photo fournie par la famille

La thèse de l’overdose a d’abord affleuré, sans qu’aucune analyse ne vienne la confirmer. Puis celle du suicide a fait son apparition, sans qu’aucun élément ne vienne l’étayer. Avant que celle de l’homicide involontaire n’émerge finalement - la cause de la mort n’ayant jamais pu être établie - et qu’un suspect ne se dégage : le petit ami de Vanessa, Seyit, mis en examen sans incarcération en janvier 2000.

« Cela avait tout pour nous d’un homicide volontaire. »
Maître Didier Seban

Signe d’un immobilisme certain, l’homme l’est encore aujourd’hui, comme oublié. Alors que la requalification du dossier en homicide volontaire, réclamée depuis de longues années, n’a été obtenue auprès du parquet de Chalon-sur-Saône qu’en juin dernier.

Une attente beaucoup trop longue pour maître Seban, l’avocat de la famille et de l’Association Christelle. « Vanessa Thiellon a été retrouvée nue, avec une seule chaussure et des traces d’hématomes au visage et sur les bras. Cela avait tout pour nous d’un homicide volontaire », fustige-t-il. « Retrouver une jeune fille nue de cette manière donne en plus une notion d’agression sexuelle », fait également remarquer maître Marine Allali, sa collaboratrice.

Maître Didier Seban. Photo Ketty Beyondas

Maître Didier Seban. Photo Ketty Beyondas

Au grand soulagement des avocats, la nouvelle qualification a permis d’envoyer dans la foulée l’affaire au pôle cold cases de Nanterre. « On pensait qu’il n’y avait aucune chance que ce dossier et les autres soient résolus en restant à Chalon. Il y a eu un silence indescriptible dans ce tribunal, tempête Didier Seban. Il est temps que des orientations d’enquête soient données. »

« Autour de Vanessa, il y avait trop de personnes louches. »
Yvette Thiellon

Toutefois, après tant de déconvenues, Yvette Thiellon se voulait méfiante quant à l’espoir que prodigue cette nouvelle et unique structure judiciaire. « J’attends de voir », nous indiquait-elle sobrement. Elle s’interroge encore aujourd’hui sur l’entourage de sa fille, sans s’arrêter à l’hypothèse de Seyit. « Autour de Vanessa, il y avait trop de personnes louches », souffle-t-elle.

Yvette Thiellon. Photo Ketty Beyondas

Yvette Thiellon. Photo Ketty Beyondas

Yvette Thiellon. Photo Ketty Beyondas

Yvette Thiellon. Photo Ketty Beyondas

« L’association est comme un guide pour moi »

« Je ne pensais pas que la justice fonctionnait comme ça, heureusement que j’ai l’association. » Yvette Thiellon s’est, durant plusieurs années, sentie désemparée face au silence de la machine judiciaire. Jamais elle n’a rencontré de procureur ou de juge lors des premières années qui ont suivi la perte de sa fille. Alors l’Association Christelle lui est apparue « comme un guide ». « C’est Arlette Maire qui m’en a parlé, qui m’a dit qu’il fallait que je voie l’association, on étaient voisines », se souvient Yvette. Arlette Maire avait elle-même perdu sa fille, Nathalie, assassinée en 1987. Sans que, là non plus, le meurtrier n’ait été retrouvé.

Yvette Thiellon. Photo Ketty Beyondas

Yvette Thiellon. Photo Ketty Beyondas

« Il ne se passait plus rien dans son dossier. Elle ne savait plus quoi faire pour faire avancer les choses. Elle a été partante tout de suite », narre Marie-Rose Blétry, présidente de l’Association Christelle. Le combat d’Yvette, aux côtés des autres membres et du cabinet d’avocats Seban, s’est ainsi vu relancé depuis son adhésion en 2006.

Et à 74 ans, elle n’a pas perdu la force de se battre. Elle vient même de terrasser un cancer, dont elle est aujourd’hui en rémission. Comme sa fille, 24 ans plus tôt, avait vaincu le sien avant d’être tuée. « Je me souviens de sa première mèche de cheveux qui est tombée quand elle a commencé sa chimio… Vanessa, j’ai sa photo sur un coussin posé sur un meuble, elle me manque. »

Le silence de l’hypothétique fugue

Des éclats de voix résonnent dans l’appartement familial, boulevard Henri-Dunant à Mâcon. Le début d’une soirée cauchemar en ce 1er juin 1999. Au téléphone, Vanessa Thiellon laisse sa colère se déverser sur Seyit, son petit ami. Il est en retard, l’horloge n’indique plus 22 h depuis longtemps.

L’adolescente de 17 ans a du caractère, forgé par ce cancer quasiment vaincu un an plus tôt, dont elle est en rémission. Et donne d’ailleurs du fil à retordre à sa mère, qui l’élève seule avec sa petite sœur de 12 ans. « Elle n’aimait pas les règles et fréquentait des gens qui ne les aimaient pas non plus. Toute la difficulté était là », souligne Yvette.

Vanessa Thiellon, quelques mois avant sa disparition. Photo DR

Vanessa Thiellon, quelques mois avant sa disparition. Photo DR

À tel point que Vanessa part même parfois, sans prévenir, plusieurs jours sur le littoral sud avec ses amis. « Elle fuguait souvent », confirme Yvette. Celle-ci s’y était quelque peu habituée, apprenant la plupart du temps par Corinne - la meilleure amie de Vanessa - ou par la police où sa fille se trouvait. « Ils me disaient : "Faites-vous pas de soucis, ils vont revenir". » Sans doute la genèse d’une inertie qui fera perdre plusieurs journées et de précieux indices...

L'immeuble où vivaient Yvette Thiellon et ses deux filles, boulevard Henri-Dunant à Mâcon. Photo Thomas Juchors

L'immeuble où vivaient Yvette Thiellon et ses deux filles, boulevard Henri-Dunant à Mâcon. Photo Thomas Juchors

L'immeuble où vivaient Yvette Thiellon et ses deux filles, boulevard Henri-Dunant à Mâcon. Photo Thomas Juchors

L'immeuble où vivaient Yvette Thiellon et ses deux filles, boulevard Henri-Dunant à Mâcon. Photo Thomas Juchors

Le commissariat de police de Mâcon. Photo Ketty Beyondas

Le commissariat de police de Mâcon. Photo Ketty Beyondas

Les éclats de voix se sont déplacés au pied de l’immeuble, sur le parking. Minuit approche. Du haut du cinquième étage, Yvette reconnaît Vanessa et Seyit. Il s’avèrera être le dernier à avoir vu de manière formelle l’adolescente à la silhouette élancée.

La jeune apprentie cuisinière avait rencontré ce garçon, à peine plus âgé, et plusieurs de ses amis à la sortie du collège Louis-Pasteur. La plupart, comme Seyit, habitent La Chanaye, le quartier le plus pauvre de la ville-préfecture de Saône-et-Loire. Vanessa les y rejoint fréquemment.

Dans le quartier de La Chanaye. Photo d'archives Adrien Wagnon

Dans le quartier de La Chanaye. Photo d'archives Adrien Wagnon

Yvette s’endort, le silence a recouvert cette nuit du mardi 1er juin 1999. La dispute ne l’a pas inquiétée outre mesure, elle connaît bien ce jeune homme désormais. « Il venait tout le temps à la maison, il était comme chez lui, il descendait même le chien. »

Le jour se lève, les jours passent, sans nouvelles de Vanessa. Le vendredi 4 juin, Seyit sonne à l’appartement, demande où elle se trouve. « Je pensais que comme le week-end arrivait, elle allait revenir », se remémore Yvette Thiellon.

Yvette Thiellon. Photo Ketty Beyondas

Yvette Thiellon. Photo Ketty Beyondas

Bien que l’adolescente ne semble avoir pris qu’un simple gilet en partant, sa mère s’imagine qu’elle est à nouveau partie dans le sud de la France, à Marseille, où vit la famille des frères Z., des amis de La Chanaye. Deux jeunes hommes qui feront parler d’eux.

Le week-end se présente, pas Vanessa… Yvette téléphone au commissariat de police le dimanche, on lui répond de passer le lendemain. Au petit matin de ce 7 juin 1999, elle s’y rend donc en compagnie de Corinne, elle aussi dans l’inconnu. Des inspecteurs leur annoncent que, deux jours plus tôt, ils ont découvert un corps...

Overdose, suicide, homicide : les tâtonnements mènent à Seyit...

Yvette Thiellon observe le visage de sa fille, reposant dans la salle d’autopsie. Une douzaine de jours se sont écoulés depuis que le corps de l’adolescente a été découvert dans la Saône, le samedi 5 juin. Aux côtés de la mère éplorée, se tient Seyit. Tous les regards se tourneront bientôt vers lui. Mais avant cela, les errements vont s’accumuler, car la cause de la mort de Vanessa est, déjà, une énigme.

Sur les berges de la Saône à Mâcon, dans la zone où le corps de Vanessa Thiellon a été trouvé. Photo Thomas Juchors

Sur les berges de la Saône à Mâcon, dans la zone où le corps de Vanessa Thiellon a été trouvé. Photo Thomas Juchors

Photo Thomas Juchors

Photo Thomas Juchors

Le corps de Vanessa Thiellon a été trouvé en face du club de voile. Photo Thomas Juchors

Le corps de Vanessa Thiellon a été trouvé en face du club de voile. Photo Thomas Juchors

Sa dépouille avait été retrouvée nue, abîmée par les affres de l’eau, une seule chaussure au pied, un mocassin noir de taille 38.

Elle avait été retenue par la végétation en face du club de voile, le long d’un chemin en surplomb bordé d’arbres et prisé des promeneurs. Pas de trace de la légère robe à motifs bleus et du gilet clair que la jeune fille portait. On ne les retrouvera jamais.

Carte Marc Liger

Carte Marc Liger

Le Journal de Saône-et-Loire, se basant sur les premiers éléments recueillis, avait d’abord évoqué le 6 juin une femme d’une quarantaine d’années, stigmates des effets de la rivière. « Mais quand ils m’ont montré la chaussure, j’ai compris que c’était l’une des siennes. Je venais de les acheter, elles étaient toutes neuves », se souvient Yvette. Les analyses ont confirmé l’identité de la jeune fille de 17 ans au bout de quelques jours.

Archives du Journal de Saône-et-Loire du 6 juin 1999

Archives du Journal de Saône-et-Loire du 6 juin 1999

Seule certitude qui se dégage : Vanessa est décédée avant que son corps ne soit jeté ou tombé à l’eau. La noyade est exclue. « L’eau, c’était son élément. Elle était passionnée d’aviron et nageait comme un poisson », fait remarquer Yvette.

L’hypothèse de l’overdose fait alors surface, sur fond de rumeurs à propos du cercle d’amis de Vanessa, qui traînent une mauvaise réputation du fait de leur implication dans un trafic de stupéfiants.

« La rumeur disait qu’elle avait fait une overdose et que ses amis avaient ensuite paniqué et l’avaient jetée à l’eau », relate maître Marine Allali.

Maître Marine Allali, avocate du cabinet Seban. Photo Ketty Beyondas

Maître Marine Allali, avocate du cabinet Seban. Photo Ketty Beyondas

« Mais pourquoi la déshabiller ? Imaginons qu’elle ait eu une overdose alors qu’elle était nue, pourquoi porte-t-elle une chaussure ? Et si elle avait fait une overdose, on en aurait retrouvé des traces. Tout ça paraissait aberrant », tance de son côté maître Seban.

Ces murmures ne seront en effet jamais attestés, les diverses analyses scientifiques ne permettant pas de valider cette théorie, restée au stade de simple spéculation. « Les expertises toxicologiques ne relèvent que des traces infimes de cannabis. Cela montrerait qu’elle a déjà fumé un joint, mais pas récemment. Elle n’était pas une consommatrice habituelle de toute manière », indique maître Allali.

Vanessa Thiellon. Photo DR

Vanessa Thiellon. Photo DR

Exit le suicide, un temps imaginé également mais pour lequel aucun signe ne pouvait laisser penser, l’information judiciaire ouvre finalement sur... un homicide involontaire. « C’est pour nous la grosse erreur commise au début de l’instruction, d’ouvrir sur cette qualification, fulmine l’avocate. À cause des difficultés pour connaître les causes exactes de la mort et démontrer l’intervention d’un tiers, elle ouvre là-dessus, mais ce n’est quand même pas l’évidence. »

« Le problème, c’est que ce dossier a été confié au commissariat local et qu’il n’a pas été considéré comme un dossier criminel au départ », appuie Didier Seban, aux yeux de qui beaucoup de temps a été perdu dès les prémices des investigations.

« L’inspecteur était convaincu qu’il s’agissait d’une dispute qui avait mal tourné. »
Yvette Thiellon

Photo Ketty Beyondas

Photo Ketty Beyondas

Et au-delà de l’absence de vêtements, des indices font naître une autre possibilité. Des hématomes couvrant les bras et le visage de Vanessa interrogent. Tandis que des soupçons grandissent autour du petit ami, Seyit. « L’inspecteur était convaincu qu’il s’agissait d’une dispute qui avait mal tourné, mais aussi que Seyit ne parlerait jamais », rapporte Yvette.

Au point que, le 21 janvier 2000, et ce malgré de maigres éléments contre lui, la justice tranche. Il est mis en examen pour homicide involontaire et recel de cadavre, sans être incarcéré.

C'est le tribunal judiciaire de Mâcon qui était au départ en charge du dossier Thiellon, avant que tous les dossiers de meurtres non résolus ne soient rassemblés à Chalon en 2008. Photo Ketty Beyondas

C'est le tribunal judiciaire de Mâcon qui était au départ en charge du dossier Thiellon, avant que tous les dossiers de meurtres non résolus ne soient rassemblés à Chalon en 2008. Photo Ketty Beyondas

Et puis plus rien ou presque. Les éléments recueillis s’avèrent finalement insuffisants pour aller plus avant. Les mois défilent, se muent en années... Yvette Thiellon reste sans nouvelle des enquêteurs, tandis que son avocate d’alors a semble-t-il complètement délaissé le dossier. « Je croyais qu’elle travaillait dessus puis un jour, j’ai pris rendez-vous, et sa secrétaire ne trouvait plus le dossier. Elles l’ont trouvé au bout de deux-trois jours, en bas d’un placard », se désole-t-elle. La mort de Vanessa Thiellon sombrait peu à peu dans l’oubli, sans explications.

Le frère du petit-ami impliqué dans une autre affaire de meurtre

« Lui et ses frères, ils empoisonnent tout le monde », s’indignait Me Bartoli lors d’un procès qui a détonné au début des années 2000, sur fond de racisme ambiant. « Lui », c’est Muhammed. Et parmi « ses frères », figure Seyit. L’avocate des parties civiles fait alors référence aux multiples déboires qu’a connu la fratrie avec la justice. Celle que connaît ici Muhammed n’est pas des moindres. Puisqu’il va être reconnu coupable de violences ayant entraîné la mort et écoper en appel, le 20 décembre 2002, de 14 ans de réclusion criminelle. Il avait tué à l’arme blanche Thierry Tureau, 30 ans, en juin 2000 à Cluny, soit un an tout juste après la mort de Vanessa Thiellon.

Archives du Journal de Saône-et-Loire du 21 décembre 2002

Archives du Journal de Saône-et-Loire du 21 décembre 2002

Tout avait découlé d’un dramatique concours de circonstances. Thierry Tureau s’était rendu chez son ami Pascal Moiraud, dans cette petite commune connue pour son abbaye à 25 km au nord de Mâcon. Il venait l’aider à rentrer ses chevaux de trait. Muhammed se trouvait aussi sur les lieux, à l’insu des deux hommes. Il était le petit ami de la fille de Pascal, lequel disait ne guère apprécier "les Arabes". La liaison était ainsi cachée. Dans le même temps, les amis de Muhammed, venus le chercher, volaient l’autoradio de Thierry Tureau. Et filaient...

C’est donc Muhammed que Thierry et Pascal croisaient sur leur route. Et soupçonnaient du vol. L’empoignant pour l’emmener à la gendarmerie, une altercation éclatait, les coups partaient, Muhammed donnait quatre coups de couteau, dont un mortel. Sans connaître les conséquences de son acte, le jeune homme, âgé de 18 ans à peine, avait ramené l’autoradio dès le lendemain...

Seyit, quant à lui, le rejoindra bientôt en prison, mais là encore pour une toute autre affaire que le meurtre de Vanessa Thiellon.

Seyit, les frères Z., l’homme au chien : des axes d’enquête en suspens

Plus de vingt années se sont écoulées. Mis en évidence, un document de 23 pages campe sur la table d’un bureau du cabinet Seban, boulevard Saint-Germain à Paris. Il synthétise toutes les failles du dossier Vanessa Thiellon, ainsi que les actes judiciaires demandés par les avocats de la famille et restés sans réponses. « On en avait envoyé une copie il y a quelques années à la juge d’instruction du tribunal de Chalon-sur-Saône, pour expliquer tout ce qu’il fallait faire dans le dossier, parce qu’il est très sincèrement en friche. C’est très rare que l’on fasse cela », explique maître Seban.

Photo Ketty Beyondas

Photo Ketty Beyondas

À l’intérieur, une multitude de témoignages et d’éléments à vérifier, de personnes à auditionner « qui ont croisé Vanessa ce jour-là et qui n’ont pas été entendues », de problèmes qu’a pu avoir l’adolescente « avec untel ou untel » qui n’ont pas été examinés... En somme, de nombreux manques hérités de l’enquête initiale, également soulignés en creux par l’ancien enquêteur de la police judiciaire de Dijon, Raphaël Nedilko, dans son livre LObstiné.

Raphaël Nedilko, ici en juin 2022, a choisi de quitter la police judiciaire de Dijon en 2016 et exerce désormais au sein de la brigade financière de Chalon-sur-Saône. Photo Ketty Beyondas

Raphaël Nedilko, ici en juin 2022, a choisi de quitter la police judiciaire de Dijon en 2016 et exerce désormais au sein de la brigade financière de Chalon-sur-Saône. Photo Ketty Beyondas

Sollicité à titre informel par le juge Emmanuel Vion sur le dossier Thiellon, « à une époque bénie » d’après maître Seban pour son cabinet et les familles avec le tribunal chalonnais, il avait identifié « quelques vérifications prometteuses ». Mais aussi observé le peu d’énergie déployée sur cette affaire : « En plusieurs années, elle [sa collègue alors en charge du dossier, NDLR] n’a fait que trois PV », écrit-il. Insuffisant aux yeux de celui qui était parvenu avec acharnement à résoudre les cold cases de Christelle Maillery et Christelle Blétry.

Tandis que l’initiative des avocats est finalement restée lettre morte au tribunal saône-et-loirien. « On n’a eu aucune réponse. Et quand on demandait une réponse, on n’avait pas non plus de réponse », soupire maître Allali.

La seule éclaircie étant intervenue un peu plus tôt en 2016, avec l’exhumation du corps pour tenter de trouver, enfin, la cause de la mort. En vain. « Avec les progrès techniques effectués, on réussit parfois à déceler des choses qu’il était impossible de voir à l’époque, mais cela n’a rien donné ici », indique l’avocate.

Reprendre l’intégralité du dossier, chose désormais à la charge du pôle cold cases de Nanterre, est ainsi pour les avocats la seule voie possible afin de faire jaillir la vérité. Et trois axes d’enquête se dégagent clairement.

Le quartier de La Chanaye. Photo Thomas Juchors

Le quartier de La Chanaye. Photo Thomas Juchors

Le quartier de La Chanaye. Photo Thomas Juchors

Le quartier de La Chanaye. Photo Thomas Juchors

Le premier porte sur Seyit, le petit ami, toujours mis en examen pour homicide involontaire, sur qui toutefois beaucoup de recherches semblent avoir été faites sans pouvoir aboutir. « Il n’est pas oublié du dossier mais ce n’est pas forcément sur lui qu’on espère que les investigations se concentrent maintenant », note Marine Allali.

S’il a toujours nié être impliqué dans la mort de Vanessa et maintenu l’avoir laissée seule sur le parking de l’immeuble après leur dispute, il se trouve sans alibi solide dans l’heure qui a suivi celle-ci. Et, au gré de ses péripéties avec la justice et les forces de l’ordre, entre trafic de stupéfiants et violence, l’étau s’était rapidement resserré autour de lui. D’autant que l’enquête avait relevé que sa relation avec Vanessa s’avérait conflictuelle. « Dans le dossier, il apparaît en effet que les rapports entre Vanessa et Seyit n’étaient pas faciles », confirme maître Seban.

Surtout, peu de temps après le meurtre de l’adolescente mâconnaise, le jeune homme d’alors a fini par échouer derrière les barreaux, ayant été interpellé puis reconnu coupable pour un viol avec un complice, l’un des frères Z. Surtout, la femme victime du viol a porté d’autres accusations, affirmant aux enquêteurs qu’il lui avait fait des confidences à propos de la mort de Vanessa... Des déclarations qui n’ont malgré tout pas fait évoluer l’instruction de manière décisive, la crédibilité de celles-ci semblant avoir été mise en doute.

Le second axe d’enquête concerne le reste de l’entourage de la jeune femme. Il est constitué notamment de « jeunes qui traînent », impliqués et condamnés dans divers trafics de stupéfiants, qui vivaient pour beaucoup dans le quartier de La Chanaye, comme Seyit. Un milieu tumultueux qui paraissait susciter l’aversion des autorités à son égard. « On est dans un milieu socialement défavorisé. Et je pense que c’est une des clés qui fait que la police s’est un peu désintéressée du dossier à la base. Quand on le reprend aujourd’hui, avec des yeux des années 2020, on le voit dès les premières lignes », souligne à ce propos Marine Allali.

Photo Ketty Beyondas

Photo Ketty Beyondas

Dans ce microcosme quelque peu trouble, se détachent notamment les frères Z. Pour l’un, des suspicions se sont élevées après sa condamnation pour viol en compagnie de Seyit, les révélations de la victime l’impliquant dans le meurtre de Vanessa.

Quant à l’autre frère, avec qui Vanessa aurait eu une relation occasionnelle, d’où les fugues à Marseille, il a lui-même affirmé avoir vu l’adolescente lors de cette nuit fatidique du 1er juin. Avant de quitter mystérieusement le pays, direction le Maroc, peu de temps après les faits... Un départ intervenu également peu après une entrevue dans la cité phocéenne - où il séjournait alors - avec un autre ami de la bande, qui semblait être parti précipitamment de Mâcon après la mort de Vanessa pour ce faire. Devant les enquêteurs, l’ami assurait néanmoins avoir pris cette décision avant d’avoir eu connaissance du drame... Autant d’éléments, à charge ou à décharge, non vérifiés à ce jour.

Troisième axe, celui d’un tueur de passage ou en série, du fait du caractère potentiellement sexuel du crime, au regard de la nudité de la victime.

À ce titre, d’une part, figure un témoignage donné très tardivement, en 2015, suite à une émission diffusée sur NRJ12. Une personne restée anonyme a assuré avoir vu Vanessa sur les quais de Saône cette nuit du 1er juin 1999, discutant avec un homme accompagné d’un chien. « Il y a toujours beaucoup de témoignages avec ce genre d’émission à grande diffusion, souvent peu fiables, mais là on avait considéré que c’était assez sérieux, que c’était à vérifier », relève maître Allali. Bien que la description de cet individu pût correspondre à un homme vivant dans le même quartier que Vanessa, déjà connu de la justice pour le viol d’une jeune fille, il n’a jusque-là pas pu être identifié formellement.

D’autre part, la ville de Mâcon et le quartier du théâtre, lieu de résidence de Vanessa, ont laissé derrière eux un triste historique en matière de meurtres de jeunes femmes. Et d’autres pistes possibles...

Le théâtre de Mâcon. Photo Thomas Juchors

Le théâtre de Mâcon. Photo Thomas Juchors

Un théâtre de crimes

À Mâcon, le quartier du théâtre n’a, à première vue, rien de particulier. Autour de l’immense bâtisse aux allures de soucoupe volante qui lui donne son surnom, de larges rues le traversent, surplombées d’un ensemble disparate d’immeubles cubiques et de zones arborées.

L'avenue Charles-de-Gaulle longe le théâtre, dont la silhouette se détache à droite. Photo Thomas Juchors

L'avenue Charles-de-Gaulle longe le théâtre, dont la silhouette se détache à droite. Photo Thomas Juchors

Les eaux calmes de la Saône et le tumulte de l’ex-nationale 6 le bordent d’un côté, le chemin de fer de l’autre, tandis que le centre-ville lui barre la route en direction du sud et du quartier de La Chanaye… 

Pourtant, plusieurs crimes de jeunes femmes sont liés de près ou de loin à ce quartier.

Nathalie Maire, tuée en 1987, y vivait, au sein du même immeuble que Vanessa Thiellon.

Nathalie Maire. Photo fournie par la famille

Nathalie Maire. Photo fournie par la famille

Marthe Buisson, tuée deux semaines plus tôt, était logée au Foyer de l’enfance, à moins d’1 km.

Marthe Buisson. Photo DR

Marthe Buisson. Photo DR

Et Anne-Sophie Girollet disparaîtra à la sortie, justement, de ce théâtre en 2005.

Anne-Sophie Girollet. Photo fournie par la famille

Anne-Sophie Girollet. Photo fournie par la famille

Longtemps aussi, on cherchera tout près des traces du passage des deux auto-stoppeuses belges disparues en 1984, avant d’en trouver plus tard à Aix-les-Bains.

Françoise Bruyère et Marie-Agnès Cordonnier, les deux auto-stoppeuses belges disparues. Photo DR

Françoise Bruyère et Marie-Agnès Cordonnier, les deux auto-stoppeuses belges disparues. Photo DR

Alors une question affleure encore de nos jours, un seul tueur a-t-il pu sévir dans ce secteur si restreint ? L’hypothèse, comme souvent, part de loin, mais est régulièrement invoquée.

En particulier depuis le meurtre et le viol d’Anne-Sophie Girollet, une autre jeune femme âgée de 20 ans, commis dans la nuit du 19 mars 2005 à moins de 500 mètres du lieu de disparition de Vanessa Thiellon. Comme cette dernière, son corps est retrouvé, deux semaines après sa disparition, dans la Saône. Même zone géographique, même tranche horaire, même procédé pour faire disparaître le corps et mêmes traces de violence sur la dépouille, avec plusieurs hématomes parcourant son visage et son thorax.

La voiture d'Anne-Sophie Girollet repêchée dans la Saône en avril 2005. Photo d'archives JSL

La voiture d'Anne-Sophie Girollet repêchée dans la Saône en avril 2005. Photo d'archives JSL

Le coupable, identifié en 2012, condamné à la perpétuité en 2017, ne fait pas encore l’objet d’investigations sur son parcours de la part du pôle cold cases de Nanterre, bien que les avocats de la famille le souhaitent. Il s’agit de Jacky Martin. « Comme Pascal Jardin ou Michel Fourniret, il nous intéresse tout particulièrement », indique Didier Seban.

Âgé de 37 ans en 1999, l’homme est à ce moment déjà connu pour ses frasques, ayant effectué plusieurs passages en prison, essentiellement pour des vols de véhicules et des faits de violence. Au gré de sa vingtaine de condamnations, se trouvait-il en prison ou libre la nuit du 1er juin 1999 ? La question ne trouve pas de réponse pour le moment. « On a essayé d’avoir son dossier par ses avocats et ceux de la partie civile de son procès, personne ne nous répond », se désespère l’avocat parisien.

Portrait-robot de Jacky Martin, dressé peu après le meurtre d'Anne-Sophie Girollet en 2005. Illustration DR

Portrait-robot de Jacky Martin, dressé peu après le meurtre d'Anne-Sophie Girollet en 2005. Illustration DR

Si Yvette Thiellon ne croit guère à cette hypothèse - « Je n’ai jamais pensé à lui, pour moi il n’a rien à voir avec Vanessa », balaie-t-elle -, deux faits, antécédents au meurtre de l’adolescente mâconnaise et laissant présager de la grande brutalité de Jacky Martin, ont été mis en avant lors de son procès.

Il est d’abord fortement soupçonné par un ancien complice de cambriole d’être celui qui l’a précipité d’un pont de Tournus, le faisant chuter de six mètres sur le quai, en 1989. Celui-ci avait ensuite été détroussé et laissé en plan avec une fracture ouverte et un traumatisme crânien.

Une femme relate ensuite qu’il l’a agressée à l’arme blanche, en 1993, alors qu’elle marchait seule dans une ruelle de Mâcon, avant d’être sauvée grâce à un passant. Elle avait alors 25 ans.

Jacky Martin, escorté au palais de justice de Mâcon après son arrestation. Photo d'archives JSL

Jacky Martin, escorté au palais de justice de Mâcon après son arrestation. Photo d'archives JSL

La police judiciaire avait bien tenté de faire des liens - suite à la demande d’un réquisitoire supplétif du procureur de la République de Mâcon en janvier 2006 - entre les affaires Girollet et Thiellon, mais la piste Jacky Martin n’existait alors pas encore. Et depuis ? « On n’enquête pas », se lasse maître Seban. « Jacky Martin, c’est vraiment la personne qui est condamnée pour un crime et derrière on ne recherche rien du tout sur elle, même pas avec les autres dossiers de Saône-et-Loire. On a pourtant fait beaucoup de demandes à son propos », appuie Marine Allali.

Michel Fourniret lors d'une reconstitution judiciaire en 2019. Photo d'archives Sipa

Michel Fourniret lors d'une reconstitution judiciaire en 2019. Photo d'archives Sipa

En attendant, les premiers résultats sur un tueur déjà condamné sont plutôt pressentis du côté de Michel Fourniret. En 2021, une comparaison ADN avait été lancée au niveau national le concernant. Une vingtaine de cold cases de l’Hexagone - parmi lesquels les affaires Vanessa Thiellon, Virginie Bluzet et Carole Soltysiak en Saône-et-Loire - devaient ainsi être comparés aux ADN "fantômes" du dossier du tueur en série décédé en 2021, notamment ceux inconnus trouvés dans sa fourgonnette. « Cela prend du temps, il y a énormément de scellés dispersés un peu partout dans le dossier Fourniret, informe maître Allali. Ils ont commencé les analyses mais ce n’est pas terminé, on n’a pas encore de résultat pour Vanessa Thiellon. »

Une hypothèse de plus en suspens.

Si vous avez vu ou si vous vous souvenez de quelque chose, signalez-vous auprès de l’Association Christelle ou des autorités compétentes.

L’Association Christelle, basée à Blanzy, aide les familles victimes d’agressions criminelles. Pour financer les frais inhérents à la gestion de ces affaires, elle a besoin de dons et de bénévoles. Tél. 06.06.71.06.71.