Affaire Nnomo-Rey : la prostituée, le vigneron et lhôtel du malheur

Cold cases de Saône-et-Loire (8/10)

Suite à l’ouverture d’un pôle judiciaire national dédié aux cold cases le 1er mars 2022, Le JSL revient sur les crimes non résolus de Saône-et-Loire. Aujourd’hui, retour sur l’affaire Dorothée Nnomo-Rey. Cette femme de 40 ans a été retrouvée sans vie dans sa camionnette le samedi 12 mars 2011, à Rully. Elle avait été poignardée à 32 reprises. Deux hommes ont été mis en examen avant d’être finalement mis hors de cause, sans pour autant bénéficier d’un non-lieu. Des interrogations subsistent désormais sur d'autres points.

Un chemin de terre à Rully, une camionnette blanche immobile dans l’âpreté de la nuit et à l’intérieur Dorothée Nnomo-Rey, gisant sans vie. Trente-deux coups de couteau. C’est la macabre découverte que font les gendarmes lors de cette fraîche et humide soirée de ce samedi 12 mars 2011. Elle signe le début d’une affaire rocambolesque, qui nous plonge jusque dans les méandres de la pègre et de l’occulte milieu dans lequel elle baigne. Même en Saône-et-Loire.

Et qui conduit au calvaire de deux hommes a priori ordinaires, mis en examen quelques mois plus tard. Si l’un est aujourd’hui décédé, l’autre continue, sans relâche, de réclamer un non-lieu, bien qu’il ait été en partie mis hors de cause en prenant le statut de témoin assisté. « Je ne veux pas mourir avec des soupçons associés à mon nom », se lamente ainsi Daniel Joblot, âgé de 79 ans désormais.

Il attend, pour ce faire, que les dernières commissions rogatoires lancées par le parquet de Chalon-sur-Saône à l’étranger, en Afrique, soient menées à leur terme. « Ça met un temps fou », glisse maître Alain Guignard, qui assiste l’ancien vigneron de Saint-Vallerin depuis le début.

Pour l’avocat chalonnais, il n’y a de toute manière pas l’ombre d’un doute sur l’innocence de son client : « C’est évident que lors de l’enquête préliminaire de la gendarmerie de Chagny, ils se sont fourvoyés. »

Depuis, tout s’est éparpillé. Les dernières pièces du puzzle de cet homicide échappent aux regards. L’entourage proche ou plus lointain de Dorothée Nnomo-Rey a mis les voiles ou ne s’est jamais manifesté. Dans cette affaire qui lui « use la santé », Daniel Joblot semble être, bien malgré lui, le dernier à la faire vivre.

C'est ici, sur ce chemin de terre à Rully, près de la D906 (ex-RN6), que Dorothée Nnomo-Rey a été retrouvée morte le 12 mars 2011 dans sa camionnette.

Le dernier itinéraire de la coiffeuse prostituée

Retour en arrière. Nous sommes le vendredi 11 mars 2011. « Vers 9 h 30 », Dorothée Nnomo-Rey grimpe dans son fourgon comme chaque jour et démarre. Elle est officiellement coiffeuse à domicile, inscrite au registre du commerce depuis avril 2010.

Dorothée Nnomo-Rey, ici en 2006. Photo DR

Dorothée Nnomo-Rey, ici en 2006. Photo DR

Elle quitte son domicile de Chalon-sur-Saône et part écumer les routes, les rendez-vous avec les clients devant se succéder. « Elle partait avec ses affaires de coiffeuse et rentrait le soir. » Rien de plus normal. Voilà pour la version d’Éric Rey, 52 ans alors, son mari depuis cinq ans. Mais la réalité, que dit ignorer Éric Rey, est tout autre : Dorothée se prostitue.

« Si j’avais appris que ma femme se prostituait, je l’aurais très mal pris évidemment et je serais parti. »
Éric Rey dans le JSL du 18 mars 2011

La camionnette blanche roule vers le nord, vers le chemin de croix de cette femme de 40 ans. Cela ne fait que peu de temps qu’elle se fixe dans le secteur de Rully, près de l’ex-RN6 (aujourd’hui D906). La route est privilégiée par la prostitution. Elle relie le Chalonnais au Mâconnais, scindant la Saône-et-Loire en deux.

Vue de la D906 (ex-RN6), depuis le chemin de terre où stationnait Dorothée Nnomo-Rey. Photo Thomas Juchors

Vue de la D906 (ex-RN6), depuis le chemin de terre où stationnait Dorothée Nnomo-Rey. Photo Thomas Juchors

Le fourgon finit par quitter la D906 et s’engage sur une voie qui mène à une zone de traitement de déchets, où se trouvent plusieurs entreprises, tels que le Smet et Terréal, à une petite vingtaine de minutes de Chalon. Les véhicules y défilent régulièrement. Après quelques dizaines de mètres parcourus, Dorothée arrive à destination et se gare sur un chemin de terre, entouré d’arbres mais avec vue sur l’ex-RN6.

Le lieu de stationnement de Dorothée Nnomo-Rey le soir du meurtre. Carte Marc Liger

Le lieu de stationnement de Dorothée Nnomo-Rey le soir du meurtre. Carte Marc Liger

L’endroit est discret mais suffisamment visible pour que les clients puissent la voir depuis la route départementale et celle du Smet. Sa journée débute, elle se finit habituellement vers 19 heures. Le compte à rebours commence.

17 h 39 : elle envoie un dernier SMS. Il s’agit de son ultime manifestation téléphonique. Peu après, vers 18 h, elle est aperçue en train de lire au volant de son véhicule par un cycliste. Il est le dernier témoin à l’avoir vue en vie.

Le chemin, en face, est celui où stationnait Dorothée Nnomo-Rey. Photo Thomas Juchors

Le chemin, en face, est celui où stationnait Dorothée Nnomo-Rey. Photo Thomas Juchors

Dans le même temps, à quelques centaines de mètres à peine, Serge Mazoyer, la carrure massive d’un videur de boîte de nuit, a rejoint son ami Daniel Joblot, un homme aux mains de géant décrit comme « fantasque ». Accompagnés d’un troisième acolyte, Habib H., ils prennent l’apéritif dans un ancien hôtel, propriété du second, situé le long de cette fameuse D906.

Le lieu de stationnement de Dorothée Nnomo-Rey le soir du meurtre et l'ancien hôtel de Daniel Joblot. Carte Marc Liger

Le lieu de stationnement de Dorothée Nnomo-Rey le soir du meurtre et l'ancien hôtel de Daniel Joblot. Carte Marc Liger

C’est justement de ce local, loué régulièrement à la communauté africaine pour des soirées, qu’il est question ce vendredi soir. Daniel doit se rendre à Lux, à un peu plus de vingt minutes de route, chez une certaine Nadia. « Nous avions rendez-vous pour négocier. Elle voulait louer l’hôtel et reprendre le snack qui se trouvait dans la cour de l’établissement », dévoile-t-il.

« La porte était entrouverte, des chaussures étaient visibles à l’entrée. Personne n’est descendu de la voiture, on n’a rien vu. »
Serge Mazoyer, dans les colonnes du JSL

L’heure du départ sonne, la nuit tombe. Tandis que Habib H. reste à l’hôtel pour « bricoler au garage », Daniel Joblot et Serge Mazoyer prennent la route mais décident de faire un crochet. Ils passent devant la camionnette de Dorothée. « Serge, qui était quelqu’un de très curieux, a voulu aller voir ce qu’elle faisait là. On la voyait peut-être depuis la route mais il fallait vraiment chercher à la voir, moi je ne l’avais jamais vue avant », soutient Daniel.

À l'intersection de l'ancien hôtel, se détache au fond (au niveau de la voiture blanche) la petite route partant à gauche qui menait à la camionnette de Dorothée Nnomo-Rey. Photo Thomas Juchors

À l'intersection de l'ancien hôtel, se détache au fond (au niveau de la voiture blanche) la petite route partant à gauche qui menait à la camionnette de Dorothée Nnomo-Rey. Photo Thomas Juchors

« La porte était entrouverte, des chaussures étaient visibles à l’entrée. Personne n’est descendu de la voiture, on n’a rien vu. On a continué notre chemin », jurait quant à lui Serge dans nos colonnes. « On est passé lentement devant et on est parti », confirme Daniel.

Direction Lux donc, où Nadia s’avère introuvable. « Il n’y avait qu’un jeune homme chez elle, avec un gosse. Je ne les connaissais pas », se remémore l’ancien vigneron. Tour à tour, lui, Serge, un troisième ami - qu’ils avaient récupéré à Chalon-sur-Saône - et le jeune homme tentent de contacter Nadia, sans succès. Les trois compagnons se résolvent alors à annuler et partent manger dans une pizzéria du village, route de Lyon, avant de rentrer.

Carte Marc Liger

Carte Marc Liger

Le chemin de terre où stationnait Dorothée. Photo Thomas Juchors

Le chemin de terre où stationnait Dorothée. Photo Thomas Juchors

Le couple formé par Dorothée Nnomo et Eric Rey vivait rue de Belfort à Chalon-sur-Saône. Photo Thomas Juchors

Le couple formé par Dorothée Nnomo et Eric Rey vivait rue de Belfort à Chalon-sur-Saône. Photo Thomas Juchors

Le chemin de terre où stationnait Dorothée. Photo Thomas Juchors

Le chemin de terre où stationnait Dorothée. Photo Thomas Juchors

À Rully, en pleine nuit, vers 1 h 50, la camionnette de Dorothée Nnomo-Rey n’a pas bougé. Un chauffeur de passage constate que deux voitures sont garées à ses côtés, et qu’une troisième est placée en face, sur un second chemin de terre, le nez vers la voie, comme pour observer la scène qui se joue.

À Chalon-sur-Saône, dans son appartement rue de Belfort, Éric Rey paraît s’inquiéter. « Dorothée n’avait pas l’habitude de ne pas rentrer », nous indiquera-t-il.

Dorothée Nnomo-Rey et son mari. Le couple était arrivé à Chalon-sur-Saône au début de l'année 2010. Photo DR

Dorothée Nnomo-Rey et son mari. Le couple était arrivé à Chalon-sur-Saône au début de l'année 2010. Photo DR

Selon ses dires, il signale le vendredi-même la disparition de sa femme à la police. « J’ai appelé à plusieurs reprises sur son portable sans succès, finissant par tomber sur le répondeur, sa recharge de batterie était chez nous. Puis, à 22 h 30, j’ai appelé le commissariat qui m’a dit de téléphoner à l’hôpital. Je n’ai rien dormi de la nuit, je suis retourné au commissariat le samedi matin, puis l’après-midi… » Trop tard.

Le corps inerte de la coiffeuse prostituée, gisant sur le matelas gorgé de sang aménagé à l’intérieur du véhicule, est finalement retrouvé par un passant le samedi 12 mars en fin de journée, qui prévient les gendarmes.

La camionnette de Dorothée Nnomo-Rey, sur le lieu du crime. Photo DR

La camionnette de Dorothée Nnomo-Rey, sur le lieu du crime. Photo DR

Une vingtaine d’agents sont alors mobilisés sur place. Les enquêteurs débutent leurs investigations. L’autopsie révèle les plaies de trente-deux coups de couteau, principalement au thorax. Quatre sont mortels, dont deux ont été portés au cœur et à la trachée.

Pas de traces de violences sexuelles, pas de traces de lutte dans le véhicule. Alors que le fourgon n’a pas été nettoyé par le ou les auteurs du meurtre. L’arme du crime n’est pas retrouvée. Plusieurs téléphones, appartenant vraisemblablement à la victime, sont saisis. Et deux ADN masculins sont relevés, dont l’un sous les ongles de Dorothée.

Rivalités, dettes... Dorothée sur les sentiers de la perdition

Rully. Au sein de cette commune viticole de la Côte chalonnaise, la surprise est de mise à l’annonce de ce meurtre. On s’imaginait s’être débarrassé de la prostitution. « Je pensais que nous avions fait place nette. Je pense que ça ne devait pas faire très longtemps que cette prostituée travaillait sur le coin », livrait au JSL François Lotteau, alors maire du village. 

Il voyait en partie juste. Vraisemblablement, Dorothée Nnomo-Rey stationnait auparavant plus au sud, vers Tournus, mais aussi entre Varennes-le-Grand et Beaumont-sur-Grosne, où une autre prostituée rencontrée par le JSL à cet endroit l’affirme : la quadragénaire n’était pas une inconnue dans le milieu. « Je l’ai vue pour la dernière fois le samedi 5 mars, indique-t-elle, interrogée quelques jours après le drame. Elle était encore ce jour-là ma ''voisine'' de travail à quelques mètres d’ici. Elle se faisait appeler Michèle, je crois. »

De nombreuses camionnettes de prostituées étaient positionnées près de l'ex-RN6, comme ici à proximité du Bois Clair, entre Tournus et Uchizy. Photo darchives JSL

De nombreuses camionnettes de prostituées étaient positionnées près de l'ex-RN6, comme ici à proximité du Bois Clair, entre Tournus et Uchizy. Photo darchives JSL

Aux abords du bourg de Rully. Photo Thomas Juchors

Aux abords du bourg de Rully. Photo Thomas Juchors

Dorothée, alias Michèle, se révèle être l’un de ces simples pions placés en première ligne dans le jeu de la pègre. En loccurrence ici un réseau de prostitution camerounais hiérarchisé, tentaculaire et organisé autour de Chalon-sur-Saône.

Un réseau auquel elle semble vouloir échapper. Car celle qui est aussi mère de famille - elle a deux enfants qui vivaient alors au Cameroun - « envoyait des CV pour être femme de ménage mais avait peu de réponses », selon une amie. L’analyse de son ordinateur montrera qu’elle prospectait du côté d’Annemasse (Haute-Savoie), où vit une partie de sa famille.

Vue d'Annemasse. Photo d'archives Le DL

Vue d'Annemasse. Photo d'archives Le DL

Mais on ne se sort pas comme cela du jeu. Les raisons qui l’ont poussée à rallier la Saône-et-Loire, puis plus précisément Rully, pour y vendre ses charmes apparaissent d’ailleurs comme des choix forcés. Selon une source infiltrée au sein du réseau, dont Le JSL avait pu consulter le témoignage sous X, l’ordre serait en effet venu - dès début février - d’en-haut, de la dite « cheffe » des prostituées, une dénommée… Nadia, cette même femme que devaient rencontrer le soir du meurtre Daniel Joblot et ses deux amis.

« Cet endroit [Rully] était contesté et faisait l’objet de conflits sérieux. »
Un témoin anonyme infiltré au sein du réseau de prostitution camerounais

« Ça parait étrange car Nadia était partie de ce coin la peur au ventre, se sentant menacée à cause d’une sérieuse embrouille avec des travestis. Cet endroit était contesté et faisait l’objet de conflits sérieux », soulignait cette source. Rully ne semblait décidément pas débarrassée de la prostitution.

Au-delà de cette rivalité, une tension flotte dans l’air, depuis un certain temps, au sein du réseau dans lequel vivote Dorothée. Et elle semble particulièrement étouffer la quadragénaire. « Elle avait des difficultés à travailler et certains de mes clients qui ont eu affaire avec elle m’ont rapporté qu’elle n’était pas très sympathique, elle était sur les nerfs, relevait sa ''collègue''. […] Nous sommes très nombreuses sur le secteur et c’est de plus en plus difficile de bien gagner. » L’argent, le point de crispation.

La zone où se prostituait Dorothée Nnomo-Rey avant Rully. Carte Marc Liger

La zone où se prostituait Dorothée Nnomo-Rey avant Rully. Carte Marc Liger

Selon le témoin anonyme, à cette époque, chaque prostituée doit verser une ''cotisation'' variant de 200 à 500 € par mois, gérée par des commerçants camerounais de Chalon. « Cette caisse est censée être mise à la disposition de la communauté, comme une sorte de ''sécurité sociale'', décrit-il. Chaque mois, les filles doivent aussi s’acquitter de 700 € environ à une ''patronne'' au Cameroun, soi-disant pour payer leurs camions. » Selon lui, celles qui se prostituent tous les jours sont à même d’envoyer de 2000 à 3000 € par mois au Cameroun ou dans la communauté européenne.

« Quelques mois avant Rully, la camionnette de Dorothée avait été brûlée à Saint-Cyr, comme un avertissement. »
Maître Alain Guignard

Mais les choses paraissent plus compliquées pour Dorothée. Le couple qu’elle forme avec Éric Rey croule sous les dettes. Ils sont suivis par une assistante sociale, lui ne touche plus d’indemnités de chômage, ses droits ont pris fin. « On allait parfois manger aux Restos du cœur et j’avais préparé un dossier de surendettement. C’était vraiment difficile pour nous financièrement », relatera-t-il au JSL. Le funeste destin de Dorothée Nnomo-Rey trouve-t-il son origine dans ses déboires financiers ?

« Quelques mois avant Rully, la camionnette de la victime [Dorothée] avait été brûlée à Saint-Cyr, comme un avertissement », révèle maître Alain Guignard, l’avocat de Daniel Joblot. La prostituée camerounaise aurait auparavant refusé de payer sa cotisation lorsqu’elle se trouvait à Lyon, la poussant à remonter sur Villefranche-sur-Saône, où la menace pesant sur elle ne se serait pas atténuée... Ce qui l’aurait incitée, à nouveau, à remonter vers le nord et Chalon-sur-Saône.

Une camionnette de prostitution près de l'ex-RN6, ici en 2022. Photo Ketty Beyondas

Une camionnette de prostitution près de l'ex-RN6, ici en 2022. Photo Ketty Beyondas

Et le 10 février 2011, un mois avant le crime, un réseau de prostitution en appartements, toujours au sein de la communauté camerounaise, s’est vu démanteler à Chalon-sur-Saône par les forces de l’ordre. Sept individus avaient été placés sous contrôle judiciaire.

Conséquence : des rumeurs persistantes se seraient mises à courir sur des personnes visées par des représailles. Selon la source infiltrée, Dorothée en aurait fait partie. Des filles auraient été mises à l’amende, la plupart auraient payé, pas Dorothée Nnomo-Rey. 

La Une du JSL le 12 février 2011, mettant en avant le reportage dans un des immeubles de Chalon où un réseau de prostitution avait implanté ses activités. Photo d'archives JSL/Sarah FRÉQUELIN

La Une du JSL le 12 février 2011, mettant en avant le reportage dans un des immeubles de Chalon où un réseau de prostitution avait implanté ses activités.

La Une du JSL le 12 février 2011, mettant en avant le reportage dans un des immeubles de Chalon où un réseau de prostitution avait implanté ses activités.

La quadragénaire aurait même confié à une amie son intention de quitter le département dès le lundi 14 mars - soit deux jours après sa mort - pour se rendre à... Annemasse. Et donc de quitter le domicile conjugal. Dans une éternelle fuite. Sentait-elle venir une menace ? Cela avait-il quelque chose à voir avec son mari ?

Pour les enquêteurs, rapidement, la piste du réseau de prostitution camerounais se dessine. Mais il faut attendre encore six mois pour que les lignes hameçonnent deux suspects, clairement identifiés.

Ancien hôtel, écoutes téléphoniques et portrait-robot : « On vous arrête pour crime »

C’est au petit matin de cette mi-septembre 2011, alors que Daniel Joblot a les mains dans son pressoir vinicole de Saint-Vallerin, près de Buxy, que lui apparaissent les forces de l’ordre. Elles se saisissent de lui, manu militari. « Ils m’ont dit : "Vous allez devoir nous suivre". » Au même moment, à plus de 45 km de là, à Pontoux dans la Bresse chalonnaise, Serge Mazoyer se retrouve également face aux gendarmes, estomaqué. « On vous arrête pour crime. »

Daniel Joblot en .... Photo d'archives JSL/Gilles DUFOUR

Daniel Joblot en mai 2013. Photo d'archives JSL/Gilles DUFOUR

Daniel Joblot en mai 2013. Photo d'archives JSL/Gilles DUFOUR

Serge Mazoyer en janvier 2014. Photo d'archives JSL/Gilles DUFOUR

Serge Mazoyer en janvier 2014. Photo d'archives JSL/Gilles DUFOUR

Serge Mazoyer en janvier 2014. Photo d'archives JSL/Gilles DUFOUR

Les (anciens) suspects

Daniel Joblot, 66 ans au moment des faits, est un vigneron à la retraite de Saint-Vallerin, près de Buxy. Et il est surtout propriétaire d’un ancien hôtel à Rully, acheté en 2000 afin de profiter de l’emplacement, le long de l’ex-RN6, pour stocker et vendre son vin. Avant de le louer pour des soirées.

Serge Mazoyer, 61 ans au moment des faits, vivait à Pontoux en Bresse chalonnaise, avec l’une de ses filles. Chaudronnier-soudeur de métier, il a été pendant plus de quinze années élu au conseil municipal de son village. Il était ami avec Daniel Joblot depuis une quinzaine d’années quand est survenu le crime. Il s’étaient rencontrés par l’intermédiaire de leurs enfants, scolarisés dans le même établissement.

La balance a penché vers les deux amis, sans casier judiciaire jusqu’ici, mais pas étrangers à la communauté camerounaise ni à la prostitution. L’ancien hôtel que loue le vigneron, tout près du lieu du crime, est au centre des attentions.

« Cet hôtel, je crois que c’est ce qui a fait mon malheur... »
Daniel Joblot

« Cet hôtel, je crois que c’est ce qui a fait mon malheur... », soupire Daniel Joblot. Les gendarmes l’y conduisent dans la foulée de son arrestation. « Ils fouillaient à l’intérieur. » Les chambres notamment. « Elles étaient inaccessibles, fermées. Seule une partie de l’hôtel était conforme : la cuisine et la salle », indique-t-il.

Photo Thomas Juchors

Photo Thomas Juchors

Seulement, la présence de prostituées aux soirées organisées par la communauté africaine a semé le doute. D’autant que Daniel et Serge y participaient parfois. Que Serge était un client de certaines de ces filles de joie. Et que Dorothée Nnomo-Rey avait noté dans son agenda le numéro de téléphone du domaine viticole de Daniel Joblot.

Qui plus est, à cela s’ajoute une accusation. Quelques mois avant leur interpellation, le samedi 2 avril, alors que le jour touchait à sa fin, une autre prostituée avait été agressée à l’arme blanche dans son fourgon à Uchizy.

La camionnette de Delphine K., inspectée après son agression. Elle avait reçu un coup de couteau en-dessous du sein gauche et perdu beaucoup de sang. Photo d'archives JSL

La camionnette de Delphine K., inspectée après son agression. Elle avait reçu un coup de couteau en-dessous du sein gauche et perdu beaucoup de sang. Photo d'archives JSL

Delphine K., 48 ans, Camerounaise elle aussi, avait ensuite reconnu le sexagénaire comme étant son agresseur, suite à un tapissage établi à partir du portrait-robot qu’elle avait donné. S’il portait des gants en latex, l’homme n’avait pas caché son visage.

Les gendarmes relevant les premiers indices de l'agression de la prostituée d'Uchizy dans son fourgon. L'agresseur avait fui après qu’elle s’était défendue et avait réussi à sortir. Photo d'archives JSL

Les gendarmes relevant les premiers indices de l'agression de la prostituée d'Uchizy dans son fourgon. L'agresseur avait fui après qu’elle s’était défendue et avait réussi à sortir. Photo d'archives JSL

L'itinéraire entre le domicile de Daniel Joblot, à Saint-Vallerin, et le lieu de l'agression à Uchizy fait plus de 40 minutes. Carte Openstreetmap

L'itinéraire entre le domicile de Daniel Joblot, à Saint-Vallerin, et le lieu de l'agression à Uchizy fait plus de 40 minutes. Carte Openstreetmap

Enfin, les écoutes téléphoniques de Daniel avec son ami Serge ont mis en lumière une étrange conversation : « Avec eux, moins on en dit, mieux c’est », a notamment lancé le premier au second, qui l’interrogeait sur la marche à suivre après la réception d’une convocation en gendarmerie. « Avec cette connerie, on peut aller en prison », a même lâché Daniel. Les forces de l’ordre ont foncé.

« Des mensonges et des imprécisions dans leurs emplois du temps ont permis de les confondre », indiquera le parquet de Chalon-sur-Saône après leur arrestation. Daniel a en effet campé sur sa ligne de conduite : alors que la téléphonie est formelle sur ce point, il n’a pas parlé spontanément aux enquêteurs de son passage devant la camionnette le soir du crime.

Nous sommes en septembre 2011, Daniel Joblot et Serge Mazoyer sont mis en examen et écroués pour l’assassinat de Dorothée Nnomo-Rey ainsi que tentative d’assassinat, pour le premier, à l’encontre de Delphine K.

Un ancien hôtel sous surveillance

Tout a débuté en 2000, lorsque le désormais ex-Hôtel Le Rully, fermé alors depuis quatre ans, a été mis en vente aux enchères par le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône. « J’avais besoin de caves et dans cet hôtel il y en avait 800 m²... » Le vigneron Daniel Joblot a raflé la mise. Ainsi que les ennuis, financiers d’abord et avec les gendarmes ensuite.

« Contrôle de cave, contrôle fiscal, j’ai été étrillé de fond en comble », s’agace-t-il. Les difficultés pour rentabiliser son investissement se sont engouffrées dans la brèche, en dépit de grands projets. « Il voulait créer au bord de la nationale 6 une attractivité touristique », souligne maître Alain Guignard. Mauvais calcul. « Je pensais que la place était bonne pour vendre du vin. Au final, ça m’a coûté plus cher que de faire ma propre cave. »

Photo Thomas Juchors

Photo Thomas Juchors

Les manœuvres se sont donc enchaînées pour ne pas y perdre. Plus encore après sa retraite. « Je ne savais plus trop quoi en faire et il fallait rembourser, payer les taxes. » C’est ainsi qu’il accueille un snack ambulant dans la cour, qu’il finit par racheter et mettre en gérance. C’est ainsi qu’il met à profit le garage et le pont-élévateur pour récupérer des épaves de voitures, avec Habib H., et vendre les pièces en Afrique. C’est ainsi que, de fil en aiguille, il commence à louer la grande salle de l’établissement - qu’il a remis en conformité avec l’aide de Serge Mazoyer et d’autres amis - aux chasseurs mais aussi à la communauté africaine pour des soirées.

« Le premier de cette communauté était un conseiller municipal de Chalon, il voulait organiser des mariages dans la salle. Il a lancé les soirées. Puis c’est un commerçant de Chalon qui s’est mis à les organiser. » Des festivités qui attirent l’attention des forces de l’ordre, avec qui l’ancien viticulteur a déjà connu de multiples heurts par le passé. « À la première ouverture, quatre voitures de gendarmes sont entrées dans la cour. Ils ont tout contrôlé », fustige-t-il.

L'ancien hôtel a été pillé lors de l'incarcération de Daniel Joblot. Il n'est plus que ruine, mais l'homme, ici en mai 2013, y vit toujours, entouré de ses chiens. Photo d'archives Gilles Dufour

L'ancien hôtel a été pillé lors de l'incarcération de Daniel Joblot. Il n'est plus que ruine, mais l'homme, ici en mai 2013, y vit toujours, entouré de ses chiens. Photo d'archives Gilles Dufour

Un climat de méfiance qui ne s’est pas estompé. Car d’une part, « il y a eu des plaintes à la gendarmerie pour des gens qui sortaient en état d’ivresse, aussi bien pour les réunions de chasseurs que pour les soirées africaines », relève maître Guignard, et d’autre part, des soupçons se sont élevés sur une éventuelle relation nouée entre Daniel Joblot et un réseau de prostitution. Ceci au regard de la présence de prostituées aux soirées africaines et de chambres inutilisées... qui le sont restées d’après le propriétaire des lieux : « Elles n’étaient pas conformes et pas en état. »

Si ces doutes resteront de simples suspicions, toujours est-il que c’est lors de ces nuits d’ivresse que l’ancien viticulteur a fait la connaissance de celle à qui il souhaitait louer son établissement. La seule femme dont il était sûr qu’elle était une prostituée : Nadia, celle-là même qui aurait placé Dorothée en face de cet hôtel du malheur.

ADN, mensonges, incohérences... linstruction se perd en chemin

Décembre 2011. Daniel Joblot, Serge Mazoyer et leurs familles sont dans le désarroi le plus total. Un peu plus tôt, l’analyse des deux ADN trouvés dans la camionnette de Dorothée Nnomo-Rey s'est avérée formelle. Il ne s’agit pas de ceux des deux mis en examen. Une première surprise qui en appellera d’autres, l’instruction s’apprêtant à tourner au vinaigre. Mais en attendant, cela s’est avéré insuffisant pour les libérer, ces ADN pouvant être ceux de simples clients de la prostituée.

Alors avec l’aide de leurs avocats, les familles ont fait appel à Roland Agret, une figure nationale connue pour avoir été victime d’une erreur judiciaire. Devenu président de l’association Action justice qu’il a fondée, il se porte au secours des deux amis.

« Il m’a sauvé la vie », dévoile l’ancien vigneron. À l’image de son nouveau défenseur, Daniel Joblot avait entamé une grève de la faim suite à son incarcération, perdu 20 kg et fini par être brièvement hospitalisé. « Quand on m’a emmené à l’hôpital, j’ai reçu un appel de Roland Agret, qui m’a dit qu’il avait fait la même chose et que c’était inutile, que je ne faisais souffrir que moi. Et je me suis dit que j’étais con, que j’allais crever mais pour qui et pourquoi ? » Daniel a alors à nouveau mangé.

« Je suis accusé à tort… je ne me sens pas écouté par le juge… je mets en doute son impartialité, l’injustice crève les yeux… je n’ai plus d’autres moyens que cette grève… »
Extrait de la lettre de Daniel Joblot envoyée à maître Guignard, annonçant sa grève de la faim.

Ceci chose faite, le but de l’entrée de Roland Agret dans l’affaire est clair : la médiatiser au maximum pour dire à la justice qu’elle fait fausse route et mener en ce sens sa propre contre-enquête.

Dès lors, Daniel Joblot et Serge Mazoyer vont peu à peu se libérer de l’étau. Une première étape va s’avérer décisive : la confrontation du vigneron avec Delphine K., la prostituée agressée à Uchizy.

Extraits du JSL du 17 février 2012 :

« Vous êtes assise à un mètre de lui, de quelles couleurs sont ses yeux ? », interroge l’avocat chalonnais, maître Guignard.
« Bleus », répond Delphine.
« Tout à fait, ses yeux sont bleus. Mais vous avez toujours affirmé qu’il avait les yeux sombres, marron. Et dans les auditions, vous avez déclaré que l’homme qui vous a attaqué avait les cheveux gris. Quelle est la couleur de ses cheveux ? »
« Blancs. »
« Ses cheveux sont effectivement blancs, blancs comme ceux du Père Noël ! Aucune erreur n’est possible. On le reconnaîtrait parmi mille personnes. »

« Elle ne l’a pas reconnu formellement, elle avait des doutes. Et Daniel Joblot ne pouvait pas être à Uchizy à l’heure de l’agression par rapport à son emploi du temps. Ça a permis d’alléger le dossier », estime maître Guignard.

Maître Alain Guignard. Photo Ketty Beyondas

Maître Alain Guignard. Photo Ketty Beyondas

Et à Daniel Joblot d’être ainsi libéré sous caution - « mon fils a dû faire un emprunt pour la payer », souligne l’ex-vigneron - et sous contrôle judiciaire. L’exil en Haute-Saône, où il peut résider, est en revanche ordonné. On lui interdit de mettre un pied en Saône-et-Loire. Un nouveau calvaire pour lui.

Car Delphine K. a maintenu, à l’issue, ses accusations contre lui. « Pour une raison que j'ignore », soupire l’avocat chalonnais. Tandis que Roland Agret soupçonnait, dans nos colonnes, Nadia de faire pression : « Elle est en affaire bancale pour racheter l’hôtel. Si elle avait quelque chose à se reprocher, ne ferait-il pas un bon paravent ? »

Photo Ketty Beyondas

Photo Ketty Beyondas

Le mauvais état physique de Daniel et Serge, déjà mis en évidence par leurs familles, va également être pointé du doigt par Roland Agret et les avocats.

Si Serge Mazoyer, 61 ans au moment des faits, a la carrure massive d’un videur de boîte de nuit, il est en fait « quasiment obèse, lourdement handicapé », et se déplace difficilement… Il aurait en plus des problèmes de mémoire. « Il a été écroué car il a menti, mais même les enquêteurs m’ont dit qu’il était incapable de donner la couleur de sa voiture deux fois de suite sans se tromper », faisait valoir sa fille au JSL.

Photo Ketty Beyondas

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Si Daniel Joblot, 66 ans au moment des faits, est décrit comme « fantasque », c’est notamment pour ses heurts avec les gendarmes. « Joblot était mal vu, c’est sûr. C’était un emmerdeur, impulsif, toujours à la limite... Mais tuer ce n’est pas son genre », pose Alain Guignard. Et si sa force physique « impressionnante » est indéniable, en mars 2011, « il a le bras droit en guimauve », s’étant vu poser une prothèse totale de l’épaule droite deux mois avant le crime. Une opération consécutive à... une arrestation musclée opérée par la police lors d’un simple contrôle routier.

Aucune reconstitution du crime n’a du reste été effectuée, ce qui aurait permis, selon les avocats des deux hommes, de prouver qu’ils n’auraient pas été capables de porter avec tant d’acharnement trente-deux coups de couteau à Dorothée Nnomo-Rey.

Sur les lieux du crime en décembre 2011, maître Guignard échange ici avec la famille de Daniel Joblot. Photo d'archives Gilles Dufour

Sur les lieux du crime en décembre 2011, maître Guignard échange ici avec la famille de Daniel Joblot. Photo d'archives Gilles Dufour

D’autant qu’un doute demeure : Dorothée a-t-elle été tuée à l’intérieur ou en dehors de son camion ? « Si elle avait été traînée, les enquêteurs auraient constaté des traces de ripage », constatait Roland Agret. « L’absence d’éclaboussure de sang dans la camionnette fait dire quand même qu’elle a été assassinée ailleurs, remarque quant à lui maître Guignard. Je pense que les tueurs ont ensuite ramené le corps dans la camionnette avec beaucoup de précaution. »

Et ces éclaboussures de sang, typiques lorsque des coups de couteau sont portés avec tant d’acharnement, « auraient sans doute laissé des traces sur les chaussures, les vêtements et par conséquent dans le véhicule des agresseurs ». Mais aucune n’a été retrouvée sur les objets personnels des deux amis.

Serge Mazoyer dans les locaux du JSL, montrant à notre journaliste la lettre qu'il adresse au nouveau juge d'instruction chalonnais, en janvier 2014. Photo d'archives Gilles Dufour

Serge Mazoyer dans les locaux du JSL, montrant à notre journaliste la lettre qu'il adresse au nouveau juge d'instruction chalonnais, en janvier 2014. Photo d'archives Gilles Dufour

Quant à l’écoute téléphonique et la phrase lâchée : « Avec cette connerie, on peut aller en prison » ? « Mais on parlait du crime [après qu’ils l’ont a priori appris dans la presse locale, NDLR], de notre passage sur les lieux… C’était une maladresse, pas un aveu », justifiera Serge. Daniel niant être allé sur les lieux ? « Il réagit comme ceci par pure bêtise », affirme Alain Guignard.

Aucune preuve, malgré les fouilles de l’hôtel, ne vient non plus étayer leur potentielle implication dans le réseau de prostitution camerounais. L’analyse des couteaux saisis chez l’ancien vigneron ne donne rien. Aucun mobile n’émerge. « À qui profite le crime ? Pas à Daniel Joblot et Serge Mazoyer », tance l’avocat chalonnais.

Alors que les deux hommes ont toujours affirmé qu’ils ne connaissaient pas Dorothée Nnomo-Rey. « Elle a peut-être eu le numéro de téléphone du domaine par Nadia, mais pour les soirées on n’appelait pas au domaine, on appelait le commerçant africain de Chalon qui les organisait. Moi je louais la salle, c’est tout », indique Daniel.

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La source infiltrée avait du reste peu de doutes sur la non-culpabilité des deux hommes : « Ce sont les dindons… », affirmait-elle.

Et finalement, le 22 janvier 2015, Daniel Joblot et Serge Mazoyer, tous les deux sortis de prison mais sous contrôle judiciaire jusqu’ici, voient les charges pesant contre eux être allégées. Ils sont mis en partie hors de cause par le juge d’instruction chalonnais, passant du statut de mis en examen à celui de témoins assistés. « Ce qui permet surtout de ne pas refermer le dossier », note Alain Guignard.

Semi-libération pour les deux hommes. Car ils estimeront, malgré tout, devoir continuer à vivre avec des soupçons au-dessus d’eux. Et les deux compagnons se trouvent broyés par ces quatre dernières années.

Serge Mazoyer meurt d’ailleurs peu après des suites d’un cancer, dans la nuit du 17 au 18 novembre 2015. Tandis que Daniel Joblot, treize ans plus tard, reste noyé dans sa souffrance... « La justice m’a tué. Elle a tué ma famille. Ils attendent que je meurs pour éviter de m’indemniser en prononçant un non-lieu. Je ne comprends pas qu’après avoir mis des innocents derrières les barreaux, il n’y ait pas eu de sanction contre la juge qui était responsable de cette affaire. »

Réseau de prostitution, Nadia, le mari... Des questions et des contradictions

Aujourd’hui, bien que l’affaire semble tourner au ralenti, d’autres pistes se dessinent. Pourrait-il s’agir, finalement, de représailles du réseau de prostitution ? D’un avertissement lancé par un réseau adverse, celui qui aurait fait fuir Nadia ? Ou d’un acte isolé sans lien avec la pègre ?

Maître Llorente, du barreau de Paris, Roland Agret, président d'Action justice, et Maître Alain Guignard, du barreau de Chalon, lors d'une conférence de presse à Chalon-sur-Saône en décembre 2012. Photo d'archives JSL

Maître Llorente, du barreau de Paris, Roland Agret, président d'Action justice, et Maître Alain Guignard, du barreau de Chalon, lors d'une conférence de presse à Chalon-sur-Saône en décembre 2012. Photo d'archives JSL

Maître Llorente, du barreau de Paris, Roland Agret, président d'Action justice, et Maître Alain Guignard, du barreau de Chalon, lors d'une conférence de presse à Chalon-sur-Saône en décembre 2012. Photo d'archives JSL

Toujours est-il que les dernières investigations, lancées sur commission rogatoire il y a près de deux ans, ont pris la direction de l’Afrique. Elles pourraient viser notamment Nadia, qui a disparu de la région chalonnaise peu après le meurtre. La contre-enquête menée par Roland Agret n’avait eu de cesse de souligner son rôle énigmatique auprès de Dorothée Nnomo-Rey.

« Elle a été vue deux jours après le meurtre avec des traces de coups et de lacérations, donc de lutte, sur une main et au visage », rapporte notamment maître Alain Guignard. Alors que son absence au rendez-vous fixé avec le vigneron et ses amis, le soir du meurtre, pose également question. Interrogée par les enquêteurs, elle aurait expliqué être allée voir "une amie", qui se prostituait près de Nolay, à la frontière de la Côte-d’Or et de la Saône-et-Loire, toujours sur l’ex-nationale 6.

Son téléphone borne en effet dans ce secteur, à Chagny, le soir du 11 mars entre 21 h et 22 h. Soit tout près du chemin où se trouvait Dorothée, mais elle aurait assuré ne pas avoir vu sa camionnette lors de cet aller-retour. Un lieu isolé où elle aurait pourtant elle-même placé Dorothée après le démantèlement du réseau de prostitution en appartements à Chalon.

Carte Marc Liger

Carte Marc Liger

Quid, aussi, d’Eric Rey : savait-il que Dorothée comptait partir du foyer conjugal pour aller à Annemasse ? Ignorait-il vraiment qu’elle travaillait comme prostituée ? « Le fourgon était aménagé quand même, il y avait un matelas. C’était garé chez eux », fait remarquer l’avocat chalonnais.

Quelques jours après le meurtre, le 15 mars 2011, Eric Rey affirmait au JSL avoir acheté le véhicule avec Dorothée. Il était destiné selon lui à « partir au Cameroun comme on l’avait fait pour une voiture ».

M. Rey en 2006. Photo DR

M. Rey en 2006. Photo DR

M. Rey en 2006. Photo DR

Le couple l’aurait acquis un an avant le drame, lors de son arrivée en Saône-et-Loire. Pourtant, la camionnette de Dorothée aurait été brûlée quelques mois auparavant. Et la collègue prostituée de Dorothée interrogée par le JSL affirmait également le 15 mars : « Elle venait juste de changer de camionnette. L’ancienne était toute cabossée. »

Eric Rey ignorait-il aussi que sa compagne avait changé de véhicule ? Toujours est-il qu’après les auditions au lendemain de l’assassinat, rien n’a permis de le soupçonner selon le procureur de la République Christophe Rode. Depuis, l’homme s’est lui aussi évaporé dans la nature.

« C’est une grande déception de ne pas connaître la vérité », livre maître Alain Guignard, qui regrette la mort de Roland Agret, survenue en septembre 2016. « S’il avait été en meilleure santé, plus jeune, il aurait pu davantage mettre les pieds dans le plat. Il avait trouvé des pistes d’enquête. Pour lui, c’était le réseau de prostitution derrière tout ça. »