Affaire Nathalie Maire : “Les grosses têtes” ne sont pas tombées
Cold cases de Saône-et-Loire (4/10)
Un an après l’ouverture d’un pôle judiciaire national dédié aux cold cases, le JSL revient sur les crimes non résolus de Saône-et-Loire. Aujourd’hui, retour sur l’affaire Nathalie Maire. Cette Mâconnaise de 18 ans a été assassinée sur l’aire d’autoroute de Mâcon-La Salle le 2 septembre 1987.
À peine deux semaines se sont écoulées depuis l’assassinat de Nathalie. Et déjà les enquêteurs de la section de recherche de Dijon l’annoncent : ils sont proches d’arrêter les coupables. “Ils m’ont dit : "Mme Maire, on va bientôt boire du champagne. Les grosses têtes vont tomber"”, se souvient aujourd’hui Arlette. 36 ans ont passé depuis. Et sur le meurtre de sa fille, commis la nuit du 2 septembre 1987 sur l’aire d’autoroute A6 de Mâcon-La Salle, ne subsistent plus que des soupçons qui la rongent. “Je m’en veux, je n’ai pas su la protéger, alors que je sentais que quelque chose n’allait pas”, se lamente-t-elle.
Le placement du dossier Nathalie Maire dans les mains d’une juge d’instruction du pôle cold cases, à la mi-janvier, et les commissions rogatoires, lancées dans la foulée, lui donnent à nouveau un peu d’espoir. À plus de 70 ans, elle n’attend en fait qu’une chose, Arlette, que cela avance à nouveau, après avoir vu l’enquête s’étioler rapidement et être restée durant parfois de longues années sans nouvelles de la justice.
Aujourd’hui, elle comme Laurence, sa seconde fille, toutes deux membres de l’association Christelle, voudraient être écoutées, voir l’enquête reprise à zéro et leurs suspicions être explorées, qu’il s’agisse de celles portant sur l’environnement local ou celle sur Jacky Martin, notamment.
Les dernières nouvelles ont d’ailleurs redonné du baume au cœur à la cadette : “C’est une bonne chose que le dossier soit à Nanterre. Peut-être qu'ils vont mettre plus d’enquêteurs sur l’affaire, qu’ils vont utiliser de nouvelles techniques, ça me redonne beaucoup d’espoir.” Pour elle aussi, le temps a suffisamment passé, depuis qu’elle a elle-même découvert le corps sans vie de son aînée.
La dernière nuit de Nathalie
Dans sa petite maison du Mâconnais, Laurence s’applique à relater l’indicible, cette banalité du quotidien brusquement soufflée par l’inconcevable. Elle se replonge dans cette nuit du 2 septembre 1987, se remémore sa silhouette sur le pas de la porte de La Cabane, et son effroi devant le corps sans vie de sa grande sœur, un câble électrique autour du cou, étendue sur le sol du commerce dans lequel elle travaille.
Laurence est âgée de 16 ans à l’époque. « J’étais un peu le petit boulet que ma sœur devait se trimballer », se souvient-t-elle, petit sourire aux lèvres. À elle la personnalité réservée, à Nathalie celle extravertie. Dans l’équation, s’ajoute Nadège, la petite amie de l’ainée. “Cela faisait à peu près un an qu’elles étaient ensemble. Nadège vivait quasiment chez nous.”
La mère des deux sœurs, Arlette, n’ayant plus de véhicule depuis peu, Nadège effectue les aller-retour pour emmener Nathalie à son travail et la ramener. Soit un trajet de quinze petites minutes depuis l’appartement familial, situé boulevard Henri-Dunant à Mâcon, jusqu’à l’aire. “Quand elle travaillait le soir, on y allait plus tôt, vers 23 h, pour l’aider à ranger les affaires et partir plus vite”, précise Laurence.
Ce soir du 2 septembre 1987, assise dans la Peugeot 104 blanche de Nadège, l’adolescente d’alors s’impatiente. Elle attend que la petite amie de sa sœur se décide à partir. L’horloge tourne, l’aiguille a passé les 23 h, elles devraient déjà être auprès de Nathalie sur l’aire de l’autoroute A6. “Elle bricolait je ne sais quoi sur la voiture, et faisait des aller-retour entre le parking et notre appartement pour aller chercher des bières”, se rappelle Laurence avec amertume. Elle n’a pas gardé Nadège dans son cœur.
Ce sont au demeurant ses derniers souvenirs avant d’arriver sur place. “Je ne sais plus à quelle heure nous sommes parties et je ne me souviens pas du trajet, seulement que ça a été très long.” Impossible de savoir pourquoi sa mémoire se heurte à cette absence. “Ce qui est sûr c’est que ce n’était pas l’alcool, je n’en buvais pas.” Arlette les voit partir à 23 h 10.
Pendant ce temps, dans la lumière blafarde des immenses néons qui éclairent le Relais de Bourgogne, Nathalie vient de fermer la boutique de La Cabane. La friterie est logée dans un petit chalet en bois. Elle y travaille seule.
À 23 h, Yann M., un jeune allemand, est venu relever la caisse et arrêter les comptes, avant de porter l’argent au Relais - où il est employé - distant de quelques dizaines de mètres. La jeune fille aux cheveux coupés à la garçonne s’occupe alors de rentrer les ombrelles et un congélateur dans le local. Le tout au rythme de la musique débitée par la sono du commerce.
C’est son dernier jour ce 2 septembre. Pour dépanner, elle avait accepté de prolonger son contrat qui devait se terminer fin août.
Quelques touristes sont sur le point de quitter l’une des tables extérieures du petit chalet quand, vers 23 h 30, de vagues éclats de voix se font entendre, noyés dans le tintamarre de la radio, plus forte qu’à l’accoutumée. Sous les yeux des vacanciers encore attablés, la silhouette d’un homme quitte ensuite les lieux, “sans se presser”, décriront-ils.
À proximité, le pompiste va quant à lui remarquer une voiture, type Golf ou 205, de couleur claire, partir en trombe depuis le parking extérieur de l’aire, réservé aux employés mais facilement accessible.
23 h 40. Après un trajet qui a vraisemblablement pris deux fois plus de temps qu’habituellement, Laurence et Nadège arrivent enfin sur place. La sono s’est tue. “Tout était fermé et rangé. Il n’y avait plus personne. C’était étrange”, décrit la cadette de Nathalie. Son premier réflexe est d’aller voir à l’intérieur de La Cabane. “J’ai entrouvert la porte, regardé rapidement à l’intérieur, mais je n’ai rien vu.” Les deux jeunes femmes se séparent pour partir à la recherche de Nathalie.
Nadège se dirige du côté des poubelles. “On s’est dit que Nathalie était peut-être allée les sortir.” Laurence cherche du côté des toilettes de la station-service toute proche. “J’ai ouvert toutes les portes pour être sûre mais elle n’y était pas.” Un cri résonne sur l’aire.
Celui de Nadège alertant Laurence. La cadette, cheveux coupés court comme sa sœur, se précipite dans sa direction. Celle de La Cabane. Dans l’exigu local en bois, elle la trouve penchée au-dessus du corps inerte de Nathalie. L’effroi transperce l’adolescente. “Ma sœur était allongée au sol, un peu cachée dans un renfoncement. Il fallait vraiment ouvrir la porte et rentrer pour la voir. Quand je l’ai vue, j’ai compris…”
La panique la submerge, elle se précipite en pleurant au Relais pour téléphoner. “C’est là que je suis tombée sur un homme, sorti d’une grosse camionnette blanche garée juste à côté de La Cabane. Il n’était pas très grand, 1,70 m maximum. Il m’a saisie par les épaules, m’a secouée et m’a demandé ce qu’il se passait. Il me tenait mais je me suis débattue et j’ai fui, il fallait que je prévienne ma famille de ce qui était arrivé.” Elle n’a jamais pu identifier qui il était.
Après avoir récupéré quelques pièces de monnaie auprès de touristes, elle appelle depuis une cabine son père qui, bloqué au travail, ne peut venir immédiatement. Dans sa détresse, la jeune fille préfère alors prévenir sa tante plutôt que sa mère directement. “Je n’ai pas eu le courage de l’appeler, je ne me sentais pas de lui annoncer moi-même.” Le combiné raccroché, elle se voit stoppée par des gendarmes en patrouille. Ils l’attendaient au pied de la bâtisse surplombant l’autoroute A6. “On est retournés sur place. Nadège était avec les pompiers. Et j’ai attendu que ma mère arrive.”
Nathalie Maire avait été étranglée avec la rallonge électrique du congélateur et frappée avec une violence inouïe, à l’aide d’un balai retrouvé brisé dans le local. Elle s’était débattue férocement. Les tentatives pour la réanimer ont été vaines. Elle avait eu 18 ans au mois de mai.
Drames, tensions et soupçons persistants
Longtemps, la chambre de Nathalie Maire est restée telle quelle, soigneusement rangée, comme si les aiguilles de l’horloge s’étaient arrêté de tourner. Arlette n’osait pas y toucher, elle ne trouvait pas la force.
Un déménagement plus tard, il ne lui reste aujourd’hui plus que des photos gardées précieusement et des souvenirs en tête : la jovialité de Nathalie, avec ce sourire qui éclairait son visage, sa passion pour la lecture, mais aussi ces zones d’ombres qui ont attisé des soupçons. Elle ressasse ces drames qui se sont succédé, le contexte familial difficile autour de sa fille, le secret de son homosexualité, et ces comportements et faits étranges constatés avant et après sa mort.
À l’été 1987, Nathalie voit la séparation de ses parents actée et un déménagement s’opérer dans la foulée. Elle tient alors à travailler pour aider sa mère financièrement. “Moi je ne voulais pas, je ne saurais pas dire pourquoi mais je ne le sentais pas”, se remémore Arlette. Elle s’inquiète pour sa fille. “Quelque chose la tracassait, mais elle ne voulait pas dire quoi, j’imagine que c’était sa façon de me protéger.”
Cela a-t-il quelque chose à voir avec la relation tumultueuse que Nathalie entretient avec Nadège ? “C’était devenu très tendu entre elles. Chacune piquait de grandes colères, j’ai eu l’impression qu’il y avait de la jalousie dans l’air”, dépeint Laurence, sans certitude.
Derrière sa personnalité extravertie, Nathalie garde en effet ses secrets pour elle. “Elle ne se confiait pas, peut-être à cause de son homosexualité, parce qu’à l’époque c’était difficile de la faire accepter”, expose sa petite sœur. Au sein-même de la famille, très peu sont, a priori, au courant : sa sœur, ses parents et une tante. Elle est en revanche plus connue dans le cercle amical, en témoigne sa relation avec Nadège, avec laquelle elle sort parfois en boîte de nuit. “Mais, de ce que je sais, son orientation ne lui avait pas causé de problème”, souligne sa mère.
Ce sont d’autres faits qui tourmentent Arlette. Elle se souvient en particulier de ce 14 juillet 1987. Alors qu’elle rentre chez elle, elle revoit Nathalie sous la menace d’un couteau, suite à une dispute qui s’est éteinte dans la foulée. “Elle avait des marques au cou”, insiste-t-elle.
Puis, durant le mois d’août, la mort se répand, inexorablement. Une cousine de Nathalie chute d’un immeuble, laissant derrière elle un enfant en bas-âge. “Cela a provoqué de grandes tensions au sein de la famille. Il y a eu des menaces, mais ce n’est pas allé plus loin”, témoigne Laurence.
Dans la nuit du 15 au 16 août, Marthe Buisson, une adolescente de 16 ans, meurt dans des circonstances troubles. Elle a été éjectée d’une voiture en marche à la sortie de l’aire d’autoroute de Mâcon-Saint-Albain, soit à quelques centaines de mètres du lieu de travail de Nathalie (lire par ailleurs).
Enfin, quelques semaines après l’assassinat de la Mâconnaise, Arlette et Laurence, invitées à dîner, ne peuvent s’empêcher de remarquer les bleus et les entailles visiblement récentes aux jambes d’un de leurs hôtes. Un homme qui connaissait Nathalie et Nadège et qui, selon les invitées, ira discrètement troquer son short contre un pantalon au cours de la soirée… Arlette persiste : “J’ai des soupçons. Tout ce que je veux, c’est être écoutée et qu’on agisse. Les gendarmes n’ont pas bougé à l’époque.”
Un lien difficile à établir avec l’affaire Marthe Buisson
Quinze jours avant le meurtre de Nathalie, un autre drame s’est donc joué sur l’aire voisine de Mâcon-Saint-Albain, avec la mort de Marthe Buisson. L’enquête ouverte pour homicide volontaire a d’ailleurs amené les gendarmes à interroger les employés des deux aires de repos, dont Nathalie. “Elle avait été bouleversée, mais elle ne la connaissait pas et n’avait rien vu”, soutient sa mère Arlette.
En dépit de la chronologie resserrée des deux affaires et de leur proximité géographique, un lien entre elles a donc été jusqu’ici difficile à établir. La voiture que le pompiste a vu partir en trombe la nuit où Nathalie a été tuée, décrite comme un véhicule de type Golf ou 205, de couleur claire, blanc ou crème, aurait pu correspondre à celle impliquée dans la mort de Marthe Buisson. Car un témoin anonyme avait vu une jeune fille, pouvant correspondre à Marthe, tomber “d’une grosse voiture blanche”, sans plus de précisions. L’enquête la concernant va néanmoins remonter la piste d’un suspect qui conduisait une Peugeot 504 blanche, un modèle plus imposant.
À ces deux drames, a tout de même précédé un autre dans cette zone autoroutière. le 1er septembre 1983, une prostituée avait été laissée pour morte sur l’aire de Mâcon-Saint-Albain. La jeune femme de 27 ans s’en était sortie de justesse mais n’avait jamais pu reconnaître son agresseur.
Suspects mystérieux, mobile difficile à cerner et indices insuffisants
“Nous avons un point fort, c’est que nous sommes arrivés très rapidement sur les lieux, vers minuit.” Le procureur Lathoud se voulait rassurant quelques jours après le crime. Et il est vrai que le passage d’une patrouille sur l’aire d’autoroute leur a permis de faire des constatations au plus vite, de dresser des barrages sur les routes et d’effectuer des contrôles aux péages. En vain. “Au bout de quelques jours, ils nous disaient qu’ils allaient rapidement trouver le coupable, mais on a vite eu la sensation qu’ils étaient perdus”, soupire Laurence.
Signe du désarroi des enquêteurs et de l’épais mystère qui se construira autour du dossier, les gendarmes finiront, quelques années plus tard, par faire lire à Laurence des rapports d’auditions. “Ils m’ont dit : "Si vous voyez quelque chose, faites-nous signe". Ils ne savaient plus quoi faire, dans quelle direction aller…”
Pourtant, des suspects semblent avoir été identifiés après quelques semaines. Qui ? “Des grosses têtes”, a-t-on simplement dit à Arlette. Et puis finalement rien, aucune interpellation n’a été menée. Sans qu’elle ne sache pourquoi.
“Nathalie avait le chemisier ouvert, le torse nu, le soutien-gorge arraché. J’ai vu Nadège le fermer pour la recouvrir.”
Le mobile se fait également mystérieux. Vengeance, crime homophobe... toutes les hypothèses sont permises. Le vol est écarté, puisque la caisse de La Cabane n’a pas été forcée. L’autopsie atteste quant à elle que Nathalie n’a pas subi de sévices sexuels, alors que les vêtements qu’elle portait ont été retrouvés en ordre. Laurence nie cependant ce dernier fait : “J’ai dit aux enquêteurs qu’elle n’avait pas le chemisier fermé quand on l’a trouvée. Nathalie avait le chemisier ouvert, le torse nu, le soutien-gorge arraché. J’ai vu Nadège le fermer pour la recouvrir”, assure-t-elle.
Une paire de lunettes rendue et un ADN relevé sur un soutien-gorge
Divers éléments garnissent la scène de crime. Au-delà du balai brisé et du câble électrique qui a servi à étrangler Nathalie, une paire de lunettes de vue est trouvée. Quelques jours après le drame, Le Courrier de Saône-et-Loire relate à ce propos des confidences étranges qu’aurait faites Nathalie, la veille de sa mort, à une proche : “Un homme - français - était venu l’importuner à La Cabane et il avait voulu la raccompagner dans sa voiture. Elle avait alors refusé. Il portait des lunettes de vue.”
Bémol, ni Laurence ni Arlette n’avaient eu vent de cette histoire et, surtout, cette dernière sait à qui appartenaient ces lunettes : une femme, une personne de sa famille avec qui elle est en froid depuis longtemps. “C’est elle-même qui me l’a dit. Les gendarmes lui ont rendu les lunettes peu de temps après la mort de ma fille, ce que je ne comprends pas”, peste-t-elle.
Plus intriguant encore, on retrouve sur place un soutien-gorge qui n’appartient pas à Nathalie et que, cette fois, personne n’est venu réclamer... Un élément qui donne à penser qu’il n’y a pas un mais au moins deux agresseurs, parmi lesquels une femme. En 2008, les vieux scellés de l’affaire ont été extraits des sous-sols du tribunal de Chalon-sur-Saône et analysés. Sur la bretelle de ce soutien-gorge, a alors été prélevé un ADN... masculin. Une découverte qui n’a pas trouvé de prolongement depuis.
Des témoignages précieux mais stériles et un appel téléphonique étrange
Une silhouette de jeune homme vue quittant La Cabane et une voiture vue partant en trombe du parking réservé au personnel : deux témoignages donnant des indications potentiellement précieuses mais vraisemblablement difficiles à exploiter.
Le premier décrit un homme de taille moyenne, de type européen et âgé entre 20 et 30 ans. Et permet d’établir trois portraits-robots, qui n’ont cependant jamais été diffusés dans la presse. “J’ai demandé à la juge pourquoi, elle m’a répondu qu’on ne pouvait pas tout publier”, fulmine Arlette Maire à ce sujet. Ils ont tout de même permis aux enquêteurs d’effectuer des rapprochements avec certains profils, en vain.
“Il faut bien connaître les petites routes pour se rendre sur le parking du personnel de l’aire.”
Le deuxième donne aux enquêteurs et à Arlette le sentiment que le ou les meurtriers viennent des environs, “car il faut bien connaître les petites routes pour se rendre sur le parking du personnel de l’aire”, souligne-t-elle. Reste à savoir si cette voiture partie précipitamment est liée au jeune homme.
Une piste des gendarmes mènera malgré tout à un certain Franck. “Il s’est suicidé quelques temps après la mort de ma fille. À l’hôpital, avant de se défenestrer, il aurait réclamé sans cesse sa présence”, relate Arlette. Ni elle ni Laurence n’avaient jamais entendu parler de lui auparavant. Encore une impasse.
À ces deux éléments, s’ajoute un troisième. Le jour du meurtre, vers 17 h, un appel téléphonique est passé au Relais. Un employé affirme qu’une personne lui a demandé si Nathalie travaillait ce 2 septembre. “C’était la même femme de ma famille à qui on a rendu les lunettes. Elle me l’a dit aussi, indique Arlette. "De toute façon, tu ne sauras jamais rien", m’a-t-elle également lancée.”
Yann M., le dernier témoin à avoir vu Nathalie vivante
Le jeune allemand Yann M., qui travaillait au Relais de Bourgogne et venait relever la caisse de La Cabane, est sans doute le dernier témoin à avoir vu Nathalie vivante. Ses déclarations étaient ainsi très attendues. Mais à son retour d’Allemagne, deux jours après le meurtre, il n’apprendra vraisemblablement rien de décisif aux enquêteurs. Est-il en revanche réellement allé au-delà du Rhin comme il le prétendait ? “On m’a dit plus tard qu’il n’avait jamais été en Allemagne, qu’il serait plutôt resté deux jours chez sa copine à Saint-Albain”, rapporte Arlette Maire.
Jacky Martin, une piste à explorer ?
L’une des prérogatives du pôle cold cases de Nanterre est de s’intéresser aux crimes sériels, et donc au parcours de tueurs en série ou de candidats potentiels à ce statut, comme c’est le cas notamment pour Pascal Jardin en Saône-et-Loire. Si au sujet de Nathalie, Arlette n’y croit guère, Laurence considère cette éventualité. “Je pense à un tueur en particulier, qui n’a été condamné que pour un meurtre mais qui a sûrement tué plusieurs fois.” Son nom : Jacky Martin.
Après vingt condamnations, notamment pour des faits de vol et de violence, il a été confondu par son ADN et arrêté en juin 2012 pour le meurtre d’une jeune fille de 20 ans, Anne-Sophie Girollet, tuée en 2005 à Mâcon. Il croupit depuis en prison, une peine de perpétuité sur le dos.
En 1987, il était âgé de 25 ans et, bien que né à Auxerre, sa famille s’était installée dans le Mâconnais alors qu’il était enfant, suivant l’itinéraire professionnel du père, qui travaillait sur les chantiers de l’autoroute A6… Les Martin ont ainsi successivement vécu à Viré et Fleurville, une commune justement accolée à l’aire de Mâcon-La Salle.
Décrit comme un menteur patenté, un éternel adolescent incapable d’assumer ses méfaits, mais aussi “un coureur de jupons”, il totalise plus de dix ans de prison pour des vols de voitures essentiellement. La première étape serait donc de savoir si ce 2 septembre 1987, il se trouvait être libre ou enfermé. “Je n’ai pas la réponse sur ce point, concède maître Seban, l’avocat de l’association Christelle. Mais on souhaite que son parcours criminel soit étudié.”
Toujours est-il que Jacky Martin était depuis longtemps capable de faire preuve d’une grande violence. Durant ses procès, on apprend qu’un ancien complice de cambriole le soupçonne fort d’être celui qui l’a précipité, un jour de 1989, du parapet d’un pont de Tournus, le faisant chuter de six mètres sur le quai. L’homme avait ensuite été détroussé et laissé en plan avec une fracture ouverte et un traumatisme crânien.
En 1993, Jacky Martin agresse cette fois à l’arme blanche une jeune femme de 25 ans, dans une ruelle de Mâcon. Elle se voit sauvée par l’intermédiaire d’un passant.
En 2000, il est condamné à six ans pour vol avec violence. Avec deux complices, ils avaient ligoté, bâillonné et menacé au pistolet un sexagénaire.
Libéré sous condition en octobre 2004, il assassine ensuite Anne-Sophie Girollet dans la nuit du 19 mars 2005. La jeune femme a été agressée sexuellement et, à l’instar de Nathalie Maire, a été frappée violemment au visage et au thorax avant d’être étranglée.
Le calvaire d’Arlette et Laurence, leur appartement visé par des coups de feu
À chaque évocation du terme “enquêteurs” ou “enquête”, Arlette ne peut s’empêcher de laisser échapper un rictus. L’échec des gendarmes et les mauvaises relations qu’elle a entretenues avec eux lui restent en travers de la gorge. “C’était compliqué, certains ont été très pénibles avec ma mère”, appuie Laurence. À l’instar d’Arlette, elle-même a un souvenir terrible de son audition : “Ça a été particulièrement dur. On m’a fait subir quatre heures d’interrogatoire. Les enquêteurs n’arrêtaient pas de dire : “Pourtant tu n’as pas dit ça tout à l’heure”, “Pourquoi tu ne l’as pas dit tout à l’heure”. C’était… horrible.” Mineure, seule, sans avocat, elle en est venue à penser qu’ils la soupçonnaient. “J’ai été la première sur les lieux avec Nadège”, souligne-t-elle.
“On a demandé aux gendarmes s’il fallait qu’on prenne un avocat, ils nous ont dit que non, qu’il n’y en avait pas besoin. On a perdu beaucoup de temps.”
Et la famille de Nathalie de rester dans le désarroi, sans avocat durant des années… “On a demandé aux gendarmes s’il fallait qu’on en prenne un, ils nous ont dit que non, qu’il n’y en avait pas besoin. On a perdu beaucoup de temps, se lamente Laurence. Puis mon père en a pris un de Mâcon, mais il n’a servi à rien, il prenait notre argent chaque année et rien ne bougeait, il ne s’en occupait pas.”
Devant l’échec des investigations, Arlette Maire remue alors ciel et terre pour arracher la vérité, pose beaucoup de questions. “L’enquêteur de la brigade de recherche de Charnay et plus tard notre avocat me demanderont de me calmer”, reconnaît-elle non sans amertume. À la sensation de ne pas être écoutée, a succédé celle de s’être mises, elle et sa fille cadette, en danger : une femme anonyme la menace de mort par téléphone - alors que son numéro est sur liste rouge - et deux coups de feu toucheront l’appartement familial dans les années qui ont suivi le meurtre de Nathalie.
“La première fois, la fenêtre était ouverte, et d’un coup notre saladier a explosé, se souvient-elle. On s’est couchées au sol.” La balle sera retrouvée par les forces de l’ordre, sans qu’aucune suite n’advienne. Quelque temps plus tard, un nouveau tir vise leur logement. “On rentrait et au moment où on a allumé la lumière, un coup de feu a transpercé la fenêtre. On était au 5e étage, et en face se trouvait un immeuble de 9 étages. Les forces de l’ordre nous on dit que ça devait être des tirs accidentels, des personnes qui essayaient leur arme”, rapporte Laurence. Sur ce coup aussi, elles n’en sauront jamais plus. “Mais je devais être proche de la vérité pour que cela arrive”, présume Arlette.
Dans une impasse totale, leur salut viendra de l’association Christelle, basée à Blanzy, qui aide les familles victimes d’agressions criminelles. Arlette et Laurence la rejoignent en 2004 et 2006. “Ça nous a beaucoup aidées, surtout au début”, confirme Arlette. “Les choses se sont enfin mises à bouger. Sans l’association, je ne sais pas si notre dossier serait encore ouvert aujourd’hui”, souligne Laurence.
Tout repose désormais sur le pôle cold cases de Nanterre, leur dernier espoir pour, enfin, apercevoir la lumière au bout de ce tunnel tortueux.
Si vous vous souvenez de quelque chose, signalez-vous auprès de l’Association Christelle ou des autorités compétentes.
L’Association Christelle, basée à Blanzy, aide les familles victimes d’agressions criminelles. Pour financer les frais inhérents à la gestion de ces affaires, elle a besoin de dons et de bénévoles. Tél. 06.06.71.06.71.