Affaire Marthe Buisson : Je doute que ma sœur se soit suicidée

Cold cases de Saône-et-Loire (3/10)

Un an après l’ouverture d’un pôle judiciaire national dédié aux cold cases, le JSL revient sur les crimes non résolus de Saône-et-Loire. Aujourd’hui, retour sur l’affaire Marthe Buisson. Cette jeune fille de 16 ans a trouvé la mort dans la nuit du 15 au 16 août 1987 sur l’autoroute A6 près de Mâcon, dans des circonstances troubles.

“Pourquoi se serait-elle suicidée ?” Emmitouflée dans son écharpe, Dominique Buisson, qui parle publiquement de sa sœur Marthe pour la première fois, se trouve toujours dans l’incompréhension, 36 ans après la mort de son aînée. L’enquête des gendarmes, ouverte pour homicide volontaire, avait conclu à un suicide en 1996, en dépit des suspicions entourant un Rhodanien qui avait mis fin à ses jours peu après les faits. De ce triste 15 août 1987, Dominique ne sait finalement que très peu de choses.

Elle n’avait que 7 ans la nuit où Marthe a péri. Sa grande sœur de 16 ans avait fugué du Foyer de l’enfance de Mâcon, où elle était placée, et vagabondé d’une destination à une autre en faisant du stop. Tout s’était terminé à la sortie de l’aire d’autoroute de Mâcon-Saint-Albain. Éjectée d’une voiture en marche, Marthe a succombé à un éclatement de la boîte crânienne.

Dominique vivait alors à Vauban - un petit village près de La Clayette - chez ses parents. Son visage se durcit à leur évocation : “Ils n’en ont jamais rien eu à faire de nous”, confesse-t-elle, la gorge serrée. Les stigmates de la colère contre leur passivité. Et les reliques d’une enfance brisée. Marthe, justement, jurait à ses frères et sœurs restés chez eux qu’elle les libérerait de leurs griffes. “Elle nous disait toujours qu’elle allait nous sortir de là, qu’elle allait faire le nécessaire. Elle nous appelait régulièrement.” Ces promesses se sont imprimées dans la mémoire de Dominique. Jusqu’à réveiller des doutes. Au vu de ces paroles, sa sœur a-t-elle vraiment pu se suicider ?

Dominique Buisson, petite sœur de Marthe, s'exprime publiquement pour la première fois. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Dominique Buisson, petite sœur de Marthe, s'exprime publiquement pour la première fois. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

“On conclut vite à un suicide parce que ça donne moins de travail si j’ose dire”, assène maître Didier Seban, l’avocat de l’association Christelle que Dominique et l’un de ses frères ont fini par rejoindre voilà une dizaine d’années. Spécialisé dans les affaires non résolues, il compte bien rouvrir le dossier Buisson, aujourd’hui classé, par l’intermédiaire du nouveau pôle cold cases de Nanterre : “Je pense qu’on va saisir directement le pôle, on y travaille. Les conditions dans lesquelles elle est morte méritent d’être réexaminées. Pour moi, on l’a jetée de la voiture”, détaille-t-il. 

Dominique Buisson est soutenue par l'association Christelle, qu'elle a rejoint avec son frère il y a une dizaine d'années. Elle est ici en compagnie de Marie-Rose Blétry, la présidente de l'association. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Dominique Buisson est soutenue par l'association Christelle, qu'elle a rejoint avec son frère il y a une dizaine d'années. Elle est ici en compagnie de Marie-Rose Blétry, la présidente de l'association. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

“Cela passera peut-être par l’affaire Nathalie Maire”, souligne Marie-Rose Blétry, la présidente de l’association Christelle. Un lien entre les deux dossiers est en effet possible. Nathalie Maire, 18 ans, a été sauvagement assassinée dix-huit jours plus tard, quasiment au même endroit, une semaine après avoir été interrogée par les gendarmes sur la mort de Marthe. Dominique, restée longtemps dans l’ignorance, n’a aujourd’hui qu’un seul souhait : “Je veux savoir ce qu’il s’est réellement passé.”

La voie est libre : de la négligence du foyer à celle des gendarmes

Samedi 15 août 1987. 14 h 44. Habillée d’un sweat-shirt bleu ciel avec un grand visage de Mickey sur la poitrine et dans le dos, d’un pantalon blanc et portant des baskets roses aux pieds, Marthe Buisson ne passe pas inaperçue. Munie d’un grand sac rouge et blanc en bandouillère et d’un plus petit en toile estampillé Naf-Naf, elle est une nouvelle fois en fugue. Mais les gendarmes qui la contrôlent à ce moment à la gare de péage de Mâcon-nord l’ignorent. Personne n’a signalé sa disparition. Ils la laissent donc continuer à faire du stop. “Je ne comprends pas qu’on l’ait laissée repartir, sachant qu’elle était mineure”, s’émeut aujourd’hui Dominique. Si, comme aujourd’hui, la pratique de l’auto-stop n’était pas interdite pour les mineurs, il fallait en principe avoir l’accord de son responsable légal.

C'est à la gare de péage de Mâcon-Nord que Marthe est contrôlée à 14 h 44 par des gendarmes, qui la laissent continuer à faire du stop. Photo JSL/Thomas JUCHORS

C'est à la gare de péage de Mâcon-Nord que Marthe est contrôlée à 14 h 44 par des gendarmes, qui la laissent continuer à faire du stop. Photo JSL/Thomas JUCHORS

Justement, Marthe a délaissé le matin-même le sien : le Foyer de l’enfance de Mâcon. Elle s’y trouve depuis trois ans, placée ici sur une mesure d’assistance éducative décidée par le juge des enfants. L’adolescente a en cela suivi le parcours de déjà quatre de ses douze frères et sœurs, également confiés à l’administration sociale (tous les enfants Buisson finiront par être placés). D’ailleurs, l’une de ses cadettes, Monique, est logée comme elle au foyer mâconnais.

Marthe Buisson, adolescente d'1,60 m, blonde aux yeux clairs, fuguait régulièrement du foyer de l'enfance. C'est la seule photo d'elle dont on dispose. Photo DR

Marthe Buisson, adolescente d'1,60 m, blonde aux yeux clairs, fuguait régulièrement du foyer de l'enfance. C'est la seule photo d'elle dont on dispose. Photo DR

De fugue, la jeune fille n’en est pas à sa première. Depuis le début de l’année, cela lui est déjà arrivé une bonne quinzaine de fois. Marthe pouvait parcourir des centaines de kilomètres comme cela. Le foyer l’avait notamment récupérée à Paris auparavant. “Souvent, elle partait avec Monique”, se souvient Dominique. “Je n’ai pas su pourquoi elle était partie seule ce jour-là, ni où elle allait exactement, regrette-t-elle. Elle était assez discrète, réservée, et nous étions séparées. Je ne savais pas quelle vie elle avait au foyer, je n’ai jamais pu aller la voir. Quand elle appelait, c’était pour nous demander comment ça allait et nous dire de se sauver de la maison, qu’elle ferait le nécessaire.”

On sait seulement que Marthe prend la direction du nord en ce début d’après-midi. La suite de son itinéraire est difficile à reconstituer. Elle ne sera vue qu’à deux reprises dans la journée. 

Le foyer de l'enfance de Mâcon, d'où Marthe fugue le matin du 15 août. Photo JSL/Thomas JUCHORS

Le foyer de l'enfance de Mâcon, d'où Marthe fugue le matin du 15 août. Photo JSL/Thomas JUCHORS

La première fois vers 16 h, toujours en train de faire du stop près du péage Mâcon-Nord.

La gare de péage de Mâcon-Nord. Photo JSL/Thomas JUCHORS

La gare de péage de Mâcon-Nord. Photo JSL/Thomas JUCHORS

La seconde entre 19 h et 20 h, dans un restaurant sur l’aire de repos de Taponas (Rhône), une trentaine de kilomètres plus au sud, toujours sur l’autoroute A6. Étrangement, elle a donc pris la direction de Lyon et non de Paris comme elle semblait l'envisager au départ.

Après Taponas, l’adolescente a repris la direction du nord et donc de Mâcon. Mais, curieusement, on retrouve son corps sur la voie Paris-Lyon, à nouveau en direction du sud. Le mystère demeure sur ses intentions et sur le reste du déroulé de sa journée.

La sortie de l'aire d'autoroute de Mâcon-Saint-Albain. Photo JSL/Thomas JUCHORS

La sortie de l'aire d'autoroute de Mâcon-Saint-Albain. Photo JSL/Thomas JUCHORS

Toujours est-il que le Foyer de l’enfance ne signale sa disparition que le lendemain matin. Tout est alors déjà fini. Difficile à comprendre pour Dominique : “Pour moi, il y a eu de la négligence, il y a eu une faute de leur part.” Elle-même placée plus tard dans un foyer à Châtenoy-le-Royal, elle se souvient que les fugues étaient signalées dès que les éducateurs s’en apercevaient. “C’était dans l’heure qui suivait, peut-être deux heures, pas plus. Ils appelaient directement la gendarmerie.”

S’agit-il d’un motif possible pour rouvrir le dossier ? Maître Seban estime que non : “Je ne pense pas, ce n’est pas un acte criminel, ce serait sûrement prescrit.”

C'est à la sortie de l'aire d'autoroute de l'aire de Mâcon-Saint-Albain que le corps de Marthe Buisson a été retrouvé par un touriste allemand. Photo JSL/Thomas JUCHORS

C'est à la sortie de l'aire d'autoroute de l'aire de Mâcon-Saint-Albain que le corps de Marthe Buisson a été retrouvé par un touriste allemand. Photo JSL/Thomas JUCHORS

C'est à la sortie de l'aire d'autoroute de l'aire de Mâcon-Saint-Albain que le corps de Marthe Buisson a été retrouvé par un touriste allemand. Photo JSL/Thomas JUCHORS

C'est à la sortie de l'aire d'autoroute de l'aire de Mâcon-Saint-Albain que le corps de Marthe Buisson a été retrouvé par un touriste allemand. Photo JSL/Thomas JUCHORS

Des pistes qui épaississent le mystère

Dimanche 16 août 1987. Il est environ 1h20 du matin. Un couple de touristes allemands, éreintés par la route, se gare à l’extrémité de l’aire de repos de Mâcon-Saint-Albain, sens Paris-Lyon. Ils se mettent à l’écart des néons qui éclairent le Relais de Bourgogne, cette bâtisse géante qui surplombe l’autoroute A6. Le conducteur sort se dégourdir les jambes. Lui apparaît alors une masse sombre gisant au loin, à la sortie de l’aire, près de la glissière de sécurité. Il s’aventure jusqu’à celle-ci. Et tombe sur une jeune fille, inanimée. Elle a le crâne en sang. Marthe Buisson a rendu son dernier souffle. 

“Crime ? Accident ?” : d’emblée, Le Courrier de Saône-et-Loire se questionne à l’annonce de cette nouvelle. L’autopsie, pratiquée le lendemain soir, apporte des premiers éclaircissements. Si on ne constate pas de traces de violences sexuelles ou de lutte sur la dépouille de Marthe (ses vêtements étaient en ordre), ses multiples ecchymoses résulteraient d’un frottement contre le macadam, tandis que c’est un éclatement de la boîte crânienne qui a provoqué sa mort. L’absence de fracture exclut un choc avec un véhicule. 

Extrait du Courrier de Saône-et-Loire du 17 août 1987

Extrait du Courrier de Saône-et-Loire du 17 août 1987

Vraisemblablement, elle a donc été ou s’est jetée d’un véhicule roulant à vive allure. D’autant que les gendarmes finissent par retrouver ses deux sacs à bonne distance, environ deux kilomètres plus loin, dissimulés dans l’herbe sur un talus au bord de l’A6. Il paraît clair que quelqu’un s’en est débarrassé. Le juge d’instruction ouvre une enquête pour homicide volontaire.

Se pose alors rapidement une question : quelqu’un a-t-il pu voir l’adolescente être éjectée d’un véhicule ? En plein mois d’août, période de vacances d’été, les automobilistes sont nombreux sur l’autoroute A6, même la nuit. Pour preuve, le peloton d’autoroute rapporte avoir pointé, à minuit, dans le sens Paris-Lyon, 2 300 véhicules à l’heure, roulant à une moyenne de 129 km/h. “Dans ces conditions, les voitures se suivent”, estime-t-on.

“Tombée d’une grosse voiture blanche”
Extrait de la lettre anonyme adressé aux gendarmes de Charnay-lès-Mâcon

Des appels à témoins sont alors lancés dans la presse et, le 20 août, une pointe d’optimisme émane. Une personne se manifeste. “Tombée d’une grosse voiture blanche”, écrit-elle laconiquement dans une lettre. Et suit le numéro d’une plaque immatriculée dans le Rhône. Malheureusement, cette lettre, postée le mardi 18 août à 20 h depuis Lyon-Montrachet, est anonyme. Et le numéro de plaque se révèle être celui d’une Golf verte - et non d’une voiture blanche - dont le propriétaire se trouvait le soir du crime en Dordogne, dînant avec six amis. La seule personne à avoir semble-t-il vu le meurtre s’est donc trompée et, mystérieusement, ne se manifestera plus. 

Extrait du Courrier de Saône-et-Loire du 21 août 1987

Extrait du Courrier de Saône-et-Loire du 21 août 1987

Vue de l'autoroute A6 depuis les Portes de bourgogne, la bâtisse qui surplombe les voies. Photo JSL/Thomas JUCHORS

Vue de l'autoroute A6 depuis les Portes de bourgogne, la bâtisse qui surplombe les voies. Photo JSL/Thomas JUCHORS

Un nouveau rebondissement intervient deux semaines après les faits. Une autre jeune fille, employée sur l’aire de repos en face de celle de Saint-Albain, est assassinée. Il s’agit de Nathalie Maire. Elle avait été questionnée quelques jours plus tôt sur Marthe, les gendarmes recherchant d’éventuels témoins. “Deux crimes en trois semaines au même endroit, c’est beaucoup, c’est même troublant”, écrit alors Le Courrier. Une coïncidence déroutante qui reste à ce jour sans suite. Les deux jeunes filles ne se connaissaient a priori pas et Nathalie n’avait rien vu.

Nathalie Maire travaillait sur l'aire d'autoroute de Mâcon-La Salle, qui fait face à celle de Mâcon-Saint-Albain. Photo fournie par la famille

Nathalie Maire travaillait sur l'aire d'autoroute de Mâcon-La Salle, qui fait face à celle de Mâcon-Saint-Albain. Photo fournie par la famille

Les investigations connaissent une nouvelle avancée à la mi-septembre. Après que des témoins ont affirmé avoir reconnu Marthe Buisson dans un restaurant sur l’aire de repos de Taponas (Rhône). À ses côtés, se trouvait un homme. Sa description est assez précise : dans la quarantaine, 1,75 m, le teint mat, les yeux foncés, les cheveux bruns courts et vêtu d’un polo sombre à manches courtes et d’un jean. Un portrait-robot va même être réalisé et diffusé. On ne retrouvera pas cet individu. Dominique Buisson, qui n’avait jamais vu ce portrait, ne le reconnaît pas non plus : “Je ne connaissais malheureusement pas les fréquentations de Marthe…”

Un appel à témoin a été lancé pour retrouver cet homme, dont voici le portrait-robot, diffusé pour la première fois le 23 septembre 1987. Image DR

Un appel à témoin a été lancé pour retrouver cet homme, dont voici le portrait-robot, diffusé pour la première fois le 23 septembre 1987. Image DR

Les investigations patinent et les parents de Marthe semblent indifférents. “Ils sont tellement cinglés. J’ai l’impression que ça ne les a pas dérangés, que ça ne les a pas touchés. Ils n’ont rien fait pour elle. À la maison, on n’en parlait pas, c’était tabou”, enrage Dominique. Personne ne semble avoir les moyens ou l'envie de se battre pour Marthe Buisson. Ses frères et sœurs sont décontenancés ou trop jeunes. En 1988, Monique met fin à ses jours, brisée par la mort de son aînée. Un an plus tard, en 1990, le parquet de Mâcon délivre une ordonnance de non-lieu. Fin de l’enquête. Cela faisait à peine trois ans qu’elle avait commencé.

La virée tragique d’un possible suspect

1987, trois semaines après les faits. J. C. quitte subitement son domicile et enfourche son vélo. Il a laissé une lettre à sa femme. On retrouve son deux-roues et son blouson quelques jours plus tard, près d’un pont. Entre-temps, le corps d’un homme d’une trentaine d’années est découvert dans la Saône, dans le département du Rhône. C’est le sien. J. C. n’est plus. Et à vrai dire, il n’était déjà plus lui-même depuis quelque temps. Depuis son retour d’une cure de désintoxication à Chamonix. Renfermé sur lui-même, cloîtré dans sa chambre des jours entiers, les yeux amarrés aux lignes d’une coupure de presse : il relit sans cesse cet article relatant la mort d’une jeune fille sur l’autoroute A6. 

La lettre à son épouse annonce son suicide et le justifie par cet “incident” survenu avec une autostoppeuse sur l’A6. Il précise qu’il n’était pas seul ce jour-là dans la voiture, des compagnons du centre de cure se trouvaient avec lui. Est-il possible que cette auto-stoppeuse soit Marthe Buisson, alors que près de 275 km séparent Chamonix de l’aire de Mâcon-Saint-Albain ? 

La question ne se posera pas dans l’immédiat, puisque les enquêteurs de la Section de recherche de Dijon n’entendront parler de cette histoire que sept années plus tard, par hasard. Le Journal de Saône-et-Loire relate qu’en 1994, un gendarme dijonnais enquêtant près de Lyon finit par avoir vent de cette histoire après un échange avec un collègue lyonnais. “Ce dernier a entendu dire par une habitante de Givors que son ancienne voisine affirmait que son mari s’était suicidé en 1987 après "un problème avec une fille sur l’autoroute"”, rapportions-nous. L’enquêteur bourguignon fait alors le rapprochement avec Marthe Buisson puis retrouve la veuve de J. C., qui avait déménagé près de Grenoble.

Si elle a depuis jeté la lettre de son défunt conjoint, son récit va tout de même permettre au parquet de Mâcon de rouvrir le dossier Buisson. Commence alors un périple qui emmènera les gendarmes aux quatre coins du pays. Au centre de cure de Chamonix, ils parviennent à retrouver la trace de J. C., dont les dates de son passage correspondent à celles données par sa veuve. Et en épluchant les registres de l’établissement, ils identifient les individus qui ont accompagné le nouveau suspect lors de sa virée sur l’A6. 

De longs mois passent avant qu’ils ne réussissent à localiser l’un d’eux, devenu SDF et traînant dans le XVe arrondissement de Paris. En garde-à-vue, l’homme se livre. Il confirme qu’ils ont bien pris en stop ce jour-là une jeune fille, qui s’est installée à l’avant de la Peugeot 504 blanche conduite par J. C. 

Ses révélations vont mener à l’aboutissement des investigations. Il explique que, terrorisée devant les avances sexuelles très pressantes de J. C., la jeune fille a elle-même ouvert la portière avant de se jeter sur l’autoroute. Il se remémore avoir observé son corps rouler vers les barrières de sécurité avant que J. C. n’accélère, car celui-ci aurait vu dans son rétroviseur un automobiliste qui tentait de relever son numéro d’immatriculation. Ils auraient ensuite jeté les sacs de l’auto-stoppeuse avant de regagner le centre de cure de Chamonix. 

Un récit des faits qui correspond presque mot pour mot aux lignes écrites par les journaux quelques années plus tôt.

Plusieurs semaines après, la section de recherche retrouve les autres occupants du véhicule, à Rennes et Clermont-Ferrand. Parmi les trois compagnons de route de J. C., un seul avoue s’être trouvé dans la voiture et reconnaît le visage de Marthe Buisson sur présentation de sa photo. L’affaire en reste là pour eux trois, sauvés par la prescription pour le délit de non assistance à personne en danger, qui est fixée à cinq ans. 

Bien qu’aucune preuve formelle ne puisse venir conforter l’hypothèse de J. C. et ses compagnons, pour la justice, le dossier peut à nouveau être refermé. À la fratrie Buisson, on parle d’un suicide. “J’ai entendu dire que Monique, une fois, avait demandé à Marthe : "S’il t’arrive quelque chose quand tu fais du stop, qu’est-ce que tu fais ?" Et Marthe lui aurait répondu : "Je me jette de la voiture." Donc ce n’est pas impossible qu’elle ait sauté, mais si elle l’a fait, elle ne l’a pas fait pour se tuer, mais pour fuir”, souligne néanmoins Dominique. “Si on m’avait dit que c’était un meurtre, j’aurais peut-être fait les choses autrement.”

“Ce n’est pas impossible qu’elle ait sauté, mais si elle l’a fait, elle ne l’a pas fait pour se tuer, mais pour fuir.”
Dominique Buisson, petite sœur de Marthe

Dominique Buisson n'a jamais rencontré un magistrat ou un enquêteur. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Dominique Buisson n'a jamais rencontré un magistrat ou un enquêteur. Photo JSL/Ketty BEYONDAS

Aujourd’hui, la petite sœur de Marthe, aide-soignante et mère de deux enfants, qui n’a jamais eu de contact avec l’institution judiciaire ou un enquêteur, garde tout de même espoir : “C’est pour cela qu’on a rejoint l’association Christelle avec mon frère, pour essayer d’en savoir plus, pour faire rouvrir le dossier, car je doute que ma sœur se soit suicidée.”

Si vous vous souvenez de quelque chose, signalez-vous auprès de l’Association Christelle ou des autorités compétentes. L’Association Christelle, basée à Blanzy, aide les familles victimes d’agressions criminelles. Pour financer les frais inhérents à la gestion de ces affaires, elle a besoin de dons et de bénévoles. Tél. 06.06.71.06.71.