A Digoin, un établissement
rempli d'humanitude
Long format "Les Ehpad en Saône-et-Loire : au plus près de la réalité" (épisode 5/7)

Tout n'est pas rose au pays des Ehpad. Tout n'est pas noir non plus. A Digoin, l'humanitude est au coeur du projet d'établissement.
Quelques mois seulement après son ouverture, il s’est imposé comme le « QG des résidents ». En ce mardi après-midi d’octobre, comme tous les jours, il y a affluence. Bienvenue au “café social”, aménagé au cœur de l’Ehpad public Marcellin-Vollat à Digoin. Ce lieu (lire ci-dessous), c’est l’animatrice de l’établissement qui l’a souhaité. « L’idée m’est venue après ma formation “humanitude” », livre Madeleine Majorzcyk.
Tout le personnel formé
L’humanitude ? « Une philosophie de soins aux aînés développée par Yves Gineste et Rosette Marescotti. Elle est basée sur 150 techniques et vise l’autonomie, la citoyenneté et la liberté des résidents », éclaire la responsable de l’établissement, Isabelle Créteur. Une philosophie inscrite noir sur blanc dans le projet de cet Ehpad situé en plein centre de la cité ligérienne et qui accueille 113 résidents.
Pour mettre en œuvre cette humanitude, tous les personnels y sont - ou vont y être - formés. C’est déjà le cas des soignants depuis une huitaine d’années. Ce le sera bientôt pour les agents administratifs et techniques. « Nos deux cuisiniers ont également été formés », indique la responsable.

La responsable de l'animation Madeleine Majorzyck, l'aide-soignante et animatrice Fatima Perreira, et la responsable de site Isabelle Créteur. Photo JSL/Ketty BEYONDAS
La responsable de l'animation Madeleine Majorzyck, l'aide-soignante et animatrice Fatima Perreira, et la responsable de site Isabelle Créteur. Photo JSL/Ketty BEYONDAS
Objectif label
À l’Ehpad Marcellin-Vollat, l’humanitude est déclinée autant que possible à tous les niveaux. Et elle pourrait, dans les années à venir, déboucher sur une reconnaissance officielle. La responsable du site ne le cache pas, « on vise le label*». Ce serait une première en Saône-et-Loire, et même en Bourgogne (à ce jour, une douzaine d’Ehpad seulement sont labellisés sur l’ensemble de la France). Pour obtenir ce label, il faut répondre à de nombreux critères d’évaluation des soins, de la vie sociale, de la restauration, ou encore de la qualité de vie au travail pour les professionnels.
« On a aussi des problèmes - comme tout le monde -, il ne faut pas les nier. Mais on est très exigeant, on veut un service irréprochable »
Est-ce à dire que dans cet établissement, on y vit mieux qu’ailleurs ? « On a aussi des problèmes - comme tout le monde -, il ne faut pas les nier. Mais on est très exigeant, on veut un service irréprochable », assure Isabelle Créteur. Cette exigence n’est sans doute pas étrangère, entre autres éléments, au taux d’occupation de l’établissement, qui s’élève à 97 %. « On est très demandé », confirme la responsable. Qui se sent à mille lieues de la maltraitance dans des Ehpad d’un groupe privé décrite dans le livre qui a fait l’actualité en début d’année : « On est dans deux mondes différents… »
* Le label “humanitude” est délivré par l’association Asshumvie, composée de directeurs d’établissements, de services, médecins, cadres, professionnels, familles.
Une ambiance de village "pour sortir du cadre hospitalier
Des boissons chaudes et fraîches en libre-service (et gratuites), des tables, chaises et fauteuils… C’est la dernière nouveauté de Marcellin-Vollat. En début d’année, l’Ehpad public digoinais a ouvert dans ses murs un “café social”, dans les anciens locaux du kiné et de l’ergothérapeute réaménagés avec un peu de mobilier acheté et des travaux réalisés par les services techniques de l’établissement.
« Leur lieu à eux »
Très vite, ce nouveau lieu, ouvert tous les jours et à toute heure, est devenu « le QG des résidents », assure l’animatrice Madeleine Majorzyck, à l’origine du projet. On y vient à sa guise pour papoter, jouer (aux cartes, aux jeux de société), utiliser les tablettes numériques (notamment la lecture JSL). Mais pas seulement. « Ils peuvent recevoir ici leurs familles, les anniversaires sont fêtés ici. Certains résidents qui sont membres du conseil de vie sociale se retrouvent ici, et après la sortie marché du vendredi matin, c’est encore ici qu’ils prennent l’apéro, c’est devenu un rituel », décrit l’animatrice. C’est encore ici que des activités sont organisées : pâtisserie, pluche de légume, ou encore découverte des nouvelles technologies (drone, casque virtuel) avec l’association Syntaxe Erreur. « C’est vraiment un lieu à part dans l’établissement, qui sort du cadre hospitalier. C’est leur lieu à eux », assure l’animatrice, qui souhaitait à travers ce café social recréer une « vie de village ».
Situé juste à côté, un autre lieu a ouvert en même temps que ce café ; dans l’ancienne pharmacie se trouve désormais un salon d’esthétique. Une aide-soignante, qui a passé le diplôme ad hoc, y reçoit les résidents qui le désirent, sur rendez-vous, à raison de deux demi-journées par semaine. Pour ceux qui préfèrent, elle peut les bichonner dans leur chambre. Et ça aussi, c’est gratuit.
Animations : « Vous n'avez pas idée de tout ce qu'on fait »
Vous n’avez pas de proche en Ehpad, vous ne connaissez rien de la vie des résidents. Vous imaginez que les soins, les repas et un peu de télé font la journée ; que des animations occasionnelles égaient le quotidien. Vous soumettez ces a priori volontairement provocateurs à l’animatrice de l’Ehpad public de Digoin. Sa réaction ? Stupéfaction. « Vous n’avez pas idée de tout ce qu’on fait », constate Madeleine Majorzyck. Hormi le week-end, il y a ici des animations tous les jours de la semaine : « Loto le lundi, atelier mémoire le mardi, jeux de société le mercredi, confection de crêpes le jeudi, sortie sur le marché le vendredi », détaille-t-elle. Sans oublier les activités manuelles, les barbecues, les visites de chiens qui font du “dog dancing”, la musique, les rencontres intergénérationnelles…
« On essaie de faire participer tout le monde et on essaie tout le temps d’innover, de proposer des choses qui sortent de l’ordinaire. »
Voilà un aperçu des animations collectives, et, « pour les personnes très dépendantes », des animations individuelles comme la lecture au chevet, la balade… « On essaie de faire participer tout le monde et on essaie tout le temps d’innover, de proposer des choses qui sortent de l’ordinaire. » Pour ce faire, deux aides-soignantes consacrent un mi-temps à l’animation, en plus de Madeleine Majorzyck. Cette dernière, qui fut aussi aide-soignante pendant 20 ans avant de se consacrer à l’animation (elle est diplômée pour cela) depuis 15 ans, l’assure : « L’Ehpad, c’est la dernière maison, on se doit de la rendre heureuse. Je ne changerais de métier pour rien au monde. »
Des bénévoles et des soignants heureux en Ehpad ? Ça existe
Il y a l’affaire Orpéa. Et l’avalanche de témoignages qui a suivi et qui continue de tomber. Et puis il y a aussi des soignants heureux de travailler en Ehpad au sein desquels ils estiment que les résidents et les familles sont bien traités. L’occasion d’interroger une soignante et une bénévole qui continuent d’aimer leur métier et défendent le « bien vivre » en Ehpad.
Dominique, professeure retraitée de 69 ans, est bénévole à l’Ehpad de Bonnay depuis 8 ans. Une fois par semaine, elle vient tenir compagnie aux résidents, les faire chanter, les faire rire. « Je reste pour le goûter, donc je vois ce qu’ils mangent. Ils ont des viennoiseries fait maison. Et pour les repas, on dit que c’est bon, ils ont un chef cuisinier. Je suis proche des résidents, s’il y avait eu de la maltraitance dans cet Ehpad, je l’aurais su. Je ne peux pas dire que c’est parfait mais je sais que cela se passe bien. »
« Il n’y a pas que de la tristesse dans les Ehpad »
Dominique aide le personnel à installer les résidents en salle d’animations et leur propose souvent des jeux en lien avec la musique. « Leur animation, préférée c’est le chant, ça fonctionne très bien. J’avais organisé il y a quelques années un concours de blind-test inter-Ehpad (Cluny, Salornay, Joncy), on avait fait une finale à Bonnay. C’était super. »
Dominique échange souvent avec le personnel et les familles. « Je discute avec les familles, je n’ai jamais eu de retours négatifs de leur part. » La retraitée aimerait qu’il y ait plus de bénévoles en Ehpad. « Ce n’est pas ce qu’on croit, il n’y a pas que de la tristesse. Après le Covid, j’étais déçue de voir que certains bénévoles avaient disparu mais je me suis motivée et je suis revenue. On cherche des bénévoles, ça redonne du punch au personnel, ça les aide. Ce n’est pas pour les remplacer mais pour les aider. » Deux, trois bénévoles viennent toutes les semaines à l’Ehpad et « un monsieur vient jouer de l’accordéon une fois par mois ».
De son côté, Marjorie*, aide-soignante dans un Ehpad du département, est encore très marquée par l’affaire Orpea et les conséquences sur l’image des soignants. « Hier, on nous applaudissait, aujourd’hui, on nous accuse d’être maltraitants », glisse t-elle. Regrettant cette généralisation du « soignant maltraitant ».
« On serait cinq de plus, on ne dirait pas non mais j’estime ne manquer de rien. On s’en rend compte en formation quand on rencontre d’autres établissements, on voit bien qu’on est plutôt bien lotis comparé à d’autres soignants. »

Dominique, bénévole à l’Ehpad de Bonnay, adore venir divertir les personnes âgées et estiment qu’ils sont heureux. Photo d'archives JSL/Thérèse ROBERJOT
Dominique, bénévole à l’Ehpad de Bonnay, adore venir divertir les personnes âgées et estiment qu’ils sont heureux. Photo d'archives JSL/Thérèse ROBERJOT
« Beaucoup d'entre eux ont fait la guerre, alors... »
Des repas froids ou pas assez copieux par ici, une soignante qui tarde à arriver par là… Au fil de nos reportages, ces derniers mois et même ces dernières années, on a eu l’occasion de discuter avec de nombreux résidents en Ehpad. Bien sûr, il leur arrive d’émettre des réserves, voire des critiques. Mais force est de reconnaître que ce n’est pas la tendance dominante.
Les résidents font même preuve d’une certaine bienveillance à l’égard de celles (on dit « celles » parce que ce sont, faut-il le rappeler, essentiellement des femmes qui travaillent en Ehpad) qui s’en occupent tant bien que mal. « On voit bien qu’elles courent partout, qu’elles ne sont pas assez nombreuses et qu’elles font ce qu’elles peuvent », a-t-on entendu de la bouche d’une alerte octogénaire dans un établissement du Charolais.
Fatalistes, nos aînés ? Question de génération, analyse une soignante rencontrée dans le Charolais : « C’est vrai qu’ils se plaignent très peu alors qu’ils auraient de quoi. Mais vous savez, beaucoup d’entre eux ont connu la guerre, alors… » Alors quoi ? « Ils n’en pensent peut-être pas moins mais ne l’expriment pas, ou très peu. Ils ont vécu une partie de leur vie à une époque qui ne ressemblait en rien avec l’actuelle et tout son confort. Alors même si quelque chose ne leur convient pas, dans l’ensemble ils ne disent rien. »
Un peu de coulisses : "Une journée dans un Ehpad", le reportage que vous ne lirez pas
Lorsque notre rédaction en chef nous a confié une enquête au long cours sur les Ehpad en Saône-et-Loire, l’immersion dans l’un d’eux nous a semblé incontournable. Sur le terrain, au plus près des soignants, au plus près des résidents, des directions aussi. Par mail, on a contacté les 94 Ehpad que compte le département. Notre demande : être présents du matin au soir, de pouvoir parler avec tout le monde, d’évoquer tous les sujets, librement. En contrepartie, on avançait nos gages : aucun a priori, un reflet strict de la réalité dans toute sa complexité et ses nuances. Certains sont restés sourds à notre sollicitation, mais la majorité des établissements nous ont répondu. « Je vous remercie de m’avoir contactée mais je ne peux donner suite à votre demande » ; « Merci de l’attention que vous nous portez mais ce n’est pas possible avec le Covid. » Des refus, donc (forcément, on arrivait quelques semaines après le scandale Orpéa, la méfiance était de mise). Mais aussi quelques possibilités, certains mails ayant été suivis d’échanges téléphoniques avec des directions, a priori favorables à notre demande, puis finalement non. Seul l’Ehpad public de Montcenis (qui dépend de la structure départementale du Creusot) a accepté de nous ouvrir ses portes, le temps d’une journée. Une date était calée. Mais quelques jours avant, plusieurs cas de Covid ; reportage reporté, puis abandonné en raison de contraintes liées aux agendas des uns et des autres. Mais l’équipe de la structure creusotine nous a tout de même reçus pour évoquer les conséquences de l’affaire Orpéa sur le personnel et les familles ainsi que leur conception de l’Ehpad de demain. Un sujet traité dans l’épisode 7 de ce long format.