Les affaires de leur père déporté leur sont rendues

Leurs parents avaient été déportés durant la 2e Guerre Mondiale. Récemment, Annie et Nathalie ont retrouvé les objets confisqués à leur père lors de son arrestation

Elle dépose une boîte en carton sur la table de bois, s’assoit en face de sa sœur et prend le temps d’une expiration avant de soulever le couvercle avec autant de précaution que d’émotion. Annie en sort des papiers, des photos, un vieux portefeuille en cuir et les dispose entre sa sœur Nathalie et elle.

Ces objets sont les effets personnels que leur père avait sur lui lors de son départ en camp de concentration. L’ensemble leur a été rendu en juillet dernier.

Une histoire familiale bien connue

L’histoire de leurs familles, les sœurs Annie Pacaud et Nathalie Marlin l’ont toujours bien connue. « Notre père, Simon Marlin, ne parlait pas de la déportation, parce qu’alors il se mettait à pleurer. Mais avec notre grand-mère Céline Marlin, on en a beaucoup parlé.

Elle nous racontait les voyages dans les wagons à bestiaux, la soif terrible, le camp, la vermine, dont elle essayait de se débarrasser en se frottant la peau avec un morceau de bois, la paille souillée où elle passait les nuits, elle qui était d’une propreté sans faille, d’une maniaquerie… la nuit de Noël 1944, aussi, qu’elle a passé dehors dans la neige, vêtue d’une veste en toile légère, alors que les Allemands faisaient l’appel interminablement. On était devenu des bêtes, répétait-elle. »

Au printemps 2020, elles reçoivent la visite de Jérémy Beurier. Ce passionné d’Histoire locale de la résistance collectait alors des témoignages, en vue de la rédaction du livre qu’il a co-écrit avec Gérard Soufflet : Les Téméraires (paru en octobre dernier). L’historien les écoute lui raconter l’histoire familiale, puis leur fait une suggestion : s’adresser à l’institution Arolsen Archives pour en savoir plus sur la déportation de leur père, de leur oncle et de leurs grands-parents, et, éventuellement, récupérer les effets personnels confisqués à leur arrivée en camps de concentration.

Les archives Arolsen

« Les Arolsen Archives sont un centre de documentation des persécutions nazies et possèdent le fonds le plus complet au monde sur les victimes et les survivants des persécutions du national-socialisme » peut-on lire sur le site arolsen-archives.org . Cette institution basée à en Allemagne, dans la ville de Bad Arolsen, possède des données sur près de 17,5 millions de victimes du régime nazi. Grâce à son travail, des parents de victimes ont été retrouvées et des informations peuvent ainsi être données aux survivants et aux familles des victimes. L'institution effectue également un important travail en matière de recherche, de travail pédagogique ainsi que la conservation et la préservation de documents liés à cette période. Il s'agit donc d'un acteur majeur dans le domaine du devoir de mémoire de cette période tragique.

Depuis 2013, les documents originaux conservés dans ses archives font partie du patrimoine documentaire mondial de l’UNESCO « Mémoire du monde ».

" On ne savait pas du tout qu’on pouvait récupérer leurs affaires "

Nathalie confie : « on ne savait pas du tout qu’on pouvait récupérer leurs affaires. On ne pensait pas que quelque chose aurait pu être conservé. Papa l’ignorait aussi. Sur le site internet, nous avons déjà eu accès à tous les documents les concernant et à la liste des objets. »  « Ils ont été extraordinaires et très gentils, ajoute Annie.

Au départ, nous comptions aller en Allemagne, à Bad Arolsen. » Mais la crise sanitaire a contrarié leur projet. « Alors ils nous ont envoyé tout ça, dans un colis très soigné. Je me souviens, quand on a ouvert le paquet, il faisait très beau. »

Le souvenir est indélébile pour Nathalie aussi : « On a regardé tout ça toutes les deux, puis avec nos enfants. C’était très dur. » Difficile pour les sœurs d’exprimer leur émotion, encore très vive.

Elles ont découvert une foule de documents retraçant l’intégralité du parcours de leur père, Simon (photo ci-contre) : son arrestation au Bois du Verne, en février 1944, son passage par Compiègne, son arrivée au camp de Neuengamme le 24 mai, la libération en mai 1945, la convalescence en Suède, puis son retour à Montceau, à l’été 1945. Son matricule aussi, le 30 627, « qu’il connaissait par cœur, en allemand. Céline n’a jamais réussi à retenir le sien, elle a été beaucoup battue pour ça. »

Mais surtout, le colis renfermait le contenu des poches de Simon Marlin lors de son arrestation : son portefeuille, des photos de sa mère, de ses frères, et même le menu du mariage de l’un d’eux, quelques jours avant. Une petite lettre de sa future épouse, aussi, la mère de Nathalie et Annie

Encore bouleversées par cette confrontation au passé familial, Annie et Nathalie ont déposé une seconde demande à Arolsen-Archives : « Les recherches sont en cours concernant Céline. Nous avons envie de savoir pour Mémé, peut-être qu’il reste aussi quelque chose ! »

20 Février 1944 : la nuit de la grande rafle à Montceau-les-Mines

Trente-et-une personnes liées de près ou de loin à la Résistance sont arrêtés par l’occupant allemand. Parmi eux, trois membres de la famille Marlin : Céline, la mère, Jean-Marie, le père, ainsi que leur fils Simon, 16 ans. Jean, 19 ans, a été arrêté la veille. Annie, fille de Simon, raconte : « Toute la famille œuvrait pour la Résistance. André Jarrot était de leurs amis, et même davantage. Il faisait partie du cercle familial, il était de tous les mariages, communions, etc. Il est le parrain de Légion d’Honneur de Papa. Il appelait notre grand-mère « Maman Marlin ». Ils cachaient des armes chez eux. Par chance, au moment de leur arrestation, il n’y avait plus d’armes à la maison. Sinon, ils auraient été fusillés aussitôt, comme le disait Mémé Céline.

Georges Marlin

Georges Marlin faisait parti du maquis de La Grande Verrière en compagnie de son frère René. Ils ont accueillis Fernand, leur plus jeune frère âgé de 13 ans après l'arrestation des autres membres de la famille

Mon père, du haut de ses 16 ans, était agent de liaison : il passait des papiers. Fernand, le plus jeune frère, âgé de 13 ans, a été laissé, tout seul. Il a ensuite rejoint les deux frères aînés, Georges et René, dans le maquis de la Grande Verrière. » Jean-Marie, Jean et Simon sont tous les trois envoyés au camp de concentration de Neuengamme. « C’est là que Papa a vu son père passer parmi d’autres déportés. Il a toujours pensé qu’il marchait alors vers la mort. »

Jean-Marie Marlin n'est pas revenu de déportation

En effet, Jean-Marie Marlin n’est pas revenu de déportation. Jean, quant à lui, a survécu aux camps de la mort. « Mais il a été tellement battu que sa jambe a été massacrée. On l’a toujours vu boiter. Il a été jeté dans un charnier et sauvé par un ami russe. A son retour, il pesait à peine 30 kg. C’était un vrai cadavre. »

Jean Marlin ne pesait que 30 kg à son retour des camps

Au sujet de Céline, Annie se souvient : « c’était un petit bout de femme très courageuse, une force de la nature ; A Ravensbrück, elle pelletais des gravillons pour les voies de chemin de fer. »

Céline Marlin est une des rares femmes françaises à avoir reçu la Médaille Militaire.

A l’aube de ses 50 ans, la déportée prend sous son aile deux jeunes filles de 13 et 24 ans. Cette dernière n’est autre que Geneviève De Gaulle-Anthonioz, la nièce du Général De Gaulle, future militante des droits de l’Homme et de la lutte contre la pauvreté, arrêtée pour actes de Résistance. Longtemps après la libération des camps et le retour des déportés, la famille de Gaulle a envoyé régulièrement des colis à Céline Marlin.

Simon Marlin en tenue de déporté

Nathalie explique ensuite au sujet de son père : « Simon était très adroit et très intelligent. Ce qui explique qu’il a eu la chance de travailler dans une usine de montre, assis, au chaud, et un petit peu mieux nourri. A la libération du camp de Neuengamme, Simon est envoyé en Suède, « pendant 2 ou 3 mois, pour se retaper. Il se souvenait qu’on lui donnait beaucoup de cachets, des vitamines probablement, et d’abord de toutes petites quantités de nourriture, pour réhabituer son organisme. Il ne comprenait pas. Il a été très bien soigné, quand il est revenu il était bien. » Simon, Jean, Jean-Marie et Céline ont été décorés de la Légion d’Honneur. Céline Marlin est une des rares femmes françaises à avoir reçu la Médaille Militaire.

Pour Annie et Nathalie, Simon Marlin, qui a vécu jusqu’en 2005, « c’était un battant. Il voulait vivre ». La mort l’a frôlé a plusieurs reprises. Dans leur débâcle, les Allemands font embarquer des milliers de déportés sur trois bateaux laissés en vue dans la baie de Lübeck, dans l’idée que les Alliés les bombardent. Alors que les deux premiers navires sont coulés, celui de Simon  Marlin, est miraculeusement intercepté par une vedette suédoise. Sa survie était tout aussi inespérée lorsqu’il a été soigné tout à côté de malades du typhus. Enfin, plus de vingt ans après son retour des camps de la mort, Simon Marlin se découvre un kyste hydatique (maladie parasitaire causée par des larves de ténia) au rein. Annie et Nathalie, toutes deux infirmières, se souviennent : « C’était gros comme un pamplemousse. Trois chirurgiens se sont occupés de lui. Ils ont beaucoup débattu, se sont beaucoup documentés. Il a attrapé ça à cause des saletés qu’il a dû manger en camp. Mais il a été sauvé, ça a fini par bien cicatrisé. »

Une anecdote que Nathalie et Annie confie en souriant : en Suède, Simon Marlin, 17 ans, a sympathisé avec une jeune infirmière. A l’été 1945, après deux à trois mois de convalescence, il est prié par celle-ci de rester vivre à ses côtés en Suède. Mais Simon ne sait rien de ce que sont devenus les membres de sa famille et choisit de rentrer à Montceau pour retrouver ses proches. Toutefois, il a conservé toute sa vie une photo de la jeune infirmière. Un béguin qui a ensuite toujours beaucoup amusé son épouse.

Georges Marlin, l’aîné de la fratrie, était dans le maquis de la Grande Verrière lors de l’arrestation de ses parents et de ses deux frères. Il a alors été pris de rage et de désir de vengeance. Sans pitié à l’égard de l’occupant allemand, il a baptisé son fusil mitrailleur « Céline », du nom de sa mère déportée.

L’histoire de la famille Marlin et d’une multitude de résistants du bassin minier est à découvrir dans le livre Les Téméraires, Une Histoire neuve de la Résistance, par Gérard Soufflet et Jérémy Beurier (paru en octobre 2020). Contact : 71300.lestemeraires@gmail.com  ou sur le blog lestemeraires.com ou sur la page Facebook « Résistance et Maquis à Montceau les Mines ».