Ces vieilles publicités
réclament de l'attention
Un conservatoire, pour garder la mémoire
Le long des anciennes routes nationales, les vieilles publicités ont perdu l’éclat de leur jeunesse. D’autres ont carrément disparu. Le photographe Marc Combier a fondé un conservatoire pour éviter qu’elles ne tombent dans l’oubli.
Les couleurs sont un peu passées, la marque a disparu mais la publicité est toujours là, accrochée à un mur depuis des décennies.
Au bord des anciennes routes nationales, ces vieilles réclames font partie du décor. « Si on ne s’y intéresse pas, on passe à côté sans les voir. » Marc Combier, lui, est carrément tombé amoureux. Photographe et auteur, il a fondé le Conper, le Conservatoire des publicités extérieures et routières, et a passé ces dernières années à les recenser.
Ce jour-là, à Cluny, on se dirige vers “un Byrrh”, marque d’alcool qui prospérait au début du siècle dernier. Anne-Françoise Tixier, membre du Conper, l’a repéré du TGV. Elle a l’œil, Anne-Françoise, mais elle a surtout l’habitude : partout où elle va, elle fait « la girouette » à la recherche de ces pans de murs autrefois éclatants.
Pour chasser les peintures murales, Marc Combier a une autre technique : il jette un œil sur de vieilles cartes routières pour localiser le tracé des anciennes routes nationales. Car « 80 % des publicités s’y trouvent ». En Saône-et-Loire, le Conper en a répertorié 153, dont 46 au bord de l'ancienne RN6.
Sennecey-le-Grand - Publicité pour le Puy-en-Velay
Sennecey-le-Grand - Publicité pour le Puy-en-Velay
Mâcon
Mâcon
Lux
Lux
La route des vacances
C’est notamment sur cette route mythique que les pubs ont connu leur âge d’or. Avec les congés payés et le développement de la voiture, les Français descendent vers la grande bleue et les marques veulent être du voyage. Un grand mur, un pignon un peu haut, les bons emplacements sont pris d’assaut pendant des décennies. Pour les annonceurs et les afficheurs, la route fait recette mais ne rapportait guère aux propriétaires des façades, « 250 francs de l’époque soit 50 euros par an », d’après les estimations de Marc Combier.
Lorsqu’un contrat était signé, les annonceurs confiaient le travail et les gabarits à des peintres locaux. À échéance, l’afficheur faisait recouvrir le mur pour mettre en avant un nouveau produit. « Mais la peinture utilisée n’était pas de grande qualité et les anciens visuels ressortaient et se superposaient au nouveau », explique Marc Combier à Varennes-lès-Mâcon, devant Les biscuits Pernot.
La nostalgie d'une autre époque
La plupart sont restées en l’état, soumises aux intempéries. Les législations successives, le changement de formats et de supports, et surtout l’arrivée de l’autoroute, ont eu raison de ces annonces d’antan.
Puis le marketing de l’époque est devenu du patrimoine. « C’est un regard sympa sur le passé », pour Marc Combier. Et empli de nostalgie pour tous les amoureux de ces vieilles réclames, de ces murs qui murmurent une “douce France” idéalisée. Certains se mobilisent pour sauver ce qui peut encore l’être. Mais le temps presse. Ces publicités créées pour attirer l’attention mériteraient aujourd’hui toute la nôtre.
Restaurer "ce qui n'a pas sa place dans un musée"
Dans le Vaucluse, un autre amoureux des vieilles publicités a lui aussi sorti un livre en 2006, comme Marc Combier. Les deux hommes se sont rencontrés, le Conper est né.
Stéphane Mallet est peintre en bâtiment et a su se diversifier pour suivre l’évolution technologique. Mais revient dès que possible à ses premières amours et n’hésite pas à relever le défi de la restauration. Comme à Retournac (Haute-Loire) l’année dernière. Une association a réuni les 5000 € nécessaires pour sauver le Saint-Raphaël, nom d’un apéritif créé en 1830. Sur ce chantier-là, l’équipe de l’Atelier Mallet a travaillé à l’envers : le tracé a été conservé, tout a été brossé, puis les lettres ont été refaites. Sur ce genre de restauration, les peintres réalisent d’habitude un poncif, un calque à petits trous qui permet de refaire les lettres entièrement une fois le fond repeint. À Retournac, le Saint-Raphaël est reparti pour dix ans.
Tout le monde ne se démène pas autant. Stéphane Mallet est sollicité, mais « faute de financements ou parce que la maison se vend, les gens ne vont pas au bout de la démarche ». Pourtant le savoir-faire existe toujours et il ne demande qu’à être exploité parce que « les vieilles publicités murales n’ont pas de place dans un musée et qu’elles font partie de notre mémoire collective ».
153 : Le nombre de publicités recensées en Saône-et-Loire,
dont 46 le long de l’ancienne nationale 6.
Chalon-sur-Saône - Rue de la Banque
Chalon-sur-Saône - Rue de la Banque
Sainte-Cécile - Garage de la Valouze
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Ivry-en-Montagne (21) - Restauration par le Consortium, centre d'art contemporain de Dijon
Ivry-en-Montagne (21) - Restauration par le Consortium, centre d'art contemporain de Dijon
Pollution visuelle ou véritable patrimoine ?
Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs réglementations successives signent la fin des réclames murales. Le support aussi a changé et la publicité s’est multipliée, surtout dans les entrées de ville. L’association Paysages de France se bat pour limiter cette pollution visuelle. Avec leurs grands formats, les vieilles pubs sont-elles concernées ? « Non, c’est marginal », répond Pierre-Jean Delahousse, porte-parole de l’association. « Le problème actuel, c’est la multiplication, la surface et le type de dispositif. Les anciennes ont perdu leur fonction de publicité puisque la plupart des marques ont disparu. C’est du cas par cas, mais elles peuvent avoir un certain charme. »
Voila donc comment on passe de réclame à patrimoine. Et à ce titre, la Fondation du patrimoine peut intervenir. Sur des bâtiments publics, le projet peut être mené par une collectivité ou une association, auquel est adossée une souscription de la Fondation du patrimoine à laquelle chacun peut participer. « Pour les bâtiments privés, nous devons étudier si le projet rentre juridiquement dans notre label, précise Jean-Christophe Bonnard, délégué régional de la Fondation du patrimoine. Si c’est le cas, le propriétaire peut bénéficier d’une déduction fiscale intéressante, et d’un coup de pouce de la fondation.»
Bientôt un guide pour ceux qui veulent se lancer
Après le recensement, le Conper, le Conservatoire des publicités extérieures et routières, va s’atteler à la rédaction d’un guide pour donner toutes les clés à ceux qui veulent sauver les vieilles publicités près de chez eux.
Dans la région, rares sont celles qui ont déjà bénéficié d’un lifting.
À Chagny, la station du Pont de Paris a bénéficié d’un programme du Consortium, le centre d’art contemporain de Dijon.
En face de la station, la publicité pour L’Hostellerie bourguignonne vit ses derniers instants. Les lettres sont à peine visibles, nous l’avons identifiée grâce au livre de Marc Combier, Les publicités peintes de nos nationales, tome I.
Pour aller plus loin...
Les publicités peintes de nos nationales, tomes I et II, aux éditions Histoire et collections
Le site du Conper, le Conservatoire des publicités extérieures et routières