Aux origines
de l'égyptologie

Deux Chalonnais précurseurs

Depuis qu’on l’a redécouverte, l’Égypte antique ne cesse de fasciner. Son étude a même donné naissance à une discipline à part entière, l’égyptologie.

À l’occasion des 200 ans de la traduction de la pierre de Rosette et des 100 ans de l’ouverture de la tombe de Toutânkhamon, retour sur le destin de deux Chalonnais, pionniers de l’égyptologie, Dominique-Vivant Denon et François Chabas.

Dominique-Vivant Denon,
le premier des égyptologues

« Messieurs, du haut de ces pyramides, 40 siècles d’histoire nous contemplent. » En 1798, le général Bonaparte est en Égypte avec toute une armée. Mais ces messieurs à qui il s’adresse, ce sont des scientifiques emmenés en parallèle de la campagne militaire pour étudier ce qu’il se cache sous le sable millénaire de ce pays à l’histoire oubliée.

Un Chalonnais fait partie de l’expédition : Dominique-Vivant Denon. L’homme a déjà la cinquantaine et mille vies passées quand il débarque dans le port d’Alexandrie. « J’avais toute ma vie désiré de faire le voyage d’Égypte » écrira-t-il à son retour.

Pendant des mois, le talentueux dessinateur et graveur retranscrit fidèlement les monuments ensablés, les peintures murales, le moindre hiéroglyphe. Assouan, Éléphantine, le Ramesséum, Philae… Denon fait partie des premiers à explorer ces lieux. L’expédition ramène aussi de nombreux objets, dont une certaine pierre de Rosette…

À son retour, Vivant Denon publie Voyage dans la basse et la haute Égypte, un livre référence, toujours réédité. On redécouvre alors la splendeur de toute une civilisation : « Cette expédition a créé un engouement en Europe, rappelle Gwenaëlle Colas, égyptologue au musée Denon à Chalon. On a vu éclore le style “retour d’Égypte” dans la déco, les tableaux, la vaisselle… Avant le livre de Denon, on avait seulement des aperçus de l’Égypte, des connaissances par ricochet. Beaucoup de bâtiments étaient recouverts par le sable. »

Une fascination pour le pays des pharaons qui ne faisait que commencer. À la retraite, Vivant Denon reçoit les plus grandes personnalités dans son hôtel particulier parisien. Champollion y vient commenter les inscriptions sur les œuvres amassées par cet infatigable amoureux des arts, qualifié aujourd’hui de premier égyptologue français.

De retour d'Egypte, Vivant Denon publie une oeuvre monumentale, Voyage dans la basse et haute Egypte. Musée Denon. Photo JSL/K.B.

De retour d'Egypte, Vivant Denon publie une oeuvre monumentale, Voyage dans la basse et haute Egypte. Musée Denon. Photo JSL/K.B.

Un espion en Russie

Denon arrive à Versailles en perpétuant la tradition familiale de fournir le roi en givry et en mercurey. Mais à la cour, le jeune Denon s’ennuie et demande des responsabilités. Louis XV le nomme à l’ambassade de France en Russie. À 25 ans, il a pour mission de surveiller les mouvements de la tsarine, la Grande Catherine. Celle-ci finira par le faire expulser deux ans après, l’accusant d’avoir fait évader une comédienne suspectée d’espionnage.

Vivant Denon est enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris.

Vivant Denon est enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris.

Denon, premier directeur du Louvre,
a légué son nom à une aile du musée

Le visiteur du Louvre ne peut le manquer : le nom de Denon s’affiche en lettres d’or au-dessus de l’entrée de l’aile sud. Un honneur, comme pour Richelieu et Sully, pour celui qui fut premier directeur des lieux. Un poste prestigieux pour le Chalonnais qui baigne depuis son adolescence dans le monde des arts et des collections. À la cour, il est en charge de la collection de pierres gravées léguée par la marquise de Pompadour à Louis XV. Mais c’est un autre souverain qui lui donnera ses plus grandes responsabilités. Napoléon le nomme directeur du Musée Central qui deviendra sous sa direction le musée du Louvre. Il a la charge d’organiser des collections complètes des prises de guerre de l’empereur. Sa méthode fait des émules dans toute l’Europe et en fait le père de la muséologie moderne.


Avec la défaite de Waterloo, les puissances d’Europe autrefois vaincues par Bonaparte réclament le retour de milliers de tableaux et d’objets d’art. Denon refuse catégoriquement de voir l’œuvre de sa vie démantelée, on l’y oblige par la force. À la vue des baïonnettes et des mèches presque allumées, Vivant Denon s’écrie : « Qu’ils les emportent, mais il manquera des yeux pour les voir et la France prouvera toujours par sa supériorité dans les arts que ces chefs-d’œuvre étaient mieux ici qu’ailleurs. » Deux cents ans plus tard, le débat sur la restitution des œuvres est toujours ouvert.

L’aile Denon est à droite de la pyramide quand on regarde le Louvre de face.

L’aile Denon est à droite de la pyramide quand on regarde le Louvre de face.

François Chabas,
le traducteur de l'obélisque de la Concorde

C’était donc il y a 200 ans : la pierre de Rosette ramenée d’Égypte par Napoléon est traduite par Champollion. Le savoir de l’Égypte antique est enfin accessible, c’est l’élément fondateur de l’égyptologie, qui devient donc une discipline à part entière. 
À Chalon, un homme passionné d’anthropologie et de langues anciennes se met en tête de, lui aussi, assurer les traductions des papyrus. Cet homme, c’est François Chabas. Né en 1817, il est président du conseil général de Saône-et-Loire et cela ne l’empêche pas de publier une cinquantaine d’ouvrages scientifiques, et même une revue, L’Égyptologie. 

« Chabas a adopté la grammaire et compris le principe des hiéroglyphes. Il a travaillé et tout traduit. Encore aujourd’hui, on s’appuie sur son travail », détaille Gwenaëlle Colas, l’égyptologue du musée Denon. On lui doit notamment la traduction de l’obélisque de la place de la Concorde à Paris. Pendant 30 ans, les Français ont admiré ce cadeau de l’Égypte, venu de Louxor sans en connaître la signification. Chabas a aussi à son actif la traduction du papyrus Prisse, le plus vieux du monde (4 000 ans).

Impossible de détailler ici les immenses contributions de Chabas à l’égyptologie. « Ses traductions ont permis de faire avancer l’économie politique et le droit international, par exemple», rappelle Emmanuel Mère, auteur d’une biographie sur le personnage. « L’ambassadeur d’Égypte a affirmé en 2003 que Chabas était l’un des scientifiques qui a le plus fait pour la connaissance de l’Egypte dans le monde », poursuit l’auteur. François Chabas est considéré comme un éminent égyptologue, il n’a pourtant jamais mis les pieds dans le pays, car jamais officiellement missionné par les autorités. Pour compenser, il s’est fait envoyer de nombreux objets provenant de fouilles pour les étudier, dont une stèle funéraire à admirer au musée Denon. Musée qui recevra sa collection à sa mort.

Grâce à ces pionniers comme Chabas et Denon, de nombreuses générations d’égyptologues et d’archéologues ont entrepris de fouiller le pays, avec plus ou moins de rigueur scientifique, les règles n’étant pas les mêmes qu’aujourd’hui. Parmi eux, Howard Carter, découvreur de la tombe de Toutânkhamon. Le fabuleux trésor qu’il trouve relance la passion européenne pour le pays des pharaons. C’était il y a 100 ans exactement et elle ne s’est jamais démentie depuis.

Au square Chabas, un sphinx et une pyramide : l’hommage de la Société d’histoire et d’archéologie de Chalon à cet éminent égyptologue

Au square Chabas, un sphinx et une pyramide : l’hommage de la Société d’histoire et d’archéologie de Chalon à cet éminent égyptologue

Le tableau de Jules Chevrier, François Chabas et le Sphinx, est visible au musée Denon. L'oeuvre contient un rébus, en bas à gauche (réponse à la fin de l'article).

Le tableau de Jules Chevrier, François Chabas et le Sphinx, est visible au musée Denon. L'oeuvre contient un rébus, en bas à gauche (réponse à la fin de l'article).

Au musée Denon, on sort les hiéroglyphes pour l’occasion

Egyptomanie, une exposition à découvrir jusqu'au 6 mars 2023 au musée Denon de Chalon.

Egyptomanie, une exposition à découvrir jusqu'au 6 mars 2023 au musée Denon de Chalon.

À l’occasion de ce double anniversaire, le musée Denon de Chalon propose jusqu’au 6 mars “Egyptomanie”, un accrochage spécial rappelant la contribution des deux Chalonnais à la discipline. Aux collections permanentes du musée, s’ajoutent les photos du musée Niépce et une série de médailles de la Monnaie de Paris, médailles commémoratives de la campagne de Napoléon.
Pour les familles, le musée organise un escape game : la chanteuse du Dieu Amon-Rê a été kidnappée, il faut résoudre les énigmes sur l’Égypte antique pour la délivrer (liste des dates et réservations sur le site du musée).

 museedenon.com

Des médailles commémoratives de la campagne d’Egypte de Napoléon, prêtées par la Monnaie de Paris, à voir jusqu’au 6 mars au musée Denon.

Des médailles commémoratives de la campagne d’Egypte de Napoléon, prêtées par la Monnaie de Paris, à voir jusqu’au 6 mars au musée Denon.

Pour aller plus loin

À LIRE
➤ Voyage en basse et haute Egypte, Vivant Denon, Pygmalion Editions
➤ Le Cavalier du Louvre, Philippe Solers, aux éditions Gallimard
➤ François Chabas, profession égyptologue, par Emmanuel Mère, aux Éditions Hérode (en prêt à la bibliothèque de Chalon)

À VOIR
➤  "Toutânkhmon, le pharaon oublié", exposition à la Sucrière à Lyon, jusqu’au 24 avril. Une incroyable reconstitution du trésor découvert par Carter.
➤ Collection “Secrets d’Egypte”, série d’émissions et de documentaires, Replay de France 2

Réponse du rébus : "Chabas faisant la nique au sphinx" (Chat/basse/faisan/La/nid/cosse/Finx)